Long Format

Le Miracle des loups, revanche du cinéma français sur Hollywood

le par - modifié le 01/01/2021
le par - modifié le 01/01/2021

1924. Deux ans après le triomphe du Robin des Bois d’Allan Dwan, la réponse de la France au défi hollywoodien s’organise avec Le Miracle des loups. Aux décors factices construits en studio pour les besoins du tournage de la superproduction américaine, la Société des Films Historiques oppose le cadre des véritables vestiges français tel que le château de Carcassonne.

Le soir du 14 novembre 1924, le président Gaston Doumergue et les membres du gouvernement se rendent à l’Opéra de Paris afin d’assister à la première du Miracle des Loups, film qui a pour toile de fond la lutte entre le roi Louis XI et le duc de Bourgogne Charles le Téméraire dans la France de la fin du XVe siècle. Un tel geste, rapporté dans de nombreux journaux comme Cinéa du 15 novembre 1924, mérite d’être expliqué. C’est en effet la première fois en France que le cinéma bénéficie d’une telle bénédiction politique.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Celle-ci ne peut se comprendre sans revenir quelques années en arrière. En 1922, le film Robin des Bois de et avec Douglas Fairbanks, grande star d’Hollywood, triomphe sur les écrans aux États-Unis, mais aussi en France. La presse hexagonale s’extasie devant cette superproduction. Des commentateurs travaillant pour les studios hollywoodiens, comme Robert Florey (qui deviendra par la suite réalisateur à Hollywood) inonde les journaux de longs articles dithyrambiques à la gloire du film américain, comme dans L’Écho d’Alger le 22 novembre 1922. De son côté, Harry B. Lachman, peintre américain vivant à Paris, consacre dans Comœdia du 18 avril 1922, un long développement au faux château construit pour besoin du tournage dans les studios d’Hollywood :

« Nous partîmes ensemble visiter les sets monstrueux que Fairbanks a fait construire sur les immenses terrains dont il est propriétaire. Nous vîmes de loin un château féodal, imposant par sa structure de colosse massif et semblant écraser les infimes bungalows des alentours. Je restais médusé.

Ce château reconstitué, avec ses cours et ses dépendances, ses tours hautes de plusieurs centaines de pieds, avait des murs certainement aussi épais que ceux de ses frères français. Seulement, il était tout neuf, mais il paraît qu’ainsi l’exigeait le scénario du film pour lequel il était construit. Ce château n’était pas encore achevé, et quelques centaines d’ouvriers travaillaient ferme à bâtir son aile gauche. […] Le château du seigneur Fairbanks possède ainsi quelques douzaines de murs énormes dont on ne peut reconnaître à l’œil la constitution, si l’on n’a pas assisté au préalable à la construction. La projection achève de donner le change, et il est impossible de juger sur l’écran si l’on a devant soi du vrai ou du faux. […] Un décor comme celui du château féodal de Fairbanks ne coûte pas moins de deux cent cinquante mille dollars. »

Des décors plus vrais que leurs modèles ? Douglas Fairbanks, pas avare de gasconnades, va même plus loin dans ses interviews, notamment dans celle rapportée dans les pages de Mon Ciné n° 26 (17 août 1922) où il dit :

« Quand Robin Hood aura été tourné, je gagnerai une fortune en laissant rouiller tout ce stock de ferraille. Je le vendrai ensuite, pièce par pièce, à des amateurs d’antiquités, en leur affirmant que tout ça est authentique et descend réellement des Croisés. »

Le cinéma américain, avec du faux, ferait donc plus rêver que les vrais châteaux de France. Voilà qui ne manque pas de piquer au vif les professionnels du 7e art français et les tenants du roman national qui souhaitent trouver un moyen, après les dévastations de la Grande Guerre, de promouvoir un récit patriotique édifiant. En 1923 est ainsi fondée la Société des Films Historiques dans le but de produire des longs-métrages glorifiant le passé de la France. Son président, le duc d’Ayen ne fait pas mystère des objectifs de la SFH dans une intervention rapportée dans les pages de Comoedia le 18 avril 1924 qui semble répondre, à deux ans de distance, à l’article d’Harry B. Lachman :

