Casque d’Or, légendaire « fille de joie » des Apaches
En 1902, le procès de deux souteneurs passionne l’opinion. Manda et Leca sont accusés d’avoir déclenché une guerre pour la possession de Casque d’Or, la prostituée la plus célèbre du Paris des Apaches.
On se presse en ce jour de mai 1902 dans la salle du tribunal de Paris. On y juge Manda et Leca, deux Apaches [lire notre article], deux souteneurs de Belleville et Popincourt. Mais celle que tout le monde attend lorsqu’elle témoignera à la barre, c’est Amélie Élie dite « Casque d’Or ».
En cette année 1902, il y a la belle Otero, courtisane de haut-vol fréquentant les salons bourgeois et aristocratiques du Tout-Paris et il y a Casque d’Or, fleur de bitume et prostituée du quartier de Belleville, dont la renommée médiatique bat son plein.
Orpheline à 14 ans, elle commence à se prostituer dans le 11e arrondissement. À 19 ans, elle rencontre Joseph Pleigneur, dit Manda, chef de la bande des Orteaux et tombe amoureuse de son nouveau souteneur.
« C’est dans un bal en plein air, tenu le 14 juillet, avenue Parmentier, entre deux valses, à la lueur fauve des lampions, au son criard des cuivres, que furent célébrées les fiançailles.
Manda dansa avec la belle aux cheveux d’or, dîna avec elle quelques jours après dans un restaurant du faubourg du Temple, alla en sa compagnie au théâtre, puis finalement, en fit sa femme sans concours du maire et de l’Église.
La lune de miel dura quatorze mois, éclipsée cependant quelques nuits par la fugue momentanée de Casque d’Or. »
Une nouvelle Hélène pour qui l'on s'entretue
Manda est un homme occupé. Quand il ne prélève pas l’argent des passes de Casque d’or, il cambriole un peu partout dans Paris. Ses absences pèsent à la jeune femme, qui recherche de la compagnie. En 1901, elle rencontre François Leca, caïd de Popincourt, et quitte Joseph Manda. Celui-ci ne supportant pas de perdre Casque d’or (ou les revenus qu’elle lui rapporte) entreprend de se venger.
Pour les journaux, Casque d’or est une nouvelle Hélène qui déclenche une guerre de Troie dans le milieu des Apaches. Par trois fois, Manda va essayer d’assassiner Leca. La première attaque au couteau échoue grâce à la jeune femme.
« Mais déjà Manda s'élançait sur Leca ; Casque d'Or, belle de dévouement, se jeta entre les deux hommes, et le coup de couteau qui devait atteindre Leca en pleine poitrine ne fit que l'effleurer au sommet du crâne.
Leca devait sa précieuse vie à sa maîtresse ! »
Manda réitère quelque temps plus tard, armé d’un revolver cette fois-ci. Il touche Leca par deux fois mais ne peut l’achever, car un compagnon de Leca intervient.
Hospitalisé, François Leca s’en tient au code de l’honneur et ne dénonce pas Manda aux policiers qui l’interrogent. Ce qui n’empêche pas Manda de réitérer son assaut lorsque le jeune homme sort de l’hôpital avec Amélie, l’attaquant dans la voiture qui le transporte.
« Tout à coup, vous paraissez, Manda, vous bondissez sur le marchepied ; votre bras armé d'un couteau entre dans la voiture et frappe : Leca reçoit un coup en pleine poitrine qui lui traverse le poumon. »
Cette guerre passionne les journaux qui rapportent chaque événement avec de nombreux détails, les trois protagonistes n’hésitant pas à parler aux journalistes pour donner leur version de l’histoire. La « bande des Apaches » fascine, même si Casque d’Or balaye cette désignation d’un revers de la main.
« Or, de l'aveu même de Casque d'Or, la bande des Apaches n'a jamais existé, et elle-même n'a jamais été appelée à Belleville de ce surnom.
– Ce sont les journalistes, a-t-elle dit, qui ont inventé tout ça. »
Une célébrité du Tout-Paris
Amélie profite de cet engouement médiatique. Des peintres lui demandent de poser et c’est Albert Depré qui obtient de faire son portrait, qui sera exposé au Salon – au grand désespoir des critiques d’art.
« Au prochain salon, vous vous arrêterez devant le portrait d’une fille en cheveux, la cigarette au bec, la poitrine sanglée dans un caraco rouge et la main dans la poche du tablier à carreaux.
