21 avril 1944 : les Françaises obtiennent le droit de vote
C’est depuis Alger que le Comité français de libération nationale publie son plan d’organisation de la France après la Libération. L’article 17 donne aux Françaises le droit de voter et d’être éligibles aux élections.
C’est une simple phrase. Un article d’une ligne qui va bouleverser la vie de millions de Françaises. Dès la une, les lecteurs et les lectrices de L’Écho d’Alger du 23 avril 1944 comprennent que quelque chose est en train de se passer.
Le Comité français de libération nationale, présidé par Charles de Gaulle, a rédigé le 21 avril une ordonnance sur l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. La première déclaration donne le ton :
« L'Assemblée nationale constituante sera élue au bulletin secret et à un seul degré par tous les Français et Françaises majeurs. »
La lecture de l’article 17 ne laisse pas place au doute.
« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »
On doit la rédaction finale de cet article 17 à un membre du Parti communiste, Fernand Grenier. Résistant, représentant du PCF et des FTP auprès du général de Gaulle à Londres, il devient bientôt commissaire à l’Air (civil et militaire) du gouvernement provisoire.
Fernand Grenier s’est battu, y compris au sein du Conseil national de la Résistance, pour l’attribution pleine et entière du droit de vote aux femmes. La première rédaction de l’article en mars 1944 ne mentionnait que l’éligibilité des femmes (« Les femmes sont éligibles dans les mêmes conditions que les hommes »), le droit de vote n’étant pas clairement exprimé. Fernand Grenier dépose et fait adopter un amendement qui donne sa forme finale à l’article 17.
Cet article est l’aboutissement de 150 années de luttes pour le droit de vote depuis Olympe de Gouges et sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Les débats au sein des différents mouvements de la Résistance ont fini d’accélérer le processus, malgré l’opposition de plusieurs sensibilités comme les radicaux, craignant un vote féminin influencé par l’Église catholique.
Ce n’est pas une coïncidence si l’amendement final est rédigé par un communiste. Aux élections municipales de 1925, ce parti présentait déjà des femmes en position éligible, une dizaine d’entre elles entrant alors dans les conseils municipaux avant que leur élection ne soit invalidée [voir notre article].
Et dès 1936, le quotidien communiste national L’Humanité affirme : « La femme française doit voter ! »
« Rappelons que les députés communistes ont été les seuls à voter sans réserve le droit de vote et d'éligibilité pour les femmes.
Notre camarade Ramette, dans l'excellent discours qu'il prononça à cette occasion à la Chambre, dit :
“Notre parti veut que les femmes puissent voter, non seulement aux élections municipales, mais à toutes les consultations pour la formation des assemblées délibérantes. Et nous voulons qu'elles y soient éligibles.” »
Le 29 avril 1945, les Françaises peuvent enfin exercer leur droit aux élections municipales. Sous le titre « Pour la première fois, les Françaises ont voté », le journal de gauche L’Aube constate qu’elles votent en masse et, ô miracle, qu’elles arrivent à se débrouiller toutes seules dans l’isoloir, avant « d’aller vaquer aux soins du ménage ».
« Dans toutes les sections, les Françaises sont venues, très nombreuses. La plupart ont voté, dès l’ouverture du scrutin avant de faire leurs courses et d’aller vaquer aux soins du ménage, d’autres sont allées l’après-midi dans les sections de vote, en compagnie de leur mari, et parfois même des enfants. […]
Et les religieuses elles-mêmes, dont certaines n’avaient pas franchi les portes de leur monastère depuis leur prise de voile, ont tenu à venir déposer leur bulletin dans l’urne.
Les hommes, il faut bien le dire, s'amusaient à l’avance de l'attitude embarrassée des femmes au moment de voter. Eh bien ! Reconnaissons que nos compagnes ont su se tirer d’affaire fort convenablement.
Et si quelques dames ont un peu hésité entre les listes et se sont embrouillées avec leurs bulletins dans le secret de l’isoloir, la grande majorité d’entre elles savaient fort bien ce qu’elles voulaient et l'ont prouvé. »
Ce premier suffrage universel voit arriver plusieurs femmes à la tête de municipalités, issues des mouvements de la Résistance et du Parti communiste : Odette Roux aux Sables-d’Olonne ou Pierrette Petitot à Villetaneuse. En Côte-d’Or, la petite commune d’Échigey élit un conseil municipal entièrement féminin.
« Les femmes prennent chaque jour et sont appelées à prendre une part de plus en plus importante à la vie politique du pays.
Aux élections municipales d'avril, elles ont obtenu plus de 5 des sièges. Il existe en France, à Échigey, dans la Côte-d'Or, par exemple, des municipalités entièrement féminines.
Dans la Seine, un certain nombre de femmes sont maires adjointes, et la séance de l'Assemblée Consultative a émis, tout récemment, le vœu que l'accès à la magistrature leur soit également ouvert. »
Ironie grinçante de l’Histoire : si c’est à Alger que le droit de vote a été attribué aux Françaises, un million et demi d’Algériennes musulmanes ne pourront exercer ce droit qu’en 1958, sur demande expresse du président du Conseil Charles de Gaulle.