« Le but que nous nous proposons dans un dessein de propagande et d’éducation populaire se borne à l’exécution d’une série de films passant en revue l’histoire de France […] Bien que ces films comprennent une action romanesque, la vérité n’y sera jamais sacrifiée à l’imagination […], ces romans serviront de cadre, et, si, l’on peut dire, de véhicules à une leçon d’histoire. Cette vérité et cette fiction y seront toujours étroitement mêlées, celle-là toujours respectée, celle-ci toujours vraisemblable. […]

Le roman sera illustré de scènes, de tableaux, d’images et de vues historiques […] tous rigoureusement reconstitués jusque dans le menu d’après des documents authentiques par une commission d’historiens éprouvés. […] Notre but enfin, n’est pas de faire une leçon d’histoire austère et sévère, mais d’apprendre notre passé au public du monde entier eu l’intéressant et en l’amusant. C’est ce qu’ont merveilleusement compris nos amis les Américains. N’avons-nous pas tous admire leurs incomparables films ? »

 

Le Miracle des loups, premier film de la SFH, illustre parfaitement ce programme. Les commentateurs insistent particulièrement sur le fait que les grandes scènes de bataille ont été tournées devant le château de Carcassonne, comme une manière d’opposer les véritables vestiges français aux décors factices du Robin des Bois de Fairbanks, comme l’explique René Jeanne (lui-même scénariste) dans les pages du Petit Journal du 17 avril 1924 :

« Le fait est d’autant plus intéressant à noter qu’il marque une date, celle où l’Histoire de France, si souvent parodiée par l’étranger (avec l’excellente intention de la reproduire), sera évoquée en France même, par des metteurs en scène français, avec des acteurs et des figurants français. Ainsi notre histoire nationale sera-t-elle portée à l’écran, découpée non pas en films sèchement didactiques ou comiquement romanesques, mais en une suite de romans filmés pittoresques.et mouvementés se déroulant dans des cadres historiques rigoureusement exacts […].

On s’extasie facilement sur les tours de force qu’accomplissent de l’autre côté de l’Océan les metteurs en scène du Cinéma américain et l’on a bien raison, car de Los Angeles et de New York, nous sont venus quelques films qui méritaient notre admiration, et non pas seulement parce qu’ils venaient de loin. Mais quel est le metteur en scène américain qui aurait pu nous faire assister au siège de Beauvais que M. Raymond Bernard, animateur du Miracle des Loups, vient de, nous montrer sans le secours de ces décors de carton de plâtre et de bois chers aux cinégraphistes d’outre-Atlantique et d’outre-Rhin ? La France est un pays qui conserve de son passé des vestiges formidables et magnifiques et, puisque Beauvais a perdu les remparts ; les donjons, les herses et les tours contre lesquels vint se briser l’élan de Charles le Téméraire, il était impossible qu’on ne trouvât pas parmi nos autres vestiges, les tours, les herses, les donjons et les remparts capables de nous donner l’illusion d’être ceux de Beauvais. Alors — et tout naturellement —, on se tourna vers Carcassonne. »

Le Miracle des loups se veut donc être une réponse au défi hollywoodien. Outre des historiens, la production demande et obtient l’aide de l’armée pour constituer ses troupes de figurants, notamment lors des scènes de batailles. Elle fait également appel à des personnalités connues par le public. Job, qui avait illustré en 1905 un livre pour la jeunesse consacré à Louis XI, est ainsi embauché pour réaliser les costumes du film dont il a laissé des esquisses visibles sur le site de Gallica.

