Au lendemain de l’élection du Reichstag en Allemagne, les journaux français scrutent leur voisin de l’est d’un regard craintif. Comment ont-ils voté ? Le Journal de huit heures du soir (cité dans Le Figaro) pronostique 9 % pour le parti de ce grand orateur charismatique du nom d'Adolf Hitler, qui a su transformer un groupe réduit de racistes et de revanchistes en un mouvement de masse.
Le correspondant de
L’Ouest-Éclair, envoyé à Berlin pour déchiffrer l’aura du futur Führer, constate que cette ferveur pour Hitler est due à l’échec du gouvernement à stabiliser l’économie allemande :
« Dans la foule des deux millions et demi de chômeurs, beaucoup de ceux qui ont vu l’impuissance des partis gouvernementaux à résoudre le problème d’où dépend leur existence, se sont laissés séduire par les promesses qui leur viennent de ces nouveaux démagogues. »
L’Allemagne assume difficilement son rôle dans la Première Guerre mondiale, résultat de la politique extérieure de l'empereur allemand Guillaume II. La propagande hitlérienne, qui trouve un écho croissant parmi la population, blâme en priorité les ressortissants étrangers, et les juifs en particulier qui, selon elle, ont coûté à l’Allemagne sa victoire. Humiliés par le traité de Versailles et amputés d'une partie de leur territoire, les Allemands sont sensibles au message d'Hitler, qui fait appel au sentiment national.
La propagande du NSDAP vise en priorité les classes populaires allemandes.
L’Intransigeant s’inquiète quant aux méthodes mises en œuvre par le parti d'Hitler pour les fidéliser :
« Il a doté ce parti de chemises fascistes, d’un salut à la romaine et d’une discipline de fer. Il a organisé des “troupes de choc” et d’autres de résistance. Il moleste ceux qui ne pensent pas comme lui, il organise des expéditions et terrorise les régions lorsqu’il en a ainsi décidé. C’est lui qui a organisé la terreur en Rhénanie après le départ des troupes alliées. C’est lui qui, chaque dimanche, manifeste, d’un côté ou de l’autre de l’Allemagne, sa présence et celle de ses troupes par des échauffourées sanglantes. »
Avec les masses, l’élite industrielle allemande est également en faveur de la percée du jeune Hitler ; grâce à lui et à ses promesses d'investissements dans l'armement, elle imagine une vigoureuse relance de l’économie allemande, dévastée.
Le 14 septembre 1930, les électeurs se rendent aux bureaux de vote sous un vent froid. Ces dernières semaines, partis et journaux nationaux se sont lancés dans une campagne sans précédent contre l’abstention ; le jour du vote, les partis scandent leurs slogans depuis des camions, brandissant leurs drapeaux respectifs… Mais la participation n'est que de 74 %
— au grand profit du NSDAP. Le correspondant de
L’Écho de Paris ne peut guère cacher son étonnement :
« Le succès des hitlériens dépasse de très loin ce que les prévisions les plus optimistes laissaient prévoir. Par rapport aux résultats de 1928 [2,6 %], le chiffre des voix qu’ils viennent d’obtenir se trouve multiplié par 30. »
Ainsi commence le chapitre le plus noir de l’histoire de l’Allemagne. La propagande nazie, glorifiant la « race des maîtres germaniques » accapare un peuple qui, jusqu'alors, se sentait abandonné par le pouvoir politique. Il est également visible que les ambitions anticonstitutionnelles, de même que la violence et la volonté de puissance inhérentes au NSDAP, semblaient parfaitement connues des électeurs — ou du moins, des journalistes. Ces derniers n'ont cependant pas pu empêcher le vote en faveur du parti, avec les conséquences que l'on sait.