Eté 1952, les débuts d’un mystère : l’affaire Dominici
Le 5 août 1952, un chercheur anglais renommé, Sir Jack Drummond, son épouse et collaboratrice Anne et leur fillette Elizabeth sont retrouvés assassinés aux abords de leur véhicule dans la petite commune de Lurs, en Provence. C’est le début de l’une des plus célèbres affaires criminelles françaises…
Le meurtre du célèbre anglais et de sa famille fait la Une de la presse nationale dès le 7 août 1952, et, au-delà des circonstances du crime et de l’état de l’enquête, les journaux découvrent une surprenante coïncidence (en était-elle vraiment une ?): une autre famille du village, les Granier, fut sauvagement assassinée à l’arme blanche dans leur propre ferme en septembre 1871, apparemment à la suite d’un cambriolage raté, par des ouvriers travaillant non loin, sur la voie ferrée, ayant laissé pour seul rescapé le petit dernier de la famille, âgé de onze mois.
Pour une petite commune d’environ 300 habitants, ça commence à faire beaucoup.
Mais revenons en 1952. La famille britannique avait choisi la Provence comme destination pour leurs premières vacances en tant que campeurs, à l’insistance de la petite Elizabeth, mue par l’idée de partir à l’aventure à la découverte de nouveaux paysages. Le 4 août, la petite famille décide donc de quitter le Grand hôtel de Digne-les-Bains à la recherche d’un coin paisible où poser leurs tentes.
C’est le lendemain matin que Gaston Dominici, propriétaire d’une ferme située à 500 mètres de la voiture britannique garée sur le bas-côté de la route, alerte un motocycliste de la découverte des trois corps sans vie, afin qu’il puisse le communiquer à la gendarmerie de Forcalquier.
Le père de famille étant de renommée internationale, la police britannique craint une attaque politique et décide de perquisitionner le domicile familial de Nuthall, dans la banlieue de Nottingham, en parallèle des premiers jours d’enquête en France.
Les premiers détails du crime sont publiés : la famille a été tuée à coups de « carabine américaine Rock-Ola », retrouvée sur place, « dans un trou d’eau ». « Le chargeur était vide, la crosse ne tenait plus au canon à l’acier bleui ».
Vers 1h du matin, dans la nuit du 4 au 5 août, installé sur son lit de camp, M. Drummond « est réveillé par un bruit suspect provenant de sa voiture ».
« Il se lève pour se rendre compte de ce qui se passe et se trouve face à face avec son ou ses agresseurs. »
Essayant de fuir, il est abattu de deux balles dans le dos, qui réveilleront son épouse, qui mourra sous le coup de sept balles – dont plusieurs l’ont touchée en plein cœur.
Des recoupements avec plusieurs autres faits similaires sont dès lors établis par les gendarmes : personnes aisées attaquées dans leur véhicule pour leur argent, cambriolages, voyous tentant de s’enfuir. Tout le monde est suspect : locaux, personnes ayant été vues discuter avec la famille, ou aperçues aux alentours de la scène de crime. Seulement, « le tueur n’a rien volé à ses victimes » et l’hypothèse du cambriolage ayant mal tourné est rapidement écartée.
Le crime politique est lui aussi mis de côté, les proches du scientifique attestant :
« Sir Jack Drummond n’était qu’un pur savant et il n’avait jamais joué le moindre rôle politique. »
Une fois les autopsies pratiquées, le couple et leur fillette sont inhumées au cimetière de Forcalquier le 8 août. Au même moment, suite à des déclarations contradictoires concernant notamment sa rencontre avec la famille Drummond la veille du crime, Gustave Dominici est emmené à une confrontation avec un chauffeur, qui dit avoir aperçu une personne au moment et lieu du crime tentant de se dissimuler dans un fossé. Gustave Dominici devient « suspect n°1 » et une perquisition de la « ferme de la Grand’ Terre » est effectuée.
Le père du suspect, Gaston, vivant sous le même toit que son fils, nie les faits reprochés à son fils :
« Je proteste énergiquement, mon fils est innocent, il n’a rien à voir au meurtre des Drummond. »
Les enquêteurs semblent sereins quant à l’avancée de leurs recherches mais une information primordiale manque à leur récit : le mobile. Le journal L’Aurore tente de combler la narration policière :
« Eh bien, c’est sans doute d’un crime de la colère qu’il s’agit. On imagine assez bien, entre sir Jack et quelqu’un de la région, une discussion stupide et violente, peut-être pour une question futile…
Et, sous l’empire de la fureur, on se sert d’une arme. »
Le commissaire Sebeille, en charge de l’affaire, prend cependant des précautions, déclarant à La Croix :
« En tout cas, nous n’avons aucun élément pouvant mettre en cause le fermier. »
Mais l’étau se resserre autour du clan Dominici : « Sept jours après le crime, une seule évidence demeure: M. Dominici, seul témoin valable du drame, demeure le « pivot » de l’affaire… ». Et le « massacre de Lurs » devient « l’Affaire Dominici »…
Les interrogatoires, confrontations, reconstitutions, témoignages et perquisitions se poursuivent durant deux ans. De nombreuses primes sont proposées à quiconque fournira des informations à la police permettant d’identifier le meurtrier.
Tous les membres de la famille Dominici sont interrogés ; Gustave fait plusieurs gardes à vue, mais il est systématiquement remis en liberté. Un mois après le drame, l’enquête est au point mort, mais cela n’empêche pas les journaux de continuer à en faire leur Une. A défaut de mieux, Gustave Dominici est écroué le 17 octobre et inculpé pour non-assistance à personne en danger de mort.
Il est incarcéré à la prison de Digne. Condamné en novembre à deux mois de prison ferme, il fait appel. Le procès ne révèle rien de nouveau.
Un an après le massacre, Clovis et Gustave Dominici accusent leur père Gaston du triple homicide. Ce dernier continue de nier, et tente de se suicider à plusieurs reprises. En novembre 1953, c’est Gaston qui est incarcéré dans la même prison que son fils quelques mois auparavant. La Gazette Provençale titre :
« L’enquête continue, certains points restent encore à éclaircir. »
En réalité, tout reste à éclaircir. Père et fils se renvoient la balle, inlassablement.
Le 17 novembre 1954, Gaston Dominici est jugé et condamné à mort, malgré son âge (77 ans), et surtout l’absence de preuves formelles. Sa peine sera commuée en prison à vie en 1957, puis il sera gracié et libéré en 1960 par le général De Gaulle.
Sa remise en liberté marque la fin de l’Affaire Dominici, mais le début du « mystère de Lurs »…
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Pour en savoir plus :
Dominique Lejeune, « L’affaire Dominici, un révélateur d’une certaine ruralité française des années 50 », Université ouverte de Besançon, 2022
Michel Laval, « J’y suis été – Actualité de l’affaire Dominici », in : Les Cahiers de la justice, pp. 177-182, 2024