1910 : l’Afrique du Sud devient indépendante
Lorsque quatre colonies anglaises s’unissent pour devenir un dominion de la couronne en Afrique, une Constitution est rédigée afin d’apaiser les tensions entre Anglais et Boers – oubliant volontairement les Noirs, l’immense majorité des habitants.
Le 1er juin 1910, une nouvelle entité apparaît sur le continent africain. Quatre colonies anglaises, le Transvaal, le Cap, l’Orange et le Natal, deviennent l’« Union d’Afrique du Sud », nouveau dominion de la Couronne britannique. Cette naissance force l’admiration de plusieurs journaux français.
« Si l’on songe qu’il y a dix ans la guerre battait son plein et qu’aujourd’hui, par un de ces phénomènes d’adaptation où excelle la Grande-Bretagne, les quatre colonies s’unissent en une Constitution définitive, on ne peut refuser à l’esprit politique dont s’inspire cette solution l’hommage d’une juste admiration. »
En effet, la guerre qui a opposé l’Angleterre aux Boers (descendants des premiers colons hollandais et allemands, de langue néerlandaise) a pris fin en mai 1902 avec la victoire de l’armée anglaise. Le traité de Vereeniging qui s’en est ensuivi a annexé la république sud-africaine du Transvaal et l’État libre d’Orange à la Couronne britannique.
Cependant, après quatre ans de négociations, les quatre colonies et l’empire arrivent à un accord avec le South Africa Act, lequel consacre le nouvel État appartenant à la monarchie britannique. Sa Constitution s’appuie sur un pouvoir parlementaire centralisé, sur le modèle anglais.
« La Constitution sud-africaine stipule que d’une façon générale, le Parlement de l’Union aura “plein pouvoir pour légiférer en vue de la paix, du bon ordre et du bon gouvernement de l’Afrique du Sud”.
Les provinces, administrées par un conseil provincial, ne conservent que des fonctions strictement spécifiées, telles que le contrôle du budget local et de l’enseignement primaire, l’entretien des routes, des institutions de bienfaisance, etc. Encore le Parlement aura-t-il le droit de restreindre ces pouvoirs locaux dans la mesure où il le jugera nécessaire.
Ainsi que le souhaitait lord Milner, l’Union sud-africaine sera non pas une fédération, mais un État aussi centralisé que le Royaume-Uni lui-même. Elle échappera ainsi à toutes les difficultés constitutionnelles qui paralysent, pour la plus grande joie des trusts, l’action du gouvernement américain.
Elle n’était hier qu’une collection de petites communautés jalouses les unes des autres. La voici devenue, dans le sens le plus fort du mot, une nation. »
À la tête de cette nouvelle nation, Louis Botha, ancien général de l’armée du Transvaal, devenu l’homme de la réconciliation avec l’Angleterre après la guerre.
« Il était équitable que le général Botha fût le chef de ce ministère d’union. C’est le Transvaal en effet qui a été le promoteur de l’union. C’est lui qui apporte à cette union sa base la plus forte.
Le Transvaal est un centre moral. C’est aussi un centre matériel. Seul des quatre colonies, il est dans une situation financière prospère. Les hommes qui le gouvernent ont fait leurs preuves et seront utiles à l’union nouvelle. »
Ce nouveau pays est aussi, selon la presse française, une promesse de paix et de fin de division « raciale ». En effet, Boers et Anglais sont désormais appelés à vivre ensemble pour construire un nouvel État.
« Il peut même sembler que l’opposition entre les deux races blanches, anglaise et hollandaise, qui si longtemps divisa l’Afrique du Sud, soit sur le point de disparaître. Tous les discours, tous les écrits relatifs à la mise en vigueur de la Constitution nouvelle ne parlaient que de la disparition du “racialisme”, et de la réconciliation définitive des deux races. »
Une condition cependant pour que cette concorde voie le jour : trouver une solution au problème des deux langues (hollandais et anglais), en réfléchissant à un système éducatif commun.
« Un autre problème risque de faire ressortir encore cet antagonisme latent : celui de l’éducation. Sans doute, aux termes de la Constitution, l’anglais et le hollandais sont les deux langues officielles ; ils doivent jouir d’une complète égalité de droits.
Il n’en est pas moins vrai, comme en ont fait foi les conflits récents qu'il a soulevés dans l’État d’Orange, que le problème de renseignement bilingue et des droits respectifs de l’anglais et du hollandais est encore loin d’être résolu en Afrique du Sud. Il n’en est guère de plus délicats, comme aussi de plus décisifs pour l'avenir de la colonie. »
Dans ce concert d’espoir de paix dans un nouveau pays blanc en Afrique, quelques journaux pointent toutefois un problème qui n’est pas résolu : celui des Noirs. Si la Province du Cap avait précédemment octroyé quelques droits aux « indigènes », ceux-ci disparaissent dans la nouvelle Constitution.
« Le premier de ces problèmes, celui dont le Parlement impérial s’est le plus souvent préoccupé, est celui de la représentation des indigènes.
En Afrique, la colonie du Cap avait aboli toute inégalité politique entre les races, tandis que le Transvaal et l'Orange refusaient obstinément d’affranchir les indigènes. Sacrifier les droits des hommes de couleur eût été consentir à un recul ; en s’obstinant à les étendre, on se fût aliéné les Boers. »
Les libéraux qui ont fait campagne sur des principes d’égalité ne se sont pas manifestés contre le déséquilibre flagrant de la nouvelle Constitution. Tout juste ont-ils « déclaré solennellement qu’ils regrettaient les clauses concernant les gens de couleur » avant de voter la loi.
L’inégalité de cette nouvelle « démocratie parlementaire » est flagrante. Dans un pays qui compte 80 % de Noirs, ceux-ci n’ont accès qu’à un pourcentage infime des terres (de 7 % à 13 %) et n’ont plus de représentation au Parlement. La Petite République prédit que les tensions entre les deux « races » blanches s’apaiseront pour faire face à la colère future des indigènes.
« Tôt ou tard elles seront amenées à s’unir contre les races indigènes, contre les noirs dépossédés qui forment l’immense majorité des habitants sinon des citoyens de la fédération nouvelle. […]
Les droits des Hottentots, Cafres et Zoulous sur leurs terres, les privilèges politiques qui leur sont ou leur pourraient être accordés, le degré de représentation qui leur sera attribué, ce sont autant de problèmes imparfaitement résolus, et dont la Constitution nouvelle transmet la charge à l’Assemblée fédérale. […]
Les indigènes ne tarderont pas sans doute à exiger qu’une part leur soit faite dans le gouvernement de l’Afrique du Sud. […] À ces divers titres ils admettront difficilement qu'ils puissent être traités en races esclaves ou sujettes. »
La Constitution de 1910 oublie donc volontairement 80 % des habitants de la nouvelle Afrique du Sud. En 1913, le pays vote le Native Land Act qui prive définitivement les Noirs de droit sur leurs propres terres.
Cette loi inique restera en vigueur jusqu’en 1948, date à laquelle l’Afrique du Sud choisira un nouveau système de ségrégation institutionnelle : l’apartheid.