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1934 : la révolution des mineurs dans les Asturies

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Le 5 octobre 1934, une grève d’ouvriers des mines éclate dans le nord-ouest de l’Espagne et se transforme en véritable révolution. Pendant quinze jours, la république asturienne défie l’État espagnol – avant de se clôturer dans le sang.

En cet automne 1934, plusieurs grèves éclatent en Espagne contre le gouvernement républicain de droite dont les mesures antisociales exaspèrent la classe ouvrière. Dans le nord-ouest du pays, sur la côte atlantique de la région des Asturies (dont la ville principale est Oviedo), un mouvement de mineurs autonome revendique d’authentiques ambitions révolutionnaires.

Dès le 6 octobre, le quotidien communiste L’Humanité relate les premières tensions.

« D’après des nouvelles de source particulières, venues d'Oviedo, le mouvement dé grève générale revêt dans les Asturies, un caractère nettement révolutionnaire.

Les communications entre Oviedo et Madrid sont assez difficiles en ce moment et il est impossible d'obtenir des précisions.

Dans le bassin minier des Asturies, le travail est complètement arrêté et les chemins de fer ne circulent pas. À Oviedo, des mitrailleuses ont été mises en batterie sur la place de la République et des troupes sont attendues venant d’Astorga ; on attendrait même des avions.

II y aurait 7 tués et une trentaine de blessés au cours des engagements. »

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Le très conservateur La Croix dénombre les premiers morts, relayant le communiqué du gouvernement espagnol qui affirme – à tort – que le mouvement est déjà maté.

« À Mieres, la police a subi des pertes considérables. On parle d’une dizaine de gardes d’assaut morts. des troupes sont parties d’Oviedo, de Valladolid, Palencia, Leon et autres garnisons pour tâcher de réduire les rebelles.

Ceux-ci ont fait prisonniers les gardes d’assaut et les gardes civils. Ils se seraient d’abord emparés des gardes civils, puis, les faisant marcher devant eux, ils auraient ensuite assiégé le poste des gardes d’assaut. La fusillade entre policiers et révoltés a duré huit heures. Les révolutionnaires auraient au moins dix tués. […]

Au commencement de l’après-midi, le ministre de l’Intérieur a annoncé à la presse que le mouvement révolutionnaire des Asturies était complètement terminé, et qu’il n’y a pas à craindre de nouveaux troubles, étant donnée l’importance des forces gouvernementales sur les lieux. »

En réalité, la révolte n’en est qu’à ses premiers jours. Vite, les ouvriers s’organisent non seulement pour riposter, mais aussi pour former leur propre gouvernement socialiste. À l’image du grand-frère russe, ils créent plusieurs soviets (des conseils) dans le but d’agir démocratiquement et en commun sur leur condition, tout en résistant militairement aux forces gouvernementales.

« Dans chaque ville, écrit le correspondant du “Daily Worker”, dans chaque village, dans chaque district paysan furent créés des soviets d’ouvriers et de paysans. Ces soviets ont dirigé la lutte et organisé l’ordre révolutionnaire.

Tous les décrets et les ordonnances étaient signés : le gouvernement ouvrier-paysan. […]

La propriété privée fut abolie ainsi que la rente. »

Dans le même temps, ils fondent une « armée rouge » créée sur le modèle de l’armée soviétique, laquelle tient en échec les forces de l’ordre envoyées par Madrid. Le gouvernement ne lésine cependant pas sur les moyens pour mater l’insurrection et envoie trois colonnes, dont l’une est formée de troupes coloniales marocaines, débarquées à Gijon et dirigées par un certain général Franco.

« La première colonne, qui comprend 2 500 hommes et des forces d'artillerie, et que commande le général Bosch, avait atteint les collines de la région sud de Mieres. La seconde, commandée par le général Lopez Ochoa, a été débarquée par la marine de guerre, au petit jour, dans le port d'Aviles.

Les insurgés d'Aviles, qui l'attendaient par terre et non par mer, ont dû abandonner la place. Sur quoi, le général Lopez Ochoa, poursuivant son avance, est entré dans Oviedo.

