La tentative d'assassinat de Louis XV
Le 5 janvier 1757, le roi de France Louis XV est poignardé par un homme. Cette attaque, que l’on va appeler « l’attentat de Damiens », du nom de son auteur, va susciter une vive émotion dans le Royaume : il rappelle en effet celui de Ravaillac, l’assassin d’Henri IV. Les gazettes en informent leurs lecteurs.
Une attaque inattendue qui suscite une vive émotion nationale et internationale
Le 5 janvier 1757, Louis XV est sur le point de quitter Versailles lorsqu’il est brutalement poignardé par un homme. Dans un premier temps c’est l’incompréhension générale. Le roi s’écrie : « On m’a donné un furieux coup de poing ».
Puis Louis XV s’aperçoit qu’il saigne ; il aurait dit « Je suis blessé […] c’est cet homme-là qui m’a frappé, qu’on l’arrête et qu’on ne lui fasse pas de mal ».
En effet, le roi a reçu un coup de couteau sur le côté droit entre la 4e et la 5e côtes. L’homme est arrêté et la nouvelle se propage à Versailles. Dans la salle des Gardes, l’homme est fouillé.
Dans ses poches, on trouve un couteau de Namur, une trentaine de louis d’or, divers objets et un livre intitulé Instructions et Prières chrétiennes de Pasquier Quesnel.
Louis XV est profondément choqué par cette agression et reçoit à trois reprises l’absolution. Un commandant lui aurait dit pour le ragaillardir : « Ce n’est rien Majesté ; touchez, crachez, pissez ! [...] Allons dans huit jours, nous forcerons un cerf ».
La Gazette de France relate les évènements dans son numéro 2, daté du 8 janvier.
Cet attentat perpétré par Robert-François Damiens a une résonnance particulière dans le Nord de la France et en particulier en Artois ; le criminel est en effet natif d’une paroisse artésienne nommée La Thieuloye, du diocèse d’Arras. Emmanuel, duc de Croÿ, prince de Solre dans les Pays-Bas autrichiens, commandant en second de l’Artois est commissionné dans le Nord afin de mener une enquête.
Il arrive à Arras le 9 janvier 1757, y rencontre les notables de la ville. Débutent les interrogatoires de la famille du dénommé Damiens. Le père et le frère sont envoyés à la Bastille. Puis le duc Croÿ se rend à Béthune, Aire-sur-la-Lys et Saint-Omer.
Dans le même temps, il y a une multiplication de cérémonies en l’hommage du roi. À l’étranger, les réactions sont multiples. Le Mercure de France publie dans son numéro de mai 1757 un document intitulé : Lettre de M. de Voltaire à M. T. … dans lequel l’auteur écrit :
« L’attentat de ce monstre Damiens, m’attire des reproches de toute l’Europe littéraire ? Est-ce là, me dit-on, cette Nation que vous avez peinte si aimable, et ce siècle que vous avez peint si sage ? »
Qui est Damiens ?
Il ressort de l’instruction que Damiens, âgé de 42 ans au moment des faits, est originaire de La Thieuloye, en Artois, paroisse du diocèse d’Arras, située à 9 kilomètres de la ville de Saint-Pol-sur-Ternoise (diocèse de Boulogne), à 30 km d’Arras ; 75 km de Boulogne ; 66 km d’Ardres, à 66 km d’Amiens et à environ 193 km de Paris et à 200 km de Versailles.
À Paris, il a occupé une vingtaine d’emplois. Il a travaillé comme domestique et comme laquais chez plusieurs conseillers au Parlement de Paris. Damiens a une réelle admiration pour Clément de Feillet, conseiller au Parlement de Paris, célèbre parlementaire janséniste.
Les raisons de son acte : « Parce que Sa Majesté n’a point écouté les remontrances de son Parlement », il s’est résolu à « toucher » le roi « depuis le temps des affaires de l’archevêque et du Parlement », et « s’il était le maître, dans 24 heures il en chasserait les jésuites ».
Damiens est aussi tiraillé par des sentiments dévots. Il a travaillé au collège jésuite Louis-le-Grand et a été au service d’un professeur de la Sorbonne, Le Corgne de Launay. Il veut toucher le roi, et mourir en martyr « ainsi que Jésus-Christ dans les douleurs et les tourments ».
Il a aussi exercé chez des Grands, notamment fin 1755 chez Félicité Bezin, épouse de Charles Verneuil de Sainte-Rheuse, qui était la maîtresse d’Abel Poisson, marquis de Marigny, frère de Mme de Pompadour.
La thèse du complot et l’horreur de l’exécution
Des hypothèses farfelues sont avancées. Qui a commandité cet acte ? L’Angleterre, les jansénistes, les jésuites ?
En effet, de l’argent est trouvé sur Damiens. Les enquêteurs perquisitionnent chez la femme de Damiens et saisissent de l’argent. En fait, Damiens a volé à un commerçant chez qui il travaillait depuis le 4 juillet 1756 la somme de 240 louis d’or, soit 5760 livres.
Au cours de l’interrogatoire, Damiens déclare qu’il a commis ce geste « à cause de la religion [et que] l’archevêque de Paris est la cause de tout le trouble par les sacrements qu’il a fait refuser ». On accuse donc un moment les jansénistes et des parlementaires.
Ensuite les jésuites sont soupçonnés. Damiens n’a-t-il pas travaillé chez eux ? Les jansénistes vont exploiter plusieurs événements pour donner corps au fantasme de la conspiration des jésuites : le coup de canif du « régicide » de Damiens en janvier 1757 ; l’attentat commis le 3 septembre 1758 contre le roi Joseph du Portugal dans le contexte des réformes du secrétaire d’État Carvalho et du conflit avec les missions jésuites au Paraguay ; l’exécution du père jésuite Malagrida puis l’expulsion de la Compagnie du royaume du Portugal en octobre 1759.
Les Nouvelles Ecclésiastiques du 22 mai 1757 ( pages 85-86 ) précisent :
« M. de Boulogne se rencontre avec M. L’Archevêque de Paris dans une pensée singulière, et dans la manière même de l’exprimer.
Sur ce que Damiens étoit né en France, M. de Paris avoit dit (dans son Mandement du 1er Mars) qu’on voit des monstres dans les plus belles contrées de la terre ; et M. de Boulogne (dans son Mandement du 10 Mars) dit à ce même sujet, que les contrées les plus belles donnent quelquefois naissance au plus hideux des monstres.
On a répondu au premier (Lettre d’un Solitaire) que pour savoir depuis quand l’on voit sortir du sein de la France de pareils monstres, il ne faut remonter que jusqu’à la naissance d’une Secte [les jésuites], qui a introduit dans le monde une doctrine abominable sur le parricide des Rois. »
Damiens est exécuté à Paris, en place de Grève, le 28 mars 1757. Cette exécution attire une foule énorme (Icono 4). Les tortures et la mise à mort de Damiens vont choquer. Comment est-il possible dans la France des Lumières d’exécuter ainsi un être humain ?
Le célèbre Casanova relatera dans son Histoire de ma vie ce dont il fut témoin ce jour-là :
« Nous eûmes la constance de rester quatre heures entières à cet horrible spectacle […]. Damiens était un fanatique qui avait tenté de tuer Louis XV croyant de faire un bon œuvre. Il ne lui avait que piqué légèrement la peau, mais c’est égal. Le peuple présent à son supplice l’appelait monstre que l’enfer avait vomi pour faire assassiner le meilleur des rois […]. Au supplice de Damiens, j’ai dû détourner mes yeux quand je l’ai entendu hurler n’ayant plus que la moitié de son corps. »