L'affaire du sous-marin piraté par des franquistes à Brest
En 1937, la rade de Brest est le théâtre d’un acte de piraterie hors du commun, organisé par des officiers nationalistes espagnols contre un sous-marin du gouvernement républicain.
En septembre 1937, « l’affaire du C-2 » va occuper les unes des journaux français pendant plusieurs jours. Il faut dire que l’histoire n’a rien de banal puisqu’elle met en scène un épisode de la guerre civile espagnole sur le territoire français.
Tout commence le 1er septembre 1937 : le sous-marin C-2 espagnol arrive en rade de Brest pour effectuer des réparations (il a été bombardé par la légion Condor quelques jours plus tôt dans le port de Gijon). À son bord, un équipage entièrement fidèle au gouvernement républicain. Entièrement ? Pas tout à fait. Son commandant, José Luis Ferrando Talayero, est en fait un officier franquiste dissimulé.
Dans la soirée du 18 septembre, alors que la majorité de l’équipage est descendue en ville, un canot aborde le sous-marin.
« Le matelot de garde sur le pont voyait, à 21 heures, un canot à rames accoster le sous-marin à bâbord.
Il fit les premières sommations, car les visiteurs nocturnes n'étaient par revêtus d'uniformes, mais au contraire habillés de combinaisons bleu de chauffe. Un homme se leva et dit en espagnol : “Je suis chargé d'instructions urgentes et secrètes de la part du gouvernement espagnol. Je voudrais voir le commandant.” […]
Lorsque le commandant Ferrando arriva, il reconnut en lui son collègue Don Jésus de Las Haras, commandant du C-4. »
Le commandant du sous-marin C-4 (agent de Franco comme Ferrando) et ses hommes sont armés. Ils se rendent maîtres des quelques marins restés à bord et les ligotent dans le carré. Ils essayent alors de faire partir le sous-marin, mais les moteurs sont défectueux.
Par précaution, les commandants ordonnent une fouille complète du bâtiment. Un homme d’équipage s’est en effet caché à leur arrivée.
« Effectivement, ils découvrirent, caché dans le kiosque, le matelot qui était là, à son poste de veille, et partageait son temps entre la lecture et le fourbissage des cuivres.
Ils le sommèrent de se rendre. L’autre refusa. […]
De guerre lasse, Gabarain se décida à monter jusqu’au kiosque, pour mettre à la raison l’irréductible, mais il n’avait pas gravi trois échelons que Diego, qui est un tireur d’élite, lui envoyait, en plein crâne, une balle de gros revolver américain, calibre 38 millimètres. »
Devant la détermination d’Augusto Diego, les assaillants s’enfuient en chaloupe.
Le marin républicain court délivrer ses camarades et actionne la sirène de bord, déclenchant l’alarme dans le port de Brest. En quelques minutes, la police municipale, la police spéciale et les autorités civiles et militaires sont alertées. Les franquistes s’enfuient en automobile.
« Les fugitifs parvinrent avec leur canot rapidement à quai et disparurent dans trois autos, dont la 722 MN 3, déjà signalée à toutes les polices de France comme étant conduite par Orendain, terroriste recherché pour les attentats de l’Étoile. »
En effet, outre la découverte des agents franquistes, la piste mène les enquêteurs vers les terroristes d’extrême droite français de la Cagoule, responsables de l’attentat de l’Étoile le 11 septembre précédent, dans lequel deux bombes tuent deux gardiens de la paix.
La voiture est localisée et arrêtée en Gironde.
« Aujourd’hui, à 13 h 30, la brigade de Talence aperçut, filant à toute allure, une automobile qui correspondait au signalement de celle des agresseurs.
Une demi-heure plus tard, la brigade de Belin, que commande le maréchal des logis Bordes, arrêtait le véhicule et procédait à l'arrestation des occupants.
Parmi ceux-ci, qui sont au nombre de six, se trouvait un Français, M. Chaix, bien connu dans les Basses-Pyrénées pour ses attaches avec les nationalistes espagnols, et Jésus Las Heras, commandant du sous-marin C-4, en réparation à Bordeaux. »
Robert Chaix, négociant et journaliste autoproclamé, est également soupçonné de liaisons avec la Cagoule.