La troisième colonne, un détachement d'infanterie de marine, débarqué à Gijon par le croiseur Libertad, se dirige, elle, aussi, vers Oviedo. Comme on voit, il ne s'agit plus d'une simple opération de police, mais d'une véritable guerre où il faut observer toutes les règles de la tactique. »

Affiche républicaine placardée pendant la Guerre d'Espagne et rappelant les grèves des mineurs des Asturies, 1938 - source : Domaine Public
Affiche républicaine placardée pendant la Guerre d'Espagne et rappelant les grèves des mineurs des Asturies, 1938 - source : Domaine Public

Les rebelles asturiens vont tenir quinze jours face à ce déploiement de forces. Ils ont pour eux le nombre (on parle de plus de 50 000 insurgés), le relief escarpé des Asturies mais surtout, leur savoir-faire. En effet, tous les mineurs savent manier des explosifs. Mieux, ils savent en produire.

« Les insurgés avaient installé une fabrique de bombes. Une fois les ouvriers maîtres de la ville, le Soviet a confisqué les principales usines où ils s’étaient mis à fabriquer des matières explosives.

On signale qu’au cours d’une seule journée, dix camionnettes chargées de bombes étaient sorties de ces fabriques. Ces bombes étaient transportées dans un tunnel, où des équipes de révolutionnaires terminaient leur fabrication et les expédiaient sur plusieurs points du front de la révolution. »

Face à cette résistance organisée et efficace, l’armée emploie tous les moyens, y compris aériens. Les autogyres, petits monoplaces à hélices, sont préférés aux avions qui ne peuvent atterrir sur le relief montagneux.

« L’autogyre de La Cierva fit ses preuves comme engin militaire partout dans les Asturies, le terrain accidenté rend impossible l'atterrissage d'avions ordinaires.

L'autogyre y remplaça ces derniers et joua un rôle de premier ordre dans la répression des foyers rebelles.

Ajoutons qu'en général, les forces aériennes ont largement contribué à maîtriser la révolte, et ce n'est qu'en dernier lieu que la reddition des insurgés doit être attribuée à l'intervention des avions. Les bombardements ont été notamment très efficaces à Oviedo, à Mieres et à  Soto del Rey. »

Travailleurs arrêtés par les forces gouvernementales pendant l'insurrection des Asturies, 1934 - source : Illustrated Daily Courier-Domaine Public
Travailleurs arrêtés par les forces gouvernementales pendant l'insurrection des Asturies, 1934 - source : Illustrated Daily Courier-Domaine Public

Par air ou sur le terrain « on tue en masse », comme l’annonce L’Humanité – y compris des prisonniers.

« On tue en masse dans les Asturies. Les ouvriers sont abattus par les pelotons d'exécution. À Oviedo seulement, d'après une information officieuse, il y a 2 000 morts.

Or, on a publié qu'il y avait eu 600 cadavres de combattants ouvriers. Le général Lopez Ochoa a donc fait, au bas mot, dans cette ville, fusiller 1 400 prisonniers. »

La légion étrangère, l’une des trois colonnes d’infanterie mobilisées, se révèle particulièrement brutale vis-à-vis des insurgés.

« Les légionnaires ont fait un véritable nettoyage des ennemis à Oviedo, et avec leurs méthodes expéditives […] ils ont su “régler leur compte” à tous ceux qui furent trouvés les armes à la main ou surpris dans des attitudes agressives (!).

Le châtiment a été exemplaire et d'accord en tout moment avec les plus sévères lois de la guerre. »

Les historiens s’accordent aujourd’hui sur un total de 3 000 insurgés  assassinés au cours de cette courte mais authentique révolution menée dans la province des Asturies. Ceux qui réussirent à s’enfuir à la suite du mouvement vinrent pour la plupart s’installer en France.

La république socialiste des Asturies instaurée par des ouvriers pour lutter contre le fascisme émergeant ne dura que quinze jours. Mais elle marqua profondément le mouvement social espagnol des années à venir et de l’ensemble du XXe siècle.

Pour en savoir plus :

Guy Hermet, Les Communistes en Espagne, Étude d’un mouvement politique clandestin, Armand Colin, 1971

Mercedes Yusta, Vierges guerrières et mères courage : le panthéon des communistes espagnoles  en exil, in: Clio, Histoire, Femmes et Société, 2009