Le procès du docteur Petiot, faux résistant et vrai tueur
Le 11 mars 1944, les pompiers découvrent 27 corps humains dépecés dans les sous-sols d'un hôtel particulier de la rue Lesueur, à Paris. Le propriétaire, un certain Marcel Petiot, reste introuvable.
Rentrant chez lui alors que les pompiers sont en train de fouiller sa cave, Marcel Petiot prend immédiatement la fuite et décide de s'engager dans la Résistance avec les Forces françaises de l'intérieur (FFI) sous le pseudonyme de « Capitaine Valeri ». Il y restera dissimulé, sous cette fausse identité, jusqu'à la Libération, où un mandat d'arrêt est alors lancé contre lui.
Localisé à Paris en septembre 1944 grâce à un piège tendu par le journaliste Jacques Yonnet, qui avait rédigé un article intitulé « Petiot, soldat du Reich » dans les colonnes du journal Résistance – et auquel le bon docteur avait cru judicieux de répondre –, c'est après une enquête minutieuse que l'inspecteur Henri Soutif l'arrête à la sortie du métro Saint-Mandé Tourelle, le 31 octobre, avec dans ses poches un revolver 9 mm et plusieurs fausses cartes d'identité.
C'est que Marcel Petiot, depuis la macabre découverte faite dans les sous-sols de son hôtel particulier, est devenu la cible numéro un des policiers.
Outre les 27 cadavres retrouvés ce jour-là, Petiot a entassé dans sa cave un très grand nombre d'effets personnels appartenant à de potentielles victimes. La liste, qui sera lue lors de son procès, est éloquente : 21 manteaux de laine, 90 robes, 120 jupes, 26 sacs à main, 28 complets d'hommes, 33 cravates, 57 paires de chaussettes, 43 paires de chaussures, et même, comble de l'horreur, un bas de pyjama appartenant à René Kneller, 8 ans, disparu dans les mêmes circonstances que ses parents.
Au vu de ces éléments, les policiers suspectent Marcel Petiot d'avoir commis pas moins de 63 assassinats. D'ailleurs, sa cave est aménagée d'une bien étrange façon : en complément d’une large pièce triangulaire munie d'un judas, on trouve des doubles portes, de même qu’une fosse remplie à ras-bord de chaux vive.
Le procès qui s'ouvre le 18 mars 1946, de par son ampleur inédite, fait la une de tous les journaux et passionne l'opinion publique. L'Aube titre dans son édition du 17 mars :
« Recordman du crime, Marcel Petiot, médecin qui tuait ses clients, va répondre de 63 assassinats.
Médecin, inventeur, exécuteur de ses propres hautes œuvres, assassin auprès duquel Landru ferait figure d'apprenti, pseudo-résistant, tel est Petiot le sinistre docteur dont la Cour d'assises de la Seine inaugurera, demain lundi, un procès qui doit occuper trois pleines semaines. »
L'enquête qui avance permet d'en savoir un peu plus sur les motivations du bon docteur. Il semblerait qu'à partir de 1942, Petiot ait mis en place un service clandestin de « passeurs », proposant à toute personne recherchée par la Gestapo de « quitter Paris pour l'Amérique du Sud », en échange d’une rémunération via bijoux, argenterie ou espèces.
Les attirant chez lui, il aurait tué la plupart de ses victimes en les gazant. Parmi celles-ci on compte pêle-mêle des Juifs, des collaborationnistes, des résistants et même plusieurs truands connus des services de police. Tous ont péri entre les mains expertes du sinistre docteur, quelque part dans la pièce triangulaire, hermétique et insonorisée, avant que ce dernier ne s’empare de leurs biens.
De fait, tout semble accuser Petiot. Pour noircir un peu plus le tableau, les policiers découvrent qu'il a été interné en hôpital psychiatrique dans son enfance et qu'il a déjà eu, à plusieurs reprises, des démêlés avec la justice.
Élégamment vêtu d'un costume croisé, assorti d'un nœud papillon gris foncé, au tribunal Petiot est en représentation, comme s’il jouait le premier rôle d'une pièce de théâtre. Arrogant, le regard sombre et le cheveux fou, l'accusé est tout à fait à l'aise et ne s'en laisse pas compter, multipliant face à ses juges provocations et coups d'éclat.
Dès le second jour des audiences, L'Aube écrit dans son édition du 19 mars 1946 :
« Petiot peut être content : cette première audience le classe déjà parmi les grandes vedettes de la Cour d'assises.
L'accusé est véritablement à la taille de son crime : son procès sera sans doute à la mesure aussi de son personnage.
La Cour d'assises de la Seine, cette grande salle trop étroite pour les quatre-vingt-dix témoins, la presse, le barreau, la défense et l'accusation, est encore encombrée par une incroyable pile de malles et de valises, autant de pièces à conviction, entassées contre le mur et qui font ressembler le tribunal à quelque consigne de gare. »
Mais malgré ses gesticulations, ses réponses volontairement à côté de la plaque – peut-être dans le but de passer pour fou –, et ses bons mots qui font parfois rire l'assistance, c'est un Marcel Petiot cynique et haineux, manipulateur et dépourvu de scrupules, qui se révèle audience après audience.
La journaliste Francine Bonitzer, connue pour avoir couvert le procès du maréchal Pétain pour le journal L'Aurore, aura ces mots lapidaires pour décrire le bon docteur :
« Il faut avoir vu Petiot pour se rendre compte que ceux que jusqu’ici, souvent, on appelait ainsi n’étaient pas, à quelques exceptions près, tout à fait des monstres.
Ils avaient toujours un côté sensible, un recoin de tendresse, une parcelle de remords, parfois de la sincérité.
Mais Petiot, lui, est un monstre à l’état pur. Tout en cet homme respire la haine et la méchanceté. »
Prétendant tantôt être « manipulé par la Gestapo pour éliminer des Juifs », tantôt en « service commandé pour la résistance afin de faire disparaître des collaborateurs », Marcel Petiot n'arrivera pas, malgré toutes ses tentatives, à convaincre qui que ce soit.
Le 4 avril, sans surprise, il est reconnu coupable de 24 meurtres et condamné à mort, au terme d'un procès hors du commun.
Le samedi 25 mai 1946 à 5h07 du matin, dans la cour de la prison de la Santé, la guillotine tranche la tête de celui que la presse avait surnommé « Docteur Satan », non sans que ce dernier ne se soit fait remarquer une dernière fois en déclarant à l'avocat général, venu le réveiller dans sa cellule pour l'emmener au supplice :
« Tu me fais chier. »
Plus de 70 ans après son exécution, son butin, estimé à quelque 50 millions d'euros, demeure toujours introuvable.