« Enfin, l'enquête entreprise pour dépister les “cagoulards” suit son cours.
Des vérifications nombreuses sont opérées, notamment dans le Midi de la France et à Nice, en particulier.
Le Français Chaix, arrêté lui aussi parmi les assaillants du sous-marin ne faisait-il pas partie des sociétés secrètes ? »
Les agents franquistes qui ont opéré n’ont pas été menés par du menu fretin. En effet, outre Las Heras, on découvre rapidement l’implication du commandant Julian Troncoso, gouverneur d’Irun, l’un des chefs des services secrets de Franco.
Le 30 septembre, il avoue sa participation dans une lettre adressée à son avocat, affirmant avoir agi en franc-tireur.
« “Non seulement je confirme prendre l'entière responsabilité de tout ce qui concerne la tentative de livraison aux nationalistes du sous-marin C-2, mais encore je reconnais être venu par deux fois à Brest à cette occasion et m'être trouvé en personne sur le sous-marin au moment du coup de main.
Si jusqu'à ce jour j'ai voulu dissimuler ma présence à Brest, c'était parce que je n'avais pas mis préalablement mes chefs au courant de ce que j'avais projeté, ceux-ci m'ayant toujours formellement interdit de faire quoi que ce soit en France et ignorant par conséquent mon initiative dont je ne voulais leur rendre compte qu'après le succès du projet, succès désiré de tout mon cœur de bon patriote espagnol.” »
Six mois plus tard, en mars 1938, le procès du C2 s’ouvre avec quatre inculpés : le commandant Troncoso, Manuel Orendain, Saratz Satrustégy et Robert Chaix.
Étonnement, les chefs d’inculpation ont fondu comme neige au soleil : les nationalistes espagnols et leur comparse français sont poursuivis pour « port d'armes prohibées, détention d'armes de guerre, importation d'armes étrangères et pour un certain nombre de délits douaniers ».
« Aussi bien, la chambre des mises en accusation de la cour de Rennes a décidé, il y a quelques jours, d'accorder un non-lieu général en ce qui concerne l'inculpation de tentative de vol qualifié d'un sous-marin.
De son côté, le juge d'instruction de Brest a prononcé un non lieu en faveur de deux des personnes arrêtées en même temps que les inculpés d'aujourd'hui : le marquis Parella de Miravallès, qui servit de chauffeur à Troncosso, pour l'amener d'Espagne à Brest, et le capitaine de Las Heras, qui commandait le sous-marin “C-4” relâché au Verdon, près de Bordeaux. »
Pendant les audiences, les témoins de moralité en faveur de Julian Troncoso se multiplient. Jusqu’à Jean Herbette, ancien ambassadeur de France en Espagne, qui fait parvenir une lettre louant l’attitude du gouverneur d’Irun.
« L’ambassadeur ajoute que le commandant Troncosso a fait “tout ce qui dépendait de lui pour adoucir des épreuves ou pour sauver des vies qui étaient plus d'une fois celles d'adversaires notoires” et que son attitude fait penser qu'il n'agissait pas uniquement en vertu d'un principe général de conduite, mais aussi à cause d'un attachement particulier envers la France. »
Malgré un réquisitoire sévère du ministère public qui rappelle l’introduction et la détention d’armes de guerre en France ainsi que les violences à l’égard de l’équipage, le verdict s’avère particulièrement clément.
« Le tribunal correctionnel de Brest a acquitté Chaix et condamné Troncoso, Orandain et Seratz à 6 mois et 5 jours de prison. […]
Donc, d'après ce jugement, Chaix a été relâché dès hier. Quant aux autres ils ont encore trois jours de prison à faire. Ils sortiront donc samedi matin. »
Quelques jours plus tard, Troncoso franchit le pont qui enjambe la Bidassoa pour retourner à Irun. Il y sera démis de ses fonctions par les hautes autorités franquistes.