Écho de presse

Tocqueville se souvient...

le 12/11/2019 par Pierre Ancery
le 31/03/2017 par Pierre Ancery - modifié le 12/11/2019
Alexis de Tocqueville, caricature d'Honoré Daumier ; 1849 - source Gallica BnF

Des extraits des "Souvenirs" du philosophe sont publiés par la presse en 1893. Tocqueville y évoque ses doutes, sa carrière... Mais aussi ses contemporains, sur un ton parfois cruel.

En 1893 paraissent les Souvenirs d'Alexis de Tocqueville (1805-1859), le célèbre auteur de De la démocratie en Amérique. Paru en 1835 (premier tome) et 1840 (second tome), cet ouvrage majeur de philosophie politique avait valu la gloire à Tocqueville.

 

Tocqueville eut toutefois moins de succès dans sa vie politique. Il eut beau être député (de tendance libérale-conservatrice) et ministre des Affaires étrangères en 1849, il n'était pas sans douter de lui-même et de ses capacités dans ce domaine. Dans une lettre extraite de ces Souvenirs et publiée par Les Annales politiques et littéraires du 5 mars 1893, Tocqueville écrit ainsi :

 

"Tu sais qu'il y a deux espèces d'orgueil très distincts, ou plutôt le même orgueil a deux physionomies, une triste et une gaie. Il y a un orgueil qui se repaît avec délices des avantages dont il jouit ou croit jouir. Cela s'appelle, je pense, de la présomption. Mais l'orgueil que je possède est d'une nature toute contraire. Il est toujours inquiet et mécontent, non pas envieux pourtant, mais mélancolique et sombre. Il me montre à chaque instant les facultés qui me manquent et me désespère de leur absence..."

 

S'il semble n'avoir guère d'indulgence pour lui-même, l'écrivain n'est pas plus tendre avec ses contemporains. Le journaliste des Annales Adolphe Brisson le présente ainsi comme "un philosophe désabusé, mais non consolé, attristé par les malheurs du pays, mais légèrement aigri par ses malheurs propres, porté à envisager les choses en noir, et à juger le prochain sans aucune bienveillance ; doué d'une perspicacité redoutable qui lui permet de discerner le point faible de chacun et de le blesser au bon endroit".

 

Plusieurs portraits au vitriol figurent dans les Souvenirs. Celui du socialiste révolutionnaire Blanqui se distingue par sa violence :

 

"C'est alors que je vis paraître, à son tour, à la tribune un homme que je n'ai vu que ce jour-là, mais dont le souvenir m'a toujours rempli de dégoût et d'horreur ; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l'air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l'aspect d'un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir ; on me dit que c'était Blanqui."

 

Lamartine en prend aussi pour son grade :

 

"Je ne sais si j'ai rencontré, dans ce monde d'ambitions égoïstes, au milieu duquel j'ai vécu, un esprit plus vide de la pensée du bien public que celui de Lamartine. J'y ai vu une foule d'hommes troubler le pays pour se grandir : c'est la perversité courante ; mais il est le seul, je crois, qui m'ait semblé toujours prêt à bouleverser le monde pour se distraire. Je n'ai jamais connu non plus d'esprit moins sincère, ni qui eût un mépris plus complet pour la vérité. Quand je dis qu'il la méprisait, je me trompe ; il ne l'honorait point assez pour s'occuper d'elle d'aucune manière..."

 

Les Souvenirs contiennent aussi des passages plus politiques. En 1847, Tocqueville disait :

 

"Bientôt ce sera entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas que s'établira la lutte politique ; le grand champ de bataille sera la propriété, et les principales questions de la politique rouleront sur des modifications plus ou moins profondes à apporter au droit des propriétaires. Nous reverrons alors les grandes agitations publiques et les grands partis."

 

"Nous y sommes", conclut en 1893 le journaliste des Annales, qui qualifie ces pages de "prophétiques". 

 

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