Vous demanderez le nom de cette personnalité offerte à l’admiration des visiteurs et l’on vous répondra :
– Comment vous ne la reconnaissez pas ? Mais c’est Casque d’Or, mon chéri Casque d’Or ! L’ancienne maîtresse à Manda, le chef des Apaches, vous savez cette bande d’escarpes qui terrorisaient Popincourt et Charonne.
Les temps sont bien changés. »
Casque d’Or est dans le même temps engagée aux Bouffes-du-Nord, pour jouer dans une pièce de théâtre retraçant sa vie. Là encore, on s’étrangle dans les colonnes des journaux conservateurs, soupçonnant le directeur de profiter de la publicité du futur procès.
« Il paraît, décidément, qu'on veut nous faire assister aux débuts de Mlle Casque d'Or. J'avoue que je croyais à une plaisanterie. Mais non. Rien n'est plus sérieux, ou – pour mieux dire – plus vrai.
Il y a dans Paris un petit théâtre de province qui a imaginé de nous faire cette farce. Il la trouve très drôle, et il est persuadé que le public aussi la trouvera très drôle. […]
M. le directeur des Bouffes-du-Nord a pensé qu'il pourrait être très piquant de faire coïncider les audiences avec les débuts de Mlle Casque d'Or au théâtre. Comment cette idée-là lui est-elle venue ? »
Un procès sur fond de déception
Alors, lorsque Amélie arrive à la barre pour témoigner lors du procès, tout le monde retient son souffle et se hisse du col pour apercevoir la scandaleuse. Certains journaux lui ont attribué un rôle sanguinaire de maîtresse jouissant de la violence qu’elle suscite.
« Elle avait un but, il fallait à cette femme aux cheveux de fauve des émotions violentes, elle aimait Manda, mais voulait que celui-ci versât du sang pour la posséder […].
Casque d’Or était heureuse et aimait follement son amant lorsque celui-ci s’était battu pour elle et avait reçu quelque grave blessure. Elle le soignait alors avec un dévouement absolu.
Enfin, le 20 décembre 1901, Casque d'Or faisait la connaissance de Leca. Elle prévenait Manda qu’elle appartiendrait au vainqueur. D’où la lutte homérique que l’on connaît et qui s’est terminée par l'arrestation de Joseph Pleigneur. »
D’autres se sont attardés sur sa blondeur, vantant le « rayonnement d'une chevelure qu'ont chantée tous les poètes des faits divers et les bardes du reportage ».
Lorsque la jeune fille s’avance dans la salle du tribunal, les journalistes en sont presque déçus.
« La fille Hélie, dite Casque d'Or, justifie mal son surnom.
C'est une petite blonde de vingt-deux ans, aux cheveux assez abondants tassés sur le front, d'une nuance très légèrement cuivrée, au teint mat et fatigué, aux yeux noirs peints, plutôt jolie que laide, ayant les allures d'une figurante de café-concert, avec son chapeau-galette noir, sa blouse et sa jupe en drap, couleur vert passé. »
Pire, selon L'Échos de Paris, elle « manque de relief ».
« Signalement : une abondante chevelure blonde écrasée, emprisonnée sous un vulgaire chapeau de deuil ; un front dissimulé sous les cheveux, dont on ne devine pas la forme.
Des yeux petits et bleus ; un nez moyen, comme disent les permis de chasse, le reste du visage ordinaire.
Quant à la taille : enveloppée dans un long fourreau de drap couleur caca de poule, elle paraît cylindrique ; du menton au bout des pieds, la ligne est étroite ; et elle est également droite du chignon au talon. »
On est loin de l’image d’une reine de Saba rendant les hommes fous d’amour. La jeune femme apparaît émue et apeurée.
« Casque d'Or est si fort émue que sa voix s'étrangle.
Songez donc qu'elle est prise entre Leca et Manda ; elle a raison de redouter l'effet de ses paroles, car si ces deux hommes sont en prison, ils ont laissé des amis qui sont en liberté et pourraient punir ses écarts de langage.
Il lui faut concilier les intérêts de l'un avec ceux de l'autre, et ces intérêts sont contraires ! »
Le procès s'étend sur une petite semaine, au terme de laquelle les deux hommes sont condamnés aux travaux forcés et au bagne en Guyane – d’où ils ne reviendront ni l’un ni l’autre.
Avant d’embarquer, François Leca se marie en prison avec Victorine, un amour de jeunesse, reléguant Casque d’Or à son rôle de prostituée.
Amélie continue de se prostituer puis devient bonnetière et épouse un cordonnier en 1917. Elle mourra en 1933, à l’âge de 55 ans.
Quelque vingt années plus tard, Casque d’Or ressuscitera sous les traits de Simone Signoret, dans le célèbre film éponyme de Jacques Becker.