Le résultat est à la hauteur des attentes : Le miracle des Loups rencontre un grand succès international. Le journal britannique The Sketch lui consacre ainsi le 18 février 1925 un reportage photo complet.

Le film est également joué en Amérique en 1925, fait remarqué dans la presse nationale. L’Excelsior du 26 mars 1925 titre par exemple en page 5 : « Grand succès français aux États-Unis » avant d’écrire « La Société des romans historiques filmés a le droit d’être fière d’avoir ainsi porté haut, à l’étranger, l’art français »

Pareillement, sur le marché cinématographique français, le succès du film de Raymond Bernard est applaudi comme un moyen de faire barrage aux productions américaines, comme il est écrit en 1925 dans un article de la revue professionnelle Science et industries photographiques :

« Échange de films entre l’Allemagne et la France […] On a échangé Les Nibelungen contre Le Miracle des Loups. Cette façon de faire, qui soulage d’une façon très sensible l’amortissement des négatifs, aura encore, espère-t-on, un autre résultat, celui d’offrir une meilleure résistance à l’invasion des films américains. »

Mais le triomphe du Miracle des Loups n’est pas unanime. D’aucuns pointent en effet une vision pour le moins conservatrice de l’histoire de France. Il est vrai que, dans les comités de la SFH supervisant la production des films, on retrouve des noms d’intellectuels proche des milieux réactionnaires : Henry Bordeaux, auteur notamment d’une biographie de Guynemer mais aussi l’historien Louis Madelin. D’ailleurs L’Action française se félicite de la sortie du film de Raymond Bernard dans son édition du 12 novembre 1924, d’autant plus que l’organisation monarchiste investit beaucoup de temps et d’énergie pour réhabiliter et glorifier le passé royal de la France.

Autant d’éléments que ne manque pas de pointer un long article de la revue La Rampe paru en décembre 1924 qui, tout en soulignant la réussite esthétique du film, s’étonne :

« Le metteur en scène, en présentant son œuvre sous la forme d’une reconstitution historique du XVe siècle français […] a agi très imprudemment. On comprend parfaitement son désir de réaliser une brillante affaire et assurer de gros bénéfices à des commanditaires généreux, mais il a eu tord certainement de présenter une œuvre […] comme le résultat d’un effort collectif, quasi-national, auquel se furent associés des milieux officiels même. Sait-il comment vient d’intituler un grand journal étranger le compte rendu de la présentation du Miracle des Loups à l’Opéra ? “La France républicaine célèbre ses rois”, tel est le titre de cet article, très bienveillant d’ailleurs.

Ce n’est que de temps en temps que de vagues allusions à “l’esprit militariste français qui pénètre même dans le domaine du cinéma”, on puisse relever par-ci par-là… autre chose encore… Mais qu’importe tout cela devant une longue théorie de semaines de location en perspective et des rentrées brillantes qui justifieront […] la mise en chantier du nouveau film de M; Raymond Bernard, Charles IX, qui aura pour but, peut-être, de montrer les bienfaits de la Saint-Barthélemy. »

Ces critiques n’empêchent pas Le Miracle des Loups de faire date. Un remake sera produit en 1961 avec notamment Jean Marais. Mais ce long-métrage à grand spectacle de « propagande » nationale, outil de lutte culturel, nous apprend en fin de compte plus sur le temps de sa conception que sur celui qu’il était censé représenter.

William Blanc est historien, spécialiste du Moyen Âge. Il est notamment l'auteur de Le Roi Arthur, un mythe contemporain, paru aux éditions Libertalia.

Pour en savoir plus :

François Amy de la Bretèque, L’imaginaire médiéval dans le cinéma occidental, Paris, Honoré Champion, 2004

William Blanc, «  Le Miracle des Loups. Carcassonne contre Hollywood », in: Histoire et Images médiévales, n° 57, 2014. p. 14-16

Eric Bonnefille, Raymond Bernard, Fresques et Miniatures, Paris, L’Harmattan, 2010.