Écho de presse

L'hommage de "L'Humanité" à la Commune

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 27/04/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
L'Humanité du 26 mai 1907 ; source RetroNews BnF

En 1907, le quotidien socialiste consacre un numéro au soulèvement parisien. Y figurent des textes de Jaurès, Marx, Vallès ou encore Théophile Gautier.

En mai 1907, trente-six ans après la Semaine sanglante qui mit fin au soulèvement parisien, L'Humanité rend hommage à la Commune. Le fait n'a rien d'inhabituel : l'année précédente, par exemple, le quotidien de Jean Jaurès avait consacré un article au pèlerinage annuel du Parti socialiste au mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise

 

Mais cette année-là, le journal a décidé de faire les choses en grand. "Aux morts de mai 71", titre-t-il en pleine page le 26 mai. Prenant place aux côtés de dessins signés Willette ou Steinlen, l'éditorial de Jaurès revendique l'héritage de l'insurrection :

 

"Les Communeux ont bataillé, ils ont souffert, ils sont morts pour installer sur la base de la propriété commune, la souveraineté du travail, pour dresser vers la lumière et vers la joie le peuple ouvrier et paysan enfin affranchi. C'est à cette œuvre que nous aussi, avec moins de mérite, et dans des temps moins difficiles, nous nous dévouerons tout entiers. Ils n'ont pas vu de leurs yeux l'accomplissement de leur dessein. Mais ils n'ont pas donné leur vie en vain ; car c'est par une série d'élans et de chutes et de rebondissements que l'homme douloureux et meurtri va vers les cimes."

 

Plus loin, on trouve l'extrait d'un récit de Jules Vallès (ancien élu de la Commune) qui raconte les barricades du 28 mai 1871, à Belleville :

 

"Soudain, les croisées se dégarnissent, la digue s'effondre. Le canonnier blond a poussé un cri. Une balle l'a frappé au front, et a fait comme un œil noir entre ses deux yeux bleus.

Perdus. Sauve qui peut ![...]

Qui veut cacher deux insurgés ?

Nous avons crié cela dans les cours, le regard braqué sur les étages, comme des mendiants qui attendent un sou. Personne ne nous fait l'aumône ! Cette aumône demandée l'arme à la main !"

 

Ailleurs, Karl Marx (qui se fit fervent défenseur du soulèvement parisien, mais en critiqua les meneurs) est lui aussi cité :

 

"L’héroïsme avec lequel la population de Paris, — hommes, femmes, enfants, — combattit encore huit jours après l'entrée des Versaillais, réfléchit la grandeur de la cause pour laquelle elle se sacrifiait, autant que les exploits infernaux des soldats réfléchissent l'esprit inouï de cette civilisation dont ils sont les mercenaires et les défenseurs."

 

En 1871, les écrivains étaient rares à défendre la Commune : Flaubert, Zola, Anatole France, Edmond de Goncourt lui furent unanimement hostiles. Théophile Gautier, qui voyait dans les communards des « animaux féroces », est pourtant convoqué dans ce numéro, avec une description de prisonniers communards amenés à Versailles :

 

"Des âmes compatissantes apportaient quelques seaux d'eau. Alors, toute la bande se rua pêle-mêle, se heurtant, se culbutant, se traînant à quatre pattes, plongeant la tête à même le baquet, buvant à longues gorgées, sans faire la moindre attention aux horions qui pleuvaient sur eux, avec des gestes d'une animalité pure, où l'on aurait eu peine à retrouver l'attitude de l'homme. Ceux qui ne pouvaient, trop faibles ou moins agiles, approcher des seaux posés à terre, tendaient les mains d'un air suppliant, avec des petites mains comme des enfants malades qui voudraient avoir du nanan. Ils poussaient des gémissements mignard et câlins, et leurs bras se pliaient, comme ceux des singes, se cassant aux poignets dans des poses bestiales et sauvages."

 

En 1907, le souvenir de l'insurrection de 1871 fait partie de la mythologie de la gauche française, en particulier marxiste, et est régulièrement convoqué par ses dirigeants. En 1917, la Révolution russe s'inspirera de l'exemple français.