Une histoire de la détention des mineurs en France, par Jean-Jacques Yvorel
Sujet délicat depuis toujours, la justice des mineurs va connaître plusieurs évolutions déterminantes à compter de la fin du XVIIIe siècle. Comment les enfants et les adolescents étaient-ils alors jugés ? Quel traitement leur était réservé ?
Jean-Jacques Yvorel est historien et professeur à l’ENPJJ (Ecole Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse). Il est également chercheur associé au CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur les droits et institutions pénales) et a été rédacteur en chef de la Revue d'histoire de l'enfance « irrégulière ». C'est un spécialiste reconnu de l’histoire des déviances juvéniles et de leurs traitements sociaux ou judiciaires.
On lui doit notamment Histoire de la justice en France de la Révolution à nos jours, écrit avec Frédéric Chauvaud et Jacques-Guy Petit, et publié par les Presses Universitaires de Rennes en 2007, de même que Les Âmes mal nées : Jeunesse et délinquance urbaine en France et en Europe (XIXe-XXe siècles), rédigé en collaboration avec Jean-Claude Caron et Annie Stora-Lamarre, et paru en 2008 aux Presses universitaires de Franche-Comté.
Propos recueillis par Arnaud Pagès
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RetroNews : En 1791, les députés de l'Assemblée nationale adoptent le principe de discernement qui va dès lors structurer la justice pénale des mineurs. De quoi parle-t-on ?
Jean-Jacques Yvorel : Lorsqu'un mineur de moins de 16 ans a commis un délit, le tribunal va poser une question préalable... Ce mineur a-t-il agi avec ou sans discernement ? S'il a agi avec discernement, il est condamné à une peine qui sera inférieure environ de moitié à celle encourue par un adulte, la peine de mort étant dans tous les cas écartée. Si il a agi sans discernement, il sera acquitté mais il sera, selon les circonstances, soit remis à sa famille, soit envoyé en correction pour un temps que le tribunal décidera mais qui ne pourra excéder sa vingtième année.
Cette question du discernement va créer un curieux objet juridique, à savoir le mineur acquitté mais malgré tout incarcéré. Il y a même un paradoxe supplémentaire puisque le mineur acquitté peut se retrouver enfermé pour un temps supérieur à celui qu'il aurait passé derrière les barreaux en étant condamné. Quel que soit son âge au moment des faits, il peut être envoyé en correction, c'est-à-dire incarcéré, jusqu'à ses 20 ans.
Il existait donc déjà des maisons de correction dédiées aux mineurs ?
Non. En fait, il s'agit de prisons correctionnelles. Avant la Monarchie de juillet, avant les années 1840, il n'existait aucun établissement pour les enfants et les adolescents. Avant 1825, les mineurs étaient incarcérés dans les prisons ordinaires avec les adultes – et parfois dès l'âge de 4 ou 5 ans. C'est cette année-là que le premier quartier pour mineurs a vu le jour à la prison de Strasbourg. Il n'y avait pas de cellules. Ces prisons étaient constituées de grands dortoirs.
Comment jugeait-on ces enfants ?
Ils passaient devant les mêmes tribunaux que les adultes. La seule distinction, qui sera faite à partir de 1824, est qu'ils n'étaient pas poursuivis par la cour d'assises mais par le tribunal correctionnel. Cette particularité vient du fait qu'ils ne peuvent pas être condamnés à la peine de mort, ni aux travaux forcés à perpétuité.
Précisons qu'il ne fallait que trois circonstances aggravantes, à cette époque, pour qu'un simple vol soit qualifié de « crime »... Il suffisait, par exemple, que les faits aient été commis de nuit, en réunion, et par escalade. Le vol de quelques mouchoirs pouvait ainsi devenir un véritable crime.
Comment les juges tranchaient-ils alors cette question primordiale du discernement ?
Tout était basé sur les faits. Cette notion n'était pas en lien avec la psychologie du prévenu, ni avec sa maturité ou sa responsabilité. Si les juges voulaient enfermer longtemps un enfant, ils utilisaient la notion de non-discernement.
Il existe des dossiers où un mineur a été jugé trois fois pour des petits délits : maraudage, vagabondage, mendicité... Les deux premières fois, il a été considéré comme discernant et envoyé en prison pour des peines de courte durée. La troisième fois, les juges ont considéré qu'il ne se calmait pas. Ils l'ont déclaré non discernant et l'ont envoyé en correction jusqu'à ses 20 ans. Le discernement était un instrument de politique pénale.
