Victor Noir, journaliste martyr du Second Empire
Le 12 janvier 1870, les funérailles du journaliste Victor Noir, tué par Pierre Bonaparte, sont suivies par 100 000 personnes et donnent lieu à de violentes manifestations hostiles à Napoléon III.
Victor Noir, de son vrai nom Yvan Salmon, n'était qu'un obscur employé de rédaction du journal anti-bonapartiste La Marseillaise avant que sa mort à 21 ans, le 10 janvier 1870, ne le rende célèbre dans tout le pays. Tout commence lorsque son chef, le polémiste et député d'extrême-gauche Henri Rochefort, fondateur du journal, s'en prend dans un article au prince Pierre Bonaparte, neveu de Napoléon 1er et cousin de Napoléon III.
S'estimant diffamé, celui-ci, d'un caractère notoirement violent (il a tué un homme en Italie et un autre à New York), provoque en duel le rédacteur en chef de La Marseillaise, Paschal Grousset. Ce dernier envoie Victor Noir et un ami, Ulrich de Fonvielle, chez le prince, au 9 rue d'Auteuil, pour organiser le duel. Le Rappel du 12 janvier explique ce qui se passe ensuite :
"En arrivant à la maison du prince, Victor Noir remit sa carte au valet de pied. Le valet de pied introduisit les deux visiteurs dans un petit salon qui se trouve au premier étage, et il alla prévenir le prince.
Au bout de cinq minutes, le prince entra. Il était pâle et paraissait en colère.
M. de Fonvielle prit la parole :
— Nous venons de la part de M. Grousset, M. Victor Noir et moi.
Il lui remit en même temps une lettre de M. Paschal Grousset.
— Vous ne venez donc pas, dit le prince, de la part de Rochefort?
— Non, monsieur, répondit M. de Fonvielle. C'est une affaire tout à fait à part.
Le prince, qui s'était mis à lire près d'une fenêtre la lettre de M. Groupel, reprit d'une voix forte :
— Je ne me battrai pas avec les manœuvres de Rochefort. Je me battrai avec Rochefort lui-même. Je ne veux pas répondre à sa crapule.
Tout bascule lorsque Victor Noir prend la parole :
Victor Noir parla pour la première fois, hélas ! et pour la dernière aussi.
— Monsieur, dit-il, nous venons de la part de M. Grousset. Nous sommes solidaires de nos amis.
À ce moment le prince bondit sur lui ; il lui applique la main gauche sur l'épaule, le force à se tourner, et tirant rapidement un revolver de sa poche, il le lui décharge en pleine poitrine.
Victor Noir, en essayant de se défendre contre son assassin, l'égratigne à peine à la joue.
Le prince fait feu une seconde fois.
Victor Noir, blessé à mort, aperçoit alors une porte ouverte. Il se précipite dans l'escalier."
Source Gallica BnF
L'émotion est immense dans une population déjà très hostile au régime de Napoléon III. Les autorités ont beau organiser l'enterrement du malheureux Victor Noir à Neuilly, loin des quartiers populaires, rien n'y fait : le 12 janvier, 100 000 personnes viennent assister aux funérailles, dans une ambiance électrique. Le Temps raconte :
"À midi 30, la foule est immense, les abords du marché sont interceptés ; — beaucoup de femmes. Devant la maison, on commence à chanter la Marseillaise ; les chants sont suivis de cris : À Paris ! à Paris ! au Père Lachaise. M. Rochefort vient par deux fois rappeler la foule au calme. (Applaudissements). La foule persiste à crier : Au Père-Lachaise ! Soyez calmes, citoyens, s’écrie le frère de la victime ; respectez le cadavre de mon pauvre frère. [...] À une heure trente, nouvelle allocution de M. Louis Noir, accueillie avec recueillement et sympathie ; mais manifestation de plus en plus persistante de la part de la foule. Le cadavre est à nous, s’écrie-t-on, nous le voulons, il nous appartient, c’est un enfant du peuple, nous l’emmènerons au Père-Lachaise."
Dans la foule (où l'on croise entre autres Louise Michel), nombreux sont ceux qui réclament de transporter le corps à travers Paris pour appeler à l'insurrection. Mais il sera finalement inhumé à Neuilly. L'événement marque toutefois le début d'une agitation qui ne cessera pas jusqu'à la chute de Napoléon III, sept mois plus tard. Pierre Bonaparte, arrêté le soir du meurtre, sera rapidement acquitté mais devra payer des dommages et intérêts.
Source Gallica BnF
Quant à la dépouille de Victor Noir, devenue symbole républicain, elle sera transférée en 1891 au cimetière du Père-Lachaise. Elle est aujourd'hui encore très visitée : sur le gisant réalisé par Jules Dalou, une usure du bronze se remarque au niveau de l'entrejambe (où le sculpteur, dans un souci de réalisme, a placé une protubérance bien visible). Une superstition veut en effet qu'il suffise aux femmes en mal d'enfant d'effleurer cette partie de la sculpture pour devenir fertiles...
Source Gallica BnF