Écho de presse

André Léo : « Croit-on pouvoir faire la Révolution sans les femmes ? »

le 21/03/2021 par Marina Bellot
le 24/04/2018 par Marina Bellot - modifié le 21/03/2021
Portrait d'André Léo - source : Wikicommons

André Léo fut l'une des premières femmes à penser l'égalité des sexes. Romancière et journaliste, communarde passionnée, elle passera sa vie à faire avancer la cause révolutionnaire et féministe. 

Elle se prénommait Léodile Béra mais s’était choisi le pseudonyme d’André Léo, référence aux prénoms de ses deux jumeaux.

C’est sous ce pseudo résolument masculin que cette féministe française au regard doux mais à la détermination sans faille a mené ses combats politiques et signé des dizaines de romans et d’essais, laissant derrière elle une œuvre majeure. 

Romancière et journaliste, militante féministe d'inspiration socialiste et anarchiste, membre de la Première Internationale, André Léo est née en 1824 dans un milieu de la bourgeoisie dite éclairée – son grand-père était révolutionnaire, son père fut officier de marine puis notaire et enfin juge de paix. 

André Léo vit un temps en Suisse, mariée à un journaliste progressiste, Grégoire Champseix, qui meurt en 1863, la laissant élever seule ses deux garçons.

C'est sur le terrain littéraire qu'elle commence à affirmer sa vision de l'égalité des sexes, avec Une vieille fille (elle y dénonce la profonde inégalité inhérente au mariage), premier roman d'une longue série qui lui assurera une grande notoriété. 

Revenue à Paris avec ses enfants, elle s’engage dans les années 1860 avec les républicains et milite avec l'anarchiste Louise Michel. 

En 1866, elle crée l'Association pour l'amélioration de l'enseignement des femmes et milite pour l’égalité des sexes. Sa pensée est ainsi résumée par Le Siècle en 1870 : 

« Pourquoi la femme n’est-elle pas traitée par le législateur sur le pied d’égalité avec l’homme, soit dans le mariage, soit dans la cité, soit dans l’État ? [...]

L’opinion publique en France semble prendre plaisir à s’attarder dans les préjugés et les erreurs du passé. C’est contre ce temps d’arrêt, contre cette persistance déplorable que Mme Léo lutte avec la plus grande énergie et la plus louable persévérance. [...]

Après avoir démontré que la prétendue infériorité des femmes n’est autre chose qu’une prétention des hommes et une prétention mal fondée, l’auteur ajoute : et quand bien même cette infériorité serait incontestable, la femme n’en aurait pas moins un droit pareil et aussi étendu que l’homme, car le droit appartient à l’être humain, par cela seul qu’il est un être humain. »

Pendant la guerre avec la Prusse en 1870, elle milite au sein du comité de vigilance de Montmartre ; au mois de septembre de la même année, elle est arrêtée avec Louise Michel lors d'une manifestation réprimée par l'armée. 

Proche d’Élisée Reclus, elle participe à la Commune de Paris et crée un journal, La Sociale, dans lequel elle appelle à juger et fusiller les réactionnaires. Elle est ici citée par Le Figaro, horrifié : 

« L'ennemi enragé nous attaque sans relâche. Il faut en finir ! Il faut que tout révolutionnaire fasse son devoir, il faut un dévouement absolu à la révolution. »

Puis : 

« Croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes ? Voilà quatre-vingts ans qu'on essaye et qu'on n'en vient pas à bout. »

Elle s’attire dès lors de vives inimitiés parmi les conservateurs de tous bords, qui la considèrent comme radicale et subversive.

« Les citoyennes André Léo et Paule Minck [une militante féministe], les deux mégères les plus dangereuses de toutes celles qui ont pris part au carnaval des femmes libres, pendant le règne de la Commune », va jusqu’à écrire Le Journal de Seine et Marne.  

