Le grand discours de Lamartine contre la peine de mort
Le 17 mars 1838, près de 150 ans avant sa promulgation, l'auteur des « Méditations poétiques » prononce un discours fougueux pour l'abolition de la peine capitale.
17 mars 1838, à la Chambre des députés. Le poète à succès Alphonse de Lamartine, auteur des célèbres Méditations poétiques et désormais député républicain de Saône-et-Loire, s'est déjà fait remarquer plusieurs fois pour ses prises de position politiques : contre l'esclavage, par exemple, ou contre l'Empire ottoman dans sa lutte avec le peuple serbe.
Mais ce jour-là, c'est pour l'abolition de la peine de mort qu'il se prononce, dans un contexte où les pétitions se multiplient pour mettre fin à l'usage de la guillotine. La Société de morale chrétienne, en particulier, a réuni à ce moment-là 18 000 signatures au bas d'une pétition qu'elle dépose à la Chambre des députés. Lamartine s'en fait le porte-parole auprès des élus.
La Gazette nationale du 18 mars retranscrit les débats du jour et le contenu de l'intervention de l'orateur :
« Messieurs, la différence profonde qui existe entre l’honorable orateur auquel je succède et moi consiste surtout en ceci : que l’honorable préopinant veut conserver la peine de mort dans nos lois, précisément comme signe, comme intimidation, et que nous, au contraire, […] nous croyons que l’abolition systématique de la peine de mort dans nos lois serait une intimidation et un exemple plus puissant contre le crime que ces gouttes de sang répandues de temps en temps, si stérilement vous en convenez vous-même, devant le peuple, comme pour lui en conserver le goût. (Sensation.) [...].
Au point de civilisation où nous sommes parvenus, la peine de mort est-elle encore nécessaire à la société, et par conséquent la peine de mort est-elle encore légitime ? Voilà la question, la seule que je pose, la seule utile à poser, et si nous la posons, c’est déjà une preuve qu’il y a doute dans un grand nombre d’esprits. Or, dès qu'il y a doute, le législateur ne doit-il pas s'abstenir ? »
Lamartine établit ensuite une distinction entre la loi du talion, qui aboutit à la peine de mort, et la réclusion à perpétuité, dont la philosophie est d'après lui plus digne d'une nation civilisée.
« Nous disons, et l’histoire est notre témoin, qu’il y a à la loi deux espèces de sanction de nature différente, et qu’à mesure que le genre humain se civilise, que les législations se perfectionnent, la société se défend davantage par l’une ou par l’autre de ces sanctions pénales. Je m’explique : il y a une sanction matérielle brutale, inflictive, sanglante, que vous appelez la loi du talion, qui punit l’homme dans sa chair, qui frappe parce qu’on a frappé, qui jette un cadavre sur un cadavre, qui lave le sang dans le sang. Cette sanction aboutit à la peine de mort [...].
Mais il y a une sanction nouvelle, une sanction morale, une sanction non charnelle, non mortelle, non sanglante, aussi puissante, mille fois plus puissante que la vôtre, sanction que la société substitue graduellement à l’autre à mesure que la société se spiritualise et se moralise elle-même davantage. Celle-là consiste dans l’impuissance où l’on met le criminel de récidiver, dans la correction qu’on lui inflige, dans la solitude qui le force à réfléchir, dans le travail qui dompte les passions, dans l’instruction qui éclaire, dans la religion qui change le cœur, enfin dans l’ensemble de ces mesures défensives et correctives qui préservent la société et améliorent le criminel : entre ces deux systèmes, il y a tout l’espace parcouru des bûchers et des tortures, au système pénitentiaire. »
Puis il se lance dans une longue argumentation contre les supposés « bienfaits » sociaux de la peine capitale.
« Je dis que la peine de mort d’une part ne réprime ou ne prévient pas le meurtre, et de l’autre part accroît les dangers de la société en entretenant la férocité des mœurs. Examinez l’état d’esprit du criminel prêt à commettre un meurtre. Son crime n’a que deux motifs : une passion violente ou un intérêt cupide.
Si c’est une passion, le criminel est déjà dans le délire, dans la démence, et la crainte de la pénalité disparaît pour lui ; il assouvit sa passion à tout prix ; il ne recule pas devant la mort, au contraire. Et si c’est un intérêt, comme le criminel est à froid et qu’il pèse son crime contre son risque, s’il persévère à tenter le crime, c’est qu’évidemment la peine de mort lointaine, incertaine, douteuse, n’agit plus sur son esprit. »
Avant de conclure :
« Croyez-moi, croyez-en les faits, dans un temps pareil, ce n’est pas la mort qu’il faut apprendre à craindre, c’est la vie qu’il faudrait apprendre à respecter ! […] L’abolition de la mort que nous vous demandons sera la préservation la plus puissante que vous puissiez procurer à la société contre l’homicide. Oui, je dis que quelques gouttes de sang répandues de temps en temps sous les yeux du peuple comme pour lui en conserver le goût seront moins efficaces que cette proclamation sociale de l’inviolabilité de la vie de l’homme, que vous ferez à la face du monde en abolissant l’échafaud. »
Le discours de Lamartine ne sera pas suivi d'effets. Malgré plusieurs tentatives d'abolition de la peine de mort au cours du siècle et demi qui suivra, celle-ci ne sera votée en France qu'en 1981, par 363 députés contre 117.