Écho de presse

1838 : « Stop à la Napoléon-mania ! »

le 14/11/2018 par Pierre Ancery
le 06/09/2017 par Pierre Ancery - modifié le 14/11/2018
Affiche de théâtre pour un spectacle aux bouffes du Nord ; 1886 - source Gallica BnF

Napoléon en livres, en feuilletons, en pièces de théâtre... En 1838, un chroniqueur du "Figaro" se plaint de l'avalanche de productions littéraires consacrées à l'Empereur.

Presque deux siècles après sa mort, Napoléon Bonaparte (1769-1821) continue d'inspirer biographes, historiens et romanciers. Le nombre de livres qui lui sont consacrés s’élèverait aujourd'hui à 70 000 environ ! Mais la fascination pour l'Empereur ne date pas d'hier. En 1838 déjà, un chroniqueur anonyme du Figaro s'agaçait de la Napoléon-mania qui envahissait les librairies, les journaux et les théâtres :

 

"On a mis Napoléon en drame, en vaudeville, en mémoires, en bouteilles. Son image a figuré sur les flacons d'eau de Cologne et d'anisette double. M. Edmond, du Cirque, et M. Gobert, de la Porte-Saint-Martin, ont coiffé le petit chapeau et endossé la redingote grise.

 

Nous avons eu les mémoires de Constant, les mémoires d'un chambellan, les mémoires d'une dame du palais, les souvenirs de Mme d'Abrantès, et l'histoire de M. de Norvins.

 

Enfin Napoléon est sur la colonne ! Ah ! j'oubliais, nous avons encore eu le journal le Napoléon, qui a vécu ce que vivent les roses et les journaux mal faits, l'espace d'un quart de trimestre."

Une exploitation commerciale outrancière que le journaliste dénonce avec ironie :

"On a reproché à Napoléon d'avoir tué bien du monde. Le fait est qu'il faisait une assez énorme consommation de conscrits, tant dans l'infanterie que dans la cavalerie. Mais il faut avouer qu'en compensation il a depuis 1830 fait vivre bien du monde. Comptez les romanciers, les vaudevillistes, les folliculaires, les ouvreuses de loges, les imprimeurs, etc., qui se sont nourris de Napoléon, auxquels Napoléon a servi de restaurateur, de logeur, de tailleur, de bottier, de chapelier et...., vous rendrez grâce à la nature."

Et de se moquer de tel écrivain qui a "mis Napoléon à toutes les sauces, l'a retourné de toutes les façons, en a exprimé tout ce qui en pouvait littérairement sortir" :

 

"Il a fait le Napoléon des Enfants, le Napoléon des Jeunes Personnes, le Napoléon des Braves, le Napoléon des Vieillards. Il prépare dans ce moment un livre ainsi conçu : « Ce qu'eût fait Napoléon s'il avait vécu jusqu'à soixante ans. » Si cet écrivain ne couche pas sur son testament la famille de Napoléon, ce sera un grand ingrat."

D'ailleurs, comment tel autre auteur a-t-il fait pour connaître tant de détails sur la vie intime de l'Empereur ? "Était-il donc caché derrière une tapisserie ?", s'interroge ingénument le chroniqueur du Figaro. Avant de conclure :

 

"On peut se moquer du public, mais il ne faut pas aller trop loin. [...] C'est insulter cette grande mémoire que de la traîner ainsi dans la fange des cabinets de lecture et des loges de portière. Ceux dont Napoléon est le père nourricier devraient avoir un peu plus de respect pour lui."

L'ouvrage qui lança le bonapartisme fut, en 1823, le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases, récit tiré des entretiens de l'auteur avec Bonaparte lors de l'exil de ce dernier à Sainte-Hélène. Concernant la suite de la "Napoléon-mania", le malheureux journaliste du Figaro était en-dessous de la réalité, puisque la fascination pour l'empereur, qui irriguera tout le XIXe siècle (et servira les fins politiques de son neveu, le futur Napoléon III), n'en était qu'à ses débuts en 1838.  

Notre sélection de livres

Souvenirs de l'empereur Napoléon Ier
Emmanuel De Las Cases
Mémorial de Sainte-Hélène - Tome I
Emmanuel De Las Cases
Mémorial de Sainte-Hélène - Tome II
Emmanuel De Las Cases
Mémorial de Sainte-Hélène - Tome III
Emmanuel De Las Cases