Chronique

1920 : Le putsch de Kapp brisé par les travailleurs d’Allemagne

le 25/12/2019 par Julien Chuzeville
le 26/11/2018 par Julien Chuzeville - modifié le 25/12/2019
Photographie d'une manifestation contre le putsch de Kapp-Lüttwitz à Berlin, Allemagne, 1920 - source : WikiCommons
Photographie d'une manifestation contre le putsch de Kapp-Lüttwitz à Berlin, Allemagne, mars 1920 - source : WikiCommons

Le 13 mars 1920, un putsch militaire renverse le gouvernement républicain à Berlin : le nationaliste Wolfgang Kapp prend la tête du nouveau gouvernement. Mais une grève générale à l’appel des syndicats et des partis ouvriers va sauver la République.

Le 13 mars 1920 au matin, un peu plus d’un an après la signature de l’armistice puis l’approbation du Traité de Versailles, le général von Lüttwitz, commandant monarchiste du Reichsgruppenkommando de Berlin et pourfendeur du « coup de poignard dans le dos » prétendument infligé à l’armée allemande, mobilise quelque 6 000 soldats afin de faire tomber la république de Weimar présidée par Friedrich Ebert. Il organise une marche sur Berlin.

La batterie occupe dès lors les quartiers gouvernementaux, décrétant la mise en place d'un gouvernement provisoire d’extrême droite, dont Wolfgang Kapp, membre du parti Nationale Vereinigung et proche du général Ludendorff, deviendrait le dirigeant.

Dès le 13 mars, le jour même du déclenchement du putsch, la presse du soir à Paris titre sur l’événement. Le Populaire, quotidien socialiste, alerte sur toute la largeur de manchette d’un « Coup d’État militaire en Allemagne ». Et il est précisé plus loin :

« Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que la situation, à Berlin, serait des plus graves. […] Le complot monarchiste et militariste a réussi. »

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Le Temps, quotidien « de référence » de l’époque, annonce plus sobrement « une sédition militaire à Berlin ». Mais les dépêches reçues sont encore confuses.

Le 14 mars, la nouvelle fait la Une de L’Humanité. Le quotidien du Parti socialiste titre : « Contre-révolution en Allemagne ». Un espoir s’annonce cependant, puisque si « le gouvernement d’Ebert est en fuite », il est aussi annoncé que « la grève générale est décrétée ».

Le spécialiste de politique étrangère du quotidien, Paul Louis, écrit que la lutte est engagée « entre le militarisme et la classe ouvrière. »

« Seule la grève générale victorieuse peut abattre demain le militarisme renforcé. C’est une grande expérience qui s’ouvre, et si ce militarisme germanique est maîtrisé par le prolétariat, ce sera la seconde révolution, la vraie, qui commencera. »

Dans la rubrique « Nouvelles internationales », il est également signalé que « le nouveau gouvernement a suspendu provisoirement la plupart des journaux de Berlin ». Surtout, L’Humanité annonce que la grève générale « commence partout ».

Le 14 mars au soir, Le Temps confirme la réalisation du coup d’État de la part des nationalistes d’outre-Rhin :

« Tous les ministères et les administrations d’État sont aux mains des chefs militaires et des hommes de la contre-révolution. »

Le journal de centre-gauche est en revanche sceptique concernant « l’arme de la grève générale », qui serait « un colossal canon qui se met bien lentement en position. » Pourtant, au moment où le quotidien paraît, le mouvement est déjà massif en Allemagne.

Le lendemain, les nouvelles sont encourageantes pour les socialistes. L’Humanité veut y croire, et titre : « Le militarisme prussien n’a pas gagné la partie ». Il est fait état du déclenchement de la grève générale dans plusieurs villes, à l’initiative des syndicats, puis des partis socialistes et communistes. L’ampleur du mouvement est telle que Paul Louis écrit espérer que cette « seconde révolution allemande triomphe ».

Le même jour, Le Populaire affirme en titre que « Le prolétariat allemand commence la lutte ». Le journal souligne néanmoins les difficultés  rencontrées afin de recueillir des informations valides concernant les événements en cours dans la capitale allemande.

« Les communications sont rares et difficiles entre Berlin et l’extérieur, et, d’autre part, von Kapp, comme tout dictateur qui se respecte, falsifie les nouvelles.

On sait cependant que les ouvriers de la capitale ont rendu la grève effective et que des collisions sanglantes se sont produites.

Ce qui est significatif, c'est que les généraux de la Reichswehr ont refusé de servir le coup d'État : apparemment ils ont obéi à un sentiment de prudence et considèrent que la contre-révoution ne vivra pas. »

Parmi les nouvelles qui parviennent à franchir la censure des putschistes, il est annoncé que « la grève des cheminots est totale ».

Photographie du régiment militaire à l'origine du putsch de Kapp, Berlin, mars 1920 - source : Bundesarchiv Bild-WikiCommons
Photographie du régiment militaire à l'origine du putsch de Kapp, Berlin, mars 1920 - source : Bundesarchiv Bild-WikiCommons

La grève générale aux quatre coins de l’Allemagne est si efficace que dès le 17 mars, L’Humanité peut titrer : « Le coup d’État militaire vaincu par le prolétariat allemand ». Paul Louis précise ce qui a provoqué l’échec du putsch :

« La grève générale proclamée par les cheminots a pris une ampleur sans précédent dans l’histoire. […]

Ils ont prouvé qu’un gouvernement, même militaire, est battu quand les travailleurs des transports suspendent les communications. Les autres travailleurs ont d’ailleurs suivi l’exemple de ceux du rail. Du nord au sud, des millions d’hommes ont quitté l’usine avec un ensemble merveilleux […].

Les conseils d’ouvriers ont surgi un peu partout. »

Cependant, bien que les putschistes soient en effet vaincus (Kapp capitule le 17 mars et sera bientôt contraint à l’exil en Suède), la mobilisation n’est pas finie partout. Cette force des travailleurs, qui vient de s’exprimer et de gagner en quelques jours, a donné à certains l’envie d’aller plus loin, vers une prise du pouvoir par les conseils ouvriers.

Le 18 mars, Le Populaire parle ainsi d’une « Seconde Révolution allemande » qui serait toujours en cours. Paul Louis écrit espérer que l’union se fasse entre socialistes et communistes : selon lui, « c’est cette unité féconde qui fera triompher la seconde Révolution, celle qui renversera l’État capitaliste ».

Mais ce mouvement ne va pas l’emporter. Le 21 mars, le journal républicain La Lanterne annonce que « La grève générale est terminée » en Allemagne.

Le lendemain pourtant, L’Humanité écrit que « la Révolution allemande continue sa marche ». Les socialistes reconnaissent néanmoins qu’on est en France « mal informés des choses allemandes ».

Dans certaines parties de l’Allemagne, des mobilisations vont en effet se poursuivre – notamment dans la Ruhr. Mais cette contre-offensive échouera.

Il n’en reste pas moins qu’en mars 1920, les travailleurs d’Allemagne avaient, par une grève générale de quelques jours, réussi à empêcher la mise en place d’une dictature d’extrême droite. Un répit qui tiendra 13 ans, avant l’avènement de la barbarie nazie.

Historien du mouvement ouvrier, auteur notamment de Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France (Libertalia, 2017), Julien Chuzeville a aussi codirigé le tome 4 des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg : La Brochure de Junius, la guerre et l'Internationale (Smolny-Agone, 2014).