Les mineurs étaient donc incarcérés dans les mêmes prisons que les adultes... Pour autant, bénéficiaient-ils d'un traitement particulier ?
Ils n'étaient pas séparés des adultes et ils n'étaient donc pas traités différemment. Dans quelques prisons, il y avait cependant des initiatives qui étaient guidées par la philanthropie... Par exemple, on leur donnait des cours de morale et de catéchisme. Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour qu'il y ait une séparation totale des mineurs et des majeurs.
En 1836, la prison de la Roquette est la première à être dédiée aux mineurs. C'est alors une immense innovation. Qu'est-ce qui a motivé sa construction et de quelle façon fonctionnait-elle ?
Au départ, la prison de la Roquette n'était pas pour les mineurs, mais pour les femmes. Dans un second temps, elle accueillera les condamnés les plus jeunes.
C'est une prison cellulaire, et non pas à dortoirs. La nuit, les mineurs dormaient chacun dans leur cellule. La journée, ils travaillaient en commun et en silence. Ce modèle ne fonctionnait pas du tout ; les mineurs qui étaient prisonniers à la Roquette étaient des enfants des rues. Ils étaient victimes d'un ordre social injuste. Il y avait sans arrêt des bagarres et des révoltes. Le modèle philadelphien va alors être adopté, c'est-à-dire l'isolement cellulaire total, sans aucun contact des détenus entre eux, ni avec l'extérieur. Quand les enfants devaient se déplacer à l'intérieur de la prison, on leur couvrait la tête avec un sac noir pour qu'ils ne puissent ni voir, ni être vus. Le seul moment collectif, c'était la messe. Elle se déroulait dans un amphithéâtre composé de petites alvéoles dans lesquelles les enfants étaient isolés les uns des autres pour assister à l'office. Dès lors, il n'y avait plus de désordres collectifs...
En revanche, un tel système a conduit un certain nombre d'enfants à la folie. Certains enfants ont même perdu perdre l'usage de la parole puisqu'ils n'avaient plus l'occasion de parler. C'était un lieu effrayant qui était pourtant considéré comme « philanthropique » à l'époque.
On peut supposer que ces enfants vivaient dans la misère et étaient obligés de chaparder ou de mendier... Néanmoins, la loi étant la même pour tous, y a-t-il eu des cas d’enfants issus de familles aisées qui sont passés en jugement ?
Hier comme aujourd'hui, les enfants qui passent en justice viennent à 99 % des classes populaires. A l'occasion, quelques mineurs issus des classes sociales élevées se sont retrouvés face à un juge : ils étaient alors considérés comme non discernant et remis à leur famille. Certains de ces mineurs pouvaient cependant être incarcérés par correction paternelle. Les parents pouvaient demander leur enfermement, sans que l'institution ne puisse le refuser.
A partir des années 1830, les premières colonies pénitentiaires voient le jour.
Tout à fait. Elles sont créées lors de la Monarchie de juillet, en même temps que le patronage. Ce sont deux initiatives très importantes. Avec le patronage, les enfants sont aidés et guidés dans la vie par des adultes de bonne volonté. Et puis il y avait cette idée qu'il fallait enfermer les enfants différemment... C'est dans ce contexte que les colonies agricoles pénitentiaires ont vu le jour. Elles deviennent néanmoins très vite des institutions disciplinaires. Ce sont des prisons sans barreaux. Les mineurs travaillent dans les champs mais n'ont aucune liberté.
Au début de la IIIe République les lois Ferry, qui rendront notamment l'école obligatoire, vont-elles changer la donne ?
Incontestablement. Ces lois ont contribué à une diminution considérable du vagabondage, qui était la première cause d'enfermement des mineurs. L'école, gratuite et obligatoire, a été une véritable réussite sociale. Les ouvriers ont très vite envoyé leurs enfants à l'école, au moins jusqu'au certificat d'études. Les enfants étaient dès lors canalisés et n'erraient plus dans les rues.
Notons qu'avant ces lois, un parcours type avait pris forme ; les condamnés allaient d'abord en prison, puis travaillent dans les colonies pénitentiaires pour apprendre un métier, et ensuite ils étaient pris en charge par le patronage. Ce dispositif a été mis en place dès le début du XIXe siècle et la monarchie constitutionnelle. Et il est frappant de constater qu’aujourd'hui, la justice des mineurs repose toujours sur ces trois piliers : punir, former, accompagner.