La dramatique crise du logement de l'entre-deux-guerres
Après la Première Guerre mondiale, la crise du logement est telle que les journaux évoquent un « péril national ». Les pouvoirs publics mettront plusieurs années à réagir, sans réels résultats.
Après guerre, la situation du logement en France est critique : 280 000 maisons ont été détruites en France, 422 700 autres endommagées.
Paris et sa région ont été particulièrement touchés. Ces destructions conjuguées à l’afflux de la population dans les villes, à la crise de la main-d'œuvre et à la hausse des prix de la construction, font de la crise du logement de l'entre-deux-guerres un véritable problème de société, dont se saisissent les journaux.
En mai 1920, Le Petit Journal consacre son illustration de une à cette crise de nature, selon lui, à « compromettre l'avenir de la race », rien de moins :
« Le jeune couple, récemment marié, a cherché vainement un logis. Rien ! pas le plus petit appartement. Alors, comme il faut bien trouver un nid, on vit chez belle-maman. [...]
II n'en est pas moins vrai que cette crise prend de jour en jour des proportions inquiétantes. Elle en arriverait, si elle durait et s'aggravait encore, à compromettre l'avenir de la race. Car, tous les jeunes époux n'ont pas une belle-maman bienveillante, et qui possède un logis assez grand pour y abriter sa fille et son gendre.
Faute de pouvoir trouver un appartement, beaucoup de fiancés reculent indéfiniment leur mariage. La crise du logement est, vous le voyez, grosse de conséquences. »
Face à l’ampleur de la crise, le début des années 1920 est marqué par le développement de promoteurs immobiliers peu scrupuleux, qui n'hésitent pas à vendre des taudis aux plus miséreux. Les banlieues populaires se couvrent ainsi pendant l'entre-deux-guerres d’une marée de lotissements insalubres [voir notre article].
Que fait donc l’État ? Un journaliste du Petit Journal s’indigne :
« Les bras me tombent quand je vois le ministre, le préfet, les conseillers municipaux et quantité d'autres personnalités autorisées se creuser la tête pour imaginer les grands travaux qu'on pourrait entreprendre en vue de rendre de la vitalité aux affaires [...]
Mais il y a des travaux bien plus urgents que tout cela, des travaux dont la nécessité saute aux yeux de toute personne non autorisée, des travaux qui pourraient être entrepris sans grandes études préalables et dont l'effet se ferait immédiatement sentir pour tous. C'est la construction de maisons nouvelles, seul moyen de remédier à la crise du logement. [...]
Notre devise doit donc être : des maisons d'abord ! Et je ne ramasserai mes bras que le jour où on se décidera à le comprendre. »
La crise ne touche pas seulement Paris et sa région. En 1922, le quotidien breton L’Ouest-Éclair évoque un « péril national » :
« Qu'a-t-on fait ? Que fait-on pour y remédier ?
La crise du logement, qui se faisait cruellement sentir avant la guerre, revêt à l'heure présente un caractère de singulière gravité.
Néfaste pour notre natalité déjà si faible, cruelle pour les familles nombreuses et pour les humbles, on peut dire qu'elle constitue un véritable péril national. »
Pourtant, à la veille des années 1930, force est de constater que la situation ne s’est guère améliorée, loin s'en faut.
Le Matin fustige ainsi l’inaction des pouvoirs publics :
« La vérité, c'est qu'on a beaucoup parlé de la crise du logement sans avoir encore abouti à des solutions pratiques, alors que depuis 1924 il a été construit en Allemagne, près de 580 000 logements, et en Angleterre, plus de 600 000.
En France, nous arrivons péniblement, dans tout le pays, à une soixantaine de milliers de logements, dont 20 000 pour Paris.
La situation est, à l'heure actuelle et surtout dans la région parisienne, tellement grave qu'il est absolument nécessaire de prendre toutes les mesures utiles pour y remédier. »
En 1928, le gouvernement lance enfin un vaste programme de construction destiné à favoriser l’accession sociale à la propriété. Ce programme, organisé par la loi Loucheur, prévoit la construction sur cinq ans, entre 1929 et 1933, de 260 000 logements, dont 60 000 à « loyer moyen » destinés aux familles de salariés.
Ambitieux, le programme est cependant insuffisant par rapport à l’ampleur des besoins et se heurte rapidement à la crise économique mondiale de 1929.
La loi Loucheur aura finalement permis de construire 126 000 logements en accession à la propriété et environ 60 000 en locatif, principalement dans la région parisienne.
La Seconde Guerre mondiale laissera le pays sinistré. En 1946, les destructions générées par la guerre auront mis à la rue près d'un Français sur sept – plus de 400 000 immeubles sont détruits et deux millions sont endommagés.
Il faudra attendre 1953 pour que le logement soit enfin considéré comme l'une des grandes priorités du pays et que l’État engage un effort sans précédent pour favoriser la construction.