En 1871, forte de son expérience de communarde, elle publie depuis la Suisse, où elle s'est exilée après la semaine sanglante, La Guerre sociale, récit dans lequel elle raconte l’histoire de la Commune. Elle y développe notamment l’idée selon laquelle les « fautes » de la Commune sont à remettre en perspective avec les atrocités commises depuis par le gouvernement régulier. Elle lira son texte lors du 5e congrès de la Ligue de la paix et de la liberté à Lausanne en septembre 1871.  

« De quoi accuse-t-on les communeux ? De pillages ? Ce sont des mensonges odieux ! Il y a bien eu à la vérité des mesures financières contestables, mais rien de plus.

Quant à la liberté individuelle, elle n’a pas été violée ; beaucoup ont dit avoir été inquiétés qui n’ont souffert que de leur propre frayeur. Qu’ils montrent leurs blessures ! »

En France, les journaux conservateurs mettent toute leur hargne à décrédibiliser sa vision de l'histoire.  

Le Français commence, comme il est alors coutume, par une attaque sur son physique :  

« Celle-ci est âgée déjà, vêtue de noir, sa physionomie se résume dans deux immenses tire-bouchons qui tombent le long de ses oreilles. »

Avant d’ironiser sur son discours : 

« Charmante d’ailleurs comme oratrice, la citoyenne André Léo ! Et puis, des idées neuves !...

Son petit discours est dans le genre fadasse, larmoyant, un éloge en trois points de la Commune et des communards, tous martyrs, tous persécutés ! Si encore le gouvernement de Versailles n’avait attaqué que leur vie, mais il cherche à ternir leur honneur !

Les assassinés sont devenus des assassins, les voleurs des volés, les victimes des bourreaux, par suites d’odieuses machinations, d'infâmes calomnies !

C’est le commencement du discours de la citoyenne André Léo. Vous voyez qu’il promet : elle n’a encore lu que deux feuillets, et son manuscrit paraît en contenir une cinquantaine. »

André Léo rentre en France après l'amnistie de 1880 et collabore à la presse socialiste.

En 1899, elle publie sa dernière œuvre, visionnaire, Coupons le câble, dans laquelle elle plaide pour la séparation entre l’Église et l’État, six ans avant la loi de 1905 : 

« Le catholicisme a toujours été le mauvais génie de la France [...]. Il l’a désolée, ensanglantée, ruinée.

Il l’a égarée et corrompue de sa fausse morale ; et elle en est au point de trouver en lui sa décadence complète, si elle ne rompt le lien fatal qui les unit. » 

Les journaux républicains applaudissent. La Petite République salue une brochure de combat :  

« Dans cette œuvre forte et saine, inspirée d’une généreuse et haute philosophie, l’auteur a retracé à traits larges, mais sûrs, et dans une langue évocatrice soutenue, l’historique des religions humaines et en particulier de la religion catholique.

L’absurdité des donnes, la sottise des croyants sans cesse exploités par d’habiles tire-laine, les crimes des prétendus ministres de Dieu, les conséquences incalculables pour le prolétariat de l’abrutissement mystique, toutes les causes et tous les effets de la puissance de l’église sont analysés avec clairvoyance et précision par la femme de talent et de cœur qu’est Mme André Léo. » 

À sa mort en 1900, Le Radical salue une femme d'un grand talent, aux pensées hardies et fortes.

Son dernier engagement est consigné dans son testament. André Léo lègue une petite rente en faveur de « la première commune de France qui voudra essayer le système collectiviste par l'achat d'un terrain communal, travaillé en commun avec le partage des fruits », précisant son idée : 

« Trop restreint pour être confié à tous, ce terrain serait confié à un groupe des plus pauvres, sous la surveillance de la municipalité, qui aurait droit d'enquête, et au besoin d'exclusion temporaire d'abord, puis décisive, en cas d'abus persistant, nuisant à la paix et au bon fonctionnement de l'association.

Chacun des associés aurait voix délibérative. » 

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