Écho de presse

Le « phénomène Hitler » : premières inquiétudes de la presse française au sujet du parti nazi

le 16/12/2018 par Marina Bellot
le 29/11/2018 par Marina Bellot - modifié le 16/12/2018
Manchette de Une du Matin titrée « Comment Adolf Hitler entraîne ses troupes », le 8 décembre 1929 - source : RetroNews-BnF
Manchette de Une du Matin titrée « Comment Adolf Hitler entraîne ses troupes », le 8 décembre 1929 - source : RetroNews-BnF

Au début des années 1920, Hitler s'impose comme le chef d'un parti nationaliste allemand, le NSDAP, qui affirme des visées pangermanistes. Une partie de la presse française s'inquiète de la montée en puissance de ce « prophète » et des conséquences de sa « croisade ».

En 1919, un soldat de première classe autrichien anonyme, Adolf Hitler, adhère à un tout jeune parti politique allemand : le DAP (Parti ouvrier allemand), groupuscule d’extrême droite qui deviendra bientôt le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands).

Redoutable orateur, Hitler s’impose rapidement comme le chef de ce nouveau parti pangermaniste et raciste, dont le but revendiqué est de protéger le « sang aryen » d'un « travailleur allemand » mythologique et parfaitement fantasmé. Il le réorganise totalement pour jeter les bases de ce qui deviendra un parti de masse, recrute des cadres, et constitue une milice chargée d'assurer l'ordre dans les rassemblements politiques du parti et dans la rue, les redoutables SA, dirigées par Ernst Röhm.

En 1922, le vocable Führer (« guide ») devient la règle pour dénommer Hitler, alors présenté par la presse française comme « l’un des chefs nationalistes allemands ».

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Mais c'est au mois de novembre 1923 qu'Hitler fait pour la première fois les gros titres des journaux français.

L'Allemagne est alors en proie à une grande agitation : la Ruhr est occupée par les troupes françaises et belges, le mark s'est effondré... L'occasion pour Adolf Hitler de tenter de renverser le gouvernement de Bavière. Le 8 novembre, les militants du NSDAP font irruption dans une grande brasserie où 3 000 personnes sont réunies pour écouter les trois principaux dirigeants du Land.

Le Journal raconte

«​ Hitler a pénétré dans la salle à la tête de 600 hommes et a déclaré que le gouvernement était renversé.

Le nouveau gouvernement, a-t-il dit, est entre les mains du général Ludendorff qui devient chef suprême du pays. »

Et le quotidien de droite d'analyser les ressorts idéologiques des putschistes :

«​ Les champions de la dictature ne cachent pas leur jeu : ils veulent rétablir en Allemagne la poigne de fer du pangermanisme militariste ; ils s'insurgent contre le traité de Versailles ; ils veulent préparer la revanche.

Il n'est que temps d'enrayer un tel mouvement ; mieux vaut prévenir qu'avoir à réprimer. »

Dès le lendemain, le NSDAP est interdit par les cadres de la République de Weimar, tandis que le tribun Hitler est condamné à cinq ans de prison – il sera incarcéré durant 13 mois. Son ascension ne fait pourtant que commencer.

En 1924, Le Midi socialiste alerte sur l’emprise de ce «prophète » et revient sur l'inquiétante « croisade » du NSDAP dans le sud de l'Allemagne :

« Le véritable animateur du racisme, c'est Hittler [sic]. [...]

Emprise d’autant plus définitive qu’il émane de Hittler le rayonnement d’un mystique et d’un prophète.

Son art oratoire s'adresse moins à l’intelligence qu’à la sensibilité. [...]

Élément puissant de succès dans un pays désemparé où tous les esprits attendent un messie ! 

Aussi le “parti national socialiste allemand des ouvriers” vit se multiplier les adhésions. De 65 membres en 1920, il en comptait plusieurs milliers en 1921, tous fanatiques, tous prêts à l’action, obéissant à leur chef comme un Dieu qui leur a apporté la vérité définitive.

Rénover l’Allemagne, voilà le but de leur croisade. »

Frappé d'interdit judiciaire et ne disposant pas de la nationalité allemande, Hitler ne peut se présenter à l'élection présidentielle de 1925, quoique le « phénomène Hitler » continue d'effrayer la presse hexagonale, comme La République française lorsqu'elle se penche sur sa popularité sans cesse grandissante :

« Le nom de Hitler est devenu, dans le Reich tout entier un signe de ralliement pour les nationalistes. 

Les juges populaires, écrit la Deutsche Zeitung, n'ont pas considéré Adolf Hitler et ses compagnons comme des criminels, mais comme des patriotes des plus fidèles, prêts aux plus grands sacrifices qui, pour des motifs nobles et poussés par une force intérieure, ont agi illégalement contre la Constitution actuelle.

On aurait grand tort de s’imaginer que le phénomène Hitler soit spécifiquement bavarois. L’esprit de Hitler est celui même de l’Allemagne officielle. »

À ce moment pourtant, cette popularité relative du NSDAP dans la presse ne se retrouve pas dans les urnes. Le parti échoue au premier tour en présentant le général Ludendorff en tant que candidat, ne récoltant qu'un peu plus de 1% des voix exprimées. Le parti communiste allemand mobilise par exemple, lors des mêmes élections, 6,3% des voix. Ceci n'arrête cependant pas Hitler, qui met toute son énergie à faire du parti nazi un parti de masse – avec le succès que l'on sait.

Dans le même temps, le parti consolide son aura funeste en organisant des opérations « coup de poing ». On le retrouve impliqué dans plusieurs affaires, notamment l'assassinat d'un journaliste à Vienne, Hugo Bettauer. Hitler s'entoure d'une milice personnelle entièrement dédiée à son culte, les SS.

Quatre ans plus tard, en 1929, le journal de droite Le Matin consacre un long papier à l'irrésistible montée en puissance du Fürher :

« Personne n'empêchera jamais les Allemands d'aimer par-dessus tout à se réunir le dimanche pour dénier au pas cadencé. [...]

Ses adhérents politiques qui, subitement, ont conquis des sièges nombreux aux dernières élections municipales approchent des deux millions. [...]

Si l'on décompte les militants et ses combattants, les troupes de Hitler ont suivi une progression correspondante, et ne sont pas loin d'atteindre aujourd'hui trois cent mille, hommes groupés en deux grandes sections, la S.A. et la S. S. [...]

Les brassards, comme les drapeaux, sont rouge vif, symbolisant ainsi le programme intérieur de Hitler, une sorte de communisme presque intégral. Mais le nationalisme trouve son expression dans la croix gammée [...]. 

Le salut et les cérémonies sont importés directement d'Italie. Le journal personnel de Hitler expose dans de longs articles la nécessité d'une alliance avec l'Italie fasciste, avec, comme but essentiel, d'isoler la France. »

La crise économique de 1929 accélèrera une nouvelle fois la percée du « nazisme » dans l'opinion. L'arrivée au pouvoir de Hitler en 1933 signera l'avènement d'une dictature nationaliste brutale qui aboutira sur l'Holocauste et entraînera le monde dans la guerre la plus meurtrière de l'Histoire.

Pour en savoir plus : 

Ian Kershaw, Le « mythe du Führer » et la dynamique de l'État nazi, à lire sur Persee

Le charisme de Hitler, analyse en images de la montée en puissance de Hitler, sur le site de l'Histoire par l'image