Écho de presse

1865 : la création du mythe de Vercingétorix

le 06/06/2020 par Arnaud Pagès
le 25/04/2018 par Arnaud Pagès - modifié le 06/06/2020

Totalement oublié au Moyen Âge et à la Renaissance, le personnage de Vercingétorix sort de l'ombre au XIXe siècle pour incarner la « figure patriotique » rebelle dont la France semble avoir besoin.

Dans son édition du 12 avril 1886, le journal Paris présente dans un article intitulé « L’Ancêtre » un personnage historique nouvellement important pour la jeune Troisième République, résumant parfaitement la pensée d’alors vis-à-vis de cet aïeul fantasmé, insoumis et digne, vaillant et patriote, le glorieux chef de guerre gaulois Vercingétorix :

« M. Auguste Vaquerie a raison d'écrire : “Avant d'être le vaincu d'Alésia, Vercingétorix a été le vainqueur de Gergovie.”

C'est le Vercingétorix de Gergovie que nous voulons. Ce n'est pas celui qui jette son épée aux pieds de César, c'est celui qui l'en soufflète.

Vercingétorix, même enchaîné, est le symbole vivant de l'indépendance et du patriotisme. […]

Vercingétorix sera vivant au milieu de nous, tant que, victorieuse ou blessée, la patrie française vivra. »

C'est sous la Révolution française que, pour la première fois, le souvenir poussiéreux de ce personnage antique, Vercingétorix – chef de guerre gaulois tombé dans l'oubli, dont la défaite à Alésia en 52 avant Jésus-Christ, avait permis à César de s'emparer du territoire – avait été exhumé. Sous l'Ancien Régime, Clovis, premier roi chrétien, était alors considéré comme la figure patriotique ancestrale : son baptême, en 498, marquait les débuts du grand roman national.

En 1828, l'historien Amédée Thierry remettait à nouveau Vercingétorix au goût du jour via son récit L'Histoire des Gaulois, un ouvrage qui rencontra un vif succès. La société de l'époque, consommant de plus en plus son divorce définitif avec la monarchie absolue de droit divin, avait plus que jamais besoin de trouver ses propres repères : c’est dans l'épopée de ce chef de guerre, élu par son peuple, qu'elle les cherchera.

Vercingétorix pouvait dès lors réintégrer le panorama des grand héros nationaux.

Cinq ans plus tard, l’historien Henri Martin, dans son Histoire de la France populaire parue en 1833, puis son confrère Jules Michelet, dans sa célèbre Histoire de France, brodèrent un peu plus la légende, apportant de nombreuses précisions sur ce peuple pré-français, les Gaulois, jusque-là méconnus, les rendant de plus en plus familiers et positifs dans l'opinion.

Mais c'est au tournant des années 1860 que la légende de Vercingétorix prendra réellement corps. L'empereur Napoléon III, passionné d’archéologie – il sera l'auteur quelques années plus tard d'une Histoire de Jules César – ordonna en 1861 les premières fouilles historiques sur les sites de Gergovie et d'Alésia.

En 1865, il commanda au sculpteur Aimé Millet une magistrale statue de Vercingétorix de 7 mètres de hauteur, représentant le prince Arverne, moustachu et fier, qui dominera dès lors le site présumé de l'ancien oppidum gaulois, près du village de Sainte-Reine, en Bourgogne.

C'est à ce moment-là, et cinq ans plus tard lors de la capitulation tragique de Sedan face aux armées prussiennes, que le mythe de Vercingétorix, premier « résistant » de l’histoire du pays, va se propager dans les manuels scolaires de la Troisième République. Il se fixera alors définitivement dans l'imaginaire collectif.

Dans son édition du 27 mars 1886, Le Petit Parisien attribue par exemple à Vercingétorix un rôle qu'il n'a jamais eu, celui de fondateur de la « patrie » :

« Parmi les évocations que la fidélité du souvenir multiplie sur les places de nos villes, une seule, et celle peut-être qui, la première, aurait dû surgir, manque à ce vaste déploiement de sculpture héroïque : c'est l'image du plus ancien de nos grands hommes ; c'est la statue de Vercingétorix ! […]

Avant lui, qu'y avait-il sur notre sol natal ? Des cités rivales, et toujours en discorde.

Avec ces tronçons et ces lambeaux d'un peuple qui avait jadis épouvanté les Romains et les Grecs, Vercingétorix a fait la patrie. »

Par ailleurs, l’image christique de Vercingétorix se sacrifiant pour son peuple, convoque le souvenir d'autres grands personnages de l'histoire de France : Roland à Ronceveaux, Jeanne d'Arc face aux Anglais ou même Napoléon exilé à Sainte-Hélène. Cette image n’en est pas moins historiquement fausse.

Ainsi, le Journal de l'enseignement fait le récit de la reddition de Vercingétorix dans un exercice surréaliste de réécriture historique :

« Pourtant, Vercingétorix ne crut pas s'être assez dévoué à sa patrie : il pensa que, peut-être, s’il se livrait lui-même à César, lui le chef redouté, le général romain serait moins dur pour les autres Gaulois.

Alors Vercingétorix revêtit sa plus belle armure, monta sur son cheval de bataille et courut jusqu'au camp des Romains.

César averti, l'y attendait ; le Gaulois jeta aux pieds du Romain son épée, sa lance, son casque et resta immobile. »

Car malheureusement pour le chef gaulois, les peuples vaincus par l’armée romaine de César devaient se soumettre et déposer les armes de cette façon. César, dans la Guerre des Gaules, indique qu'après sa victoire, « il [fit] paraître devant lui les généraux ennemis. Vercingétorix est mis en son pouvoir ; les armes sont jetées à ses pieds ». C'est simplement ainsi qu'ils reconnaissaient leur défaite.

Les guerriers étaient alors réduits en esclavage ou sommairement exécutés, et les Gaulois ayant combattu à Alésia n'ont pas échappé à cette règle.

Les chefs quant à eux étaient fait prisonniers, soit pour servir de monnaie d'échange, soit pour être exhibés comme trophées une fois revenus à Rome, et c'est précisément ce qui arriva au chef des Gaulois. L'attitude de Vercingétorix n'est donc pas un geste héroïque mais traduit simplement un geste traditionnel de soumission à la loi des vainqueurs.

Cette défaite des armées gauloises donnera naissance à la civilisation gallo-romaine et au métissage réussi de deux cultures radicalement différentes, qui s'enrichiront mutuellement. C’est notamment ce que Philippe Pétain ne manquera pas de signaler en 1940, afin de justifier le rapprochement de la France vaincue avec l’Allemagne nazie.

Vercingétorix, quant a lui, a achevé misérablement son existence dans les geôles romaines, sans jamais chercher à s'en évader. Sa vraie victoire réside peut-être, en définitive, dans cette réhabilitation tardive, deux mille ans après sa mort, qui en fait dans l’imaginaire collectif français l'égal de Jules César.

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