Janvier 1919 : l'écrasement de la révolte spartakiste de Berlin
En janvier 1919, Berlin se retrouve déchiré par de sanglants combats de rue entre ouvriers et forces armées alliées au gouvernement social-démocrate. La presse française commente en temps réel.
Janvier 1919, deux mois après l'Armistice. L'Allemagne tente de se reconstruire sur les cendres de sa défaite. En novembre, une République a été proclamée : le SPD (Parti social-démocrate d'Allemagne) est au gouvernement, avec le chancelier Ebert à sa tête.
Mais la situation politique est loin d'être stabilisée, alors que le pays est confronté à une série de soulèvements de soldats, marins et ouvriers auxquels on donnera le nom de révolution allemande. Les événements qui vont survenir en janvier vont par ailleurs révéler l'ampleur des dissensions entre les sociaux-démocrates au pouvoir, favorables au réformisme, et la gauche restée révolutionnaire, qui s'oppose durement au gouvernement.
L'aile gauche du SPD a en effet fait sécession en 1917 et a créé le 1er janvier 1919, autour de la Ligue spartakiste (KPD) de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, le Parti communiste d'Allemagne (KPD). Si le KPD n'est pas à l'origine de la révolte de janvier, il va rapidement soutenir ce que l'on retiendra dans l'histoire sous le nom de « révolte spartakiste » – ou « spartacienne » pour les journaux français de l'époque.
Celle-ci commence le 5 janvier, lorsque des travailleurs s'emparent à Berlin des locaux du journal le Vorwärts, l'organe officiel du SPD qui s'était montré particulièrement hostile aux spartakistes, et installent des barricades dans les rues.
Alors que la tension monte dans la capitale, les Spartakistes décident de soutenir la révolte et appellent à la grève générale. Quelque 500 000 travailleurs se mettent alors en grève et manifestent à Berlin. Mais la violence va bientôt s'emparer des rues.
La Presse titre le 7 : « Les convulsions de l'Allemagne : le sang coule à Berlin ».
« La situation à Berlin est très critique. Les Spartaciens ont pénétré dans le palais du chancelier d'où ils ont tiré sur les imprimeries du “Vorwaerts” [...].
Des manifestants ont pénétré ce matin, à six heures, dans le domicile du nouveau préfet de police, M. Ernst, y ont installé des mitrailleuses, puis, ayant rassemblé des spartaciens sur l'Alexanderplatz, leur ont distribué des armes. »
Au sein de la Ligue spartakiste, on avait hésité sur la conduite à suivre : fallait-il négocier avec le gouvernement Ebert ? Ou se lancer dans l'insurrection armée (c'était l'avis de Rosa Luxemburg) ? Les travailleurs ont tranché en engageant les combats de rue.
La presse française, dans son immense majorité, va se montrer hostile au mouvement insurrectionnel. Le 8 janvier, Le Petit Journal écrit :
« Berlin est depuis dimanche le théâtre d'une émeute encore plus violente que les précédentes. Les adhérents du groupe Spartacus, mettant à exécution leurs menaces, ont donné un assaut qu'ils comptaient décisif contre le gouvernement.
Autant qu'on en peut juger par les nouvelles assez confuses qui nous parviennent, le premier choc a tourné en leur faveur, mais il semble que par la suite le flot insurrectionnel ait été sinon refoulé, du moins endigué de telle sorte que l'issue de la lutte reste encore tout au moins incertaine. »
À Berlin, une répression sanglante va se mettre en place, menée par les Freikorps (Corps francs). Il s'agit d'une milice para-militaire, essentiellement réactionnaire et hostile au communisme, avec qui le gouvernement d'Ebert a conclu un pacte afin de mater la révolte. Ses 40 000 membres, d'anciens militaires démobilisés, vont faire des centaines de morts parmi les ouvriers au prétexte de l'occupation de bâtiments publics par ces derniers.
C'est le 9 janvier que Le Siècle va employer le terme de « guerre civile », citant le témoignage du correspondant du journal britannique le Daily Mail :
« Berlin est en complet état d'anarchie. Toutes les banques sont fermées, les journaux et le télégraphe aux mains du groupe Spartacus. Une grande partie du peuple est armée de fusils et marche avec le gouvernement. À l'heure actuelle, on se bat beaucoup “Unter den Linden” [...].
La guerre civile a commencé sous toutes ses formes. »
Le 9, Le Matin annonce que « les pourparlers entre le gouvernement et les spartakistes ne donnent aucun résultat » et explique que la situation à Berlin est « des plus confuses ». Le 10, Le Petit Journal, parmi d'autres journaux (tous utilisent les mêmes dépêches), écrit que « la bataille dans Berlin tourne en faveur du gouvernement ». Les Freikorps sont en train de reconquérir les rues.
« Les derniers renseignements reçus de Berlin confirment que la bataille continue très violente dans les rues de la capitale. Toutefois si l'on en juge d'après certains indices, il semble que le gouvernement soit maintenant en meilleure posture.
En effet, indépendamment du fait que les insurgés ont déjà perdu un certain nombre de points stratégiques de la ville, on signale parmi eux des symptômes de lassitude précurseurs de la défaite. Au contraire, les troupes gouvernementales qui, contrairement à ce qu'on pouvait redouter, sont jusqu'à présent restées fidèles, se trouvent renforcées par l'arrivée continuelle de forts contingents venant de province [...].
Il y eut de nombreux morts et blessés. »
Le 11, La Lanterne publie l'extrait d'un discours prononcé par Karl Liebknecht « sous les Tilleuls » (c'est-à-dire sur l'avenue Unter den Linden) pour galvaniser les insurgés, alors que lui-même vient d'échapper à un lynchage.
« Je viens d'être pris à partie par une troupe considérable, mais vous, mes fidèles amis, vous l'avez mise en fuite aisément. La victoire, je vous l'affirme, sera de votre côté. Nous ne faisons que commencer ; nous avons formé un Comité révolutionnaire et nous avons révoqué Ebert et Scheidemann.
Notre œuvre, toutefois, n'est pas encore terminée. De grands dangers menacent la révolution allemande : armez-vous donc et restez dans les rues. »
Les insurgés sont pourtant sur le point de perdre la bataille. Le 13 janvier, comme l'annonce L'Humanité, même si « les spartaciens occupent toujours quelques points importants de la capitale », le gouvernement sort gagnant de l'affrontement. Le 14, la presse française explique que la « semaine sanglante » est finie.
Le même jour, Le Petit Journal dresse « le bilan de l'insurrection à Berlin » :
« Les unités militaires constituées de l'armée républicaine qui ont entamé samedi le combat contre les désordres spartakistes ont accompli toute leur tâche : les nids spartakistes dans le quartier des journaux de Berlin ont été nettoyés [...].
Le nombre des victimes, tant tués que blessés, est malheureusement excessivement élevé, bien que le total n'en soit pas exactement établi encore. Le carnage a été augmenté par les perpétuelles provocations des spartaciens qui allèrent jusqu'à se saisir de sentinelles et à les passer par les armes […].
On signale de Berlin que Liebknecht est depuis le 10 janvier absolument invisible. »
Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg seront tués le 15 janvier par des officiers nationalistes, sur ordre de Gustav Noske, alors ministre de la Défense. Cette fin tragique signifiera la fin de la révolte spartakiste.
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Pour en savoir plus :
Chris Harman, La révolution allemande, 1918-1923, La Fabrique, 2015
Gilbert Badia, Les Spartakiste, 1918 : l'Allemagne en révolution, éditions Aden, 1966