Victor Hugo, candidat de la paix
En janvier 1876, l'auteur des "Misérables" se présente aux premières élections sénatoriales de la Troisième République. L'occasion de défendre dans la presse sa vision de la France.
En janvier 1876, alors que les lois constitutionnelles de 1875 ont définitivement instauré la Troisième République, ont lieu les premières élections sénatoriales. Le collège d'électeurs est composé par les délégués des 36 000 communes de France.
C'est à ces délégués que s'adresse Victor Hugo dans une lettre publiée en une du Rappel le 22 janvier. Le célèbre romancier, lui-même candidat républicain radical, y plaide en faveur de la République nouvellement instituée et défend sa vision de la France. Après avoir évoqué le despotisme subi par le pays sous Napoléon III, il écrit :
"La France aime profondément les nations ; elle se sent sœur aînée. On la frappe, on la traite comme une enclume ; mais elle étincelle sous la haine ; à ceux qui veulent lui faire une blessure, elle envoie une clarté ; c'est sa façon de rendre coup pour coup. Faire du continent une famille ; délivrer le commerce que les frontières entravent, l'industrie que les prohibitions paralysent, le travail que les parasitismes exploitent, la propriété que les impôts accablent, la pensée que les despotismes musèlent, la conscience que les dogmes garrottent ; tel est le but de la France. Y parviendra-t-elle ? Oui. Ce que la France fonde en ce moment, c'est la liberté des peuples ; elle la fonde pacifiquement ; par l'exemple ; l'œuvre est plus que nationale, elle est continentale ; l'Europe libre sera l'Europe immense ; elle n'aura plus d'autre travail que sa propre prospérité ; et par la paix que la fraternité donne, elle atteindra la plus haute stature que puisse avoir la civilisation humaine."
On retrouve là une idée chère à Hugo : celle de la création d'États-Unis d'Europe, garants de la paix universelle. La paix, c'est le mot-clé qui revient tout au long de ce manifeste.
"La république n'est autre chose qu'un grand désarmement : à ce désarmement, il n'est mis qu'une condition, le respect réciproque du droit. Ce que la France veut, un mot suffit à l'exprimer, un mot sublime, la paix. De la paix sortira l'arbitrage, et de l'arbitrage sortiront les restitutions nécessaires et légitimes. Nous n'en doutons pas. La France veut la paix dans les consciences, la paix dans les intérêts, la paix dans les nations : la paix dans les consciences par la justice, la paix dans les intérêts par le progrès, la paix dans les nations par la fraternité."
Hugo s'adresse ensuite directement aux électeurs :
"Faites pour le sénat de la France de tels choix qu'il en sorte la paix du monde. Vaincre est quelque chose, pacifier est tout. Faites, en présence de la civilisation qui vous regarde, une République désirable, une République sans état de siège, sans bâillon, sans exils, sans bagnes politiques, sans joug militaire, sans joug clérical, une République de vérité et de liberté. […] C'est de lumière que l'ordre est fait. La paix est une clarté. L'heure des violences est passée. Les penseurs sont plus utiles que les soldats ; par l'épée on discipline, mais par l'idée on civilise. Quelqu'un est plus grand que Thémistocle, c'est Socrate ; quelqu'un est plus grand que César, c'est Virgile ; quelqu'un est plus grand que Napoléon, c'est Voltaire."
Le poids moral de Victor Hugo dans la société française est alors considérable : écrivain universellement reconnu, il a aussi passé dix-neuf ans en exil, de 1851 à 1870, suite au coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte.
Le 30 janvier, les élections seront remportées à une légère majorité par la droite (orléanistes, bonapartistes, légitimistes), mais les législatives de février donneront la victoire aux républicains. Hugo, élu sénateur de la Seine, le restera jusqu'à sa mort, le 22 mai 1885.