Immigration italienne : le débat dans la presse des années 1920
Dans l'entre-deux-guerres, la forte immigration italienne, incitée par le patronat et les pouvoirs publics pour reconstruire le pays, effraie une partie de l'opinion et de la presse.
« Si vous voulez faire fortune, conservez avec soin un Français. Dans cinquante ans, vous pourrez le montrer dans toute la Gascogne comme un exemplaire unique d'une race disparue. »
Cette plaisanterie qui circule à la fin des années 20 dans le Sud Ouest (rapportée en 1929 par L'Echo de Paris) exprime bien les peurs nées de l'immigration italienne soutenue que connaît la France de l'entre-deux-guerres. Le pays est alors exsangue : aux pertes matérielles et au retard économique s'ajoute un bilan démographique dramatique (1 325 000 de morts au front, 1 100 000 blessés et mutilés).
Pour faire face à la pénurie de main d'oeuvre, les appels politiques à l'immigration de travail se multiplient dans les années 20 et le patronat favorise l'introduction en France de travailleurs agricoles italiens. La forte immigration italienne qui en résulte suscite parmi une partie de la presse et de l'opinion des réactions de peur voire d'hostilité.
En 1925, Le Journal appelle les pouvoirs publics à réglementer cette immigration :
"À certains égards, ils nous rendent service, en venant cultiver des terres que nous laissions à l'abandon. À maintes reprises, nous avons fait appel sans dommage à leur concours ouvrier et, volontiers, nous le considérerions encore comme le bienvenu.
Mais cette fois, il s'agit d'une entreprise de dépossession, puissante et durable. Les immigrants italiens poursuivent de vastes desseins. Les sacrifices consentis, leurs grandes dépenses de premier établissement, les projets à longue échéance qu'ils ne dissimulent pas montrent qu'il s'agit, pour eux, d'une œuvre de longue haleine. […]
Bref, ils emménagent chez nous définitivement."
Dans un pays largement rural, c'est la maîtrise des terres agricoles qui préoccupe particulièrement :
"C'est la première fois, depuis des siècles, qu'un peuple étranger prend, en corps, possession de notre sol. […]
Or, tandis que l'Italie nous submerge dans le sud, les Anglais, les Américains, les Suisses, les Tchèques, les Polonais, que sais-je encore, vingt peuples nous envahissent à la fois. Dans l'état actuel de notre change, qui peut empêcher les Allemands d'acheter nos champs et nos usines par départements entiers ? Déjà, nous ne sommes plus les maîtres à Paris, dans le Nord, en Normandie, dans l'Yonne, sur, la côte d'Azur et sur la côte basque. La race française était foncièrement terrienne. Qu'adviendra-t-il d'elle quand elle se sera laissé déraciner ?"
En 1928, le journal conservateur Le Matin se penche sur les causes de l'émigration des Italiens en France :
"Pays déjà surpeuplé avant la guerre, l'Italie est le seul belligérant qui soit sorti du conflit mondial avec un excédent de population. La France, au contraire, se dépeuple ; aux pertes que lui a causées la grande guerre s'ajoute une dénatalité, hélas toujours croissante, de telle sorte que l'étendue de territoire excède ses possibilités de culture. D'un côté, trop de bras et pas assez de terre ; de l'autre, trop de terre et pas assez de bras. Nos voisins devaient fatalement chercher à déverser chez nous le trop-plein de leur population."
Pourquoi l'immigration italienne fait-elle plus peur qu'une autre ? L'Homme Libre répond ainsi :
"[…] il est un produit qu'il nous faut, à nous Français, importer à tout prix si nous voulons que la France vive : ce produit, c'est le travailleur agricole, c'est l'immigrant, et il n'y a que deux nations en Europe qui puissent nous fournir cet afflux de sang nouveau et régénérateur : la Pologne et l'Italie.
Mais M. Mussolini ne se contente pas de limiter autant que possible l'émigration italienne : il prétend constituer, grâce à elle, en France, des îlots italiens rebelles à toute assimilation. Comment, pour cette raison et pour beaucoup d'autres, la France ne préférerait-elle pas l'immigration polonaise à l'immigration italienne ?"
L'Humanité de son côté dénonce régulièrement les conditions d'accueil et de vie de ceux que l'on a pourtant incités à venir. "Ainsi la France bourgeoise traite-t-elle les esclaves qu'elle a racolés", regrette le quotidien communiste en 1927.
La crise des années 30 met un frein à l'immigration italienne, que la guerre achèvera de stopper.