Archives de presse
Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
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En 1923, Germaine Berton tue de plusieurs balles Marius Plateau, chef des Camelots du roi. Malgré l’effarement de la classe politique, la jeune anarchiste est acquittée – comme le fut Raoul Villain, assassin de Jean Jaurès.
Le 22 janvier 1923, Germaine Berton, jeune anarchiste de 21 ans, pénètre dans les locaux parisiens de la ligue de l’Action française, organisation royaliste d’extrême-droite. Là, elle abat de plusieurs balles Marius Plateau, chef des Camelots du roi.
« Dans l'après-midi, 1 heure 45 exactement, elle se rendit rue de Rome, dans les bureaux de l'Action Française, tenant une lettre à la main. Elle demanda à parler à Marius Plateau, secrétaire général des Camelots du roi, chargé de la propagande de la ligue.
Celui-ci la reçut un peu plus tard. Elle resta environ une demi-heure avec lui dans son cabinet et, à la sortie, dans le vestibule, elle lui tira cinq balles de revolver, puis tournant son arme contre elle-même, elle se tira une balle au-dessus du sein gauche.
M. Marius Plateau s'affaissa presque aussitôt. »
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Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
Ouvrière métallurgiste et syndicaliste, le jeune femme visait tout d’abord Charles Maurras ou Léon Daudet, les deux plus grandes figures du monarchisme et du nationalisme clérical d’alors.
« Germaine Berton s'était rendue dans la matinée à l’église Saint-Germain-L’Auxerrois, où avait lieu la messe-anniversaire de la mort de Louis XVI, dans l'espoir d'y rencontrer Daudet.
Elle y vit Maurras, qui était très entouré. »
Germaine Berton a retourné son arme contre elle, mais n’a pas réussi à se suicider. Blessée, elle est immédiatement arrêtée. Aux enquêteurs qui l’interrogent, elle répond qu’elle est anarchiste et qu’elle a agi seule afin de venger Jean Jaurès, dont le meurtrier, membre de l'organisation nationaliste La Ligue des jeunes amis de l'Alsace-Lorraine, a été acquitté quatre ans plus tôt.
Pour le journal L’Action française, le coupable est connu : au-delà de Germaine Berton, il s’agit de l’ennemi de toujours : l’Allemagne, et à travers elle, les « germano-bolchévistes ». Le quotidien d’extrême droite titre sur cinq colonnes à la Une : « Une balle allemande a tué Marius Plateau ». Il en appelle à la mobilisation patriotique.
« Dans les circonstances créées par l'assassinat de Marius Plateau, les combattants, les patriotes ont le devoir de se grouper autour de “l’Action française”.
Le crime est commis contre la Patrie : c'est le premier acte des germano-bolchevistes contre l'action de la France en Allemagne. Il faut empêcher les actes qui sont projetés. Il faut opposer les forces nationales unies aux agents de l'Allemagne, des Soviets et de la Finance internationale. La Ligue d'Action française, la Fédération des Camelots du Roi, font appel aux patriotes et les invitent à s'inscrire dans leurs rangs.
Les engagements volontaires pour ce service national sont reçues 14, rue de Rome. »
Avant de réunir cette milice, les Camelots se vengent en vandalisant l’imprimerie de L’Œuvre, quotidien alors républicain et pacifiste.
« À la suite de l'assassinat de Marius Plateau, des groupes de camelots du roi se sont rendus dans la soirée à l'imprimerie de “L’Œuvre” et dans les bureaux de “L’Ère nouvelle” :
À L'Œuvre, profitant de la “brisure” (repos de, quelques minutes accordé aux ouvriers), ils ont démoli en moins de temps qu'il ne faut pour l’écrire huit linotypes sur les douze que possède ce journal. Les machines sont complètement inutilisables. En outre, les vitres du vestibule ont été brisées. »
Les obsèques de Marius Plateau donnent l’occasion à l’organisation l’Action française d’organiser un immense défilé nationaliste à Paris. Plusieurs dizaines de milliers de « visages amis » y assistent, selon l’organe du mouvement.
« Partout, les spectateurs montraient des visages amis, partout, sur les trottoirs et sur les balcons, de beaux yeux tendres, ouverts, comme fleuris par un sentiment de communauté nationale et patriotique.
Et pas seulement sur les spacieux boulevards du quartier militaire, au septième arrondissement.
Au fur et à mesure qu'on s'enfonçait dans les rues étroites et populeuses du quinzième, si quelque flamme hostile apparaissait sur des visages orientaux ou même extrême-orientaux, un nombre incalculable d'ouvriers, d'employés, Français de condition modeste ou moyenne comme la plupart d'entre nous, adressait au cortège les signés d'une empathie de plus en plus marquée. »
Lorsque le procès Germaine Berton s’ouvre au mois de décembre 1923, les journalistes sont impatients de voir le visage de la meurtrière, dont la « silhouette discrète » déroute ceux qui attendaient la figure d’une héroïne.
« La Vierge rouge au corsage écarlate entre les plis de sa grande cape romantique ?
Non. C'est la silhouette discrète d'une petite Parisienne soignée, simplement. Un visage étroit disparaissant sous une cloche de feutre noir à boucles d'acier. […]
Elle porte une robe grise de pensionnaire, au large col de lingerie blanche d'où s'envole une sombre lavallière, dernière concession au style du grenier de Gringoire. Les cheveux coupés et rassemblés à la Ninon sont maintenus par une barrette de couleur turquoise. »
De nombreux témoins sont appelés à la barre, accusation et défense ayant fait le plein de sommités afin d’influencer l’issue de ce procès très politique.
« On se montre Mme Séverine, MM. Charles Maurras, Maurice Pujo, Maxime Réal del Sarte, Vaillant-Couturier, Urbain Gohier et Marcel Cachin, que le hasard avait rapprochés sur les mêmes bancs.
Voici encore se suivant sur le seuil étroit le général Sarrail, Georges Pioch, le juge d'instruction Devise, le compagnon Lecoin et Mme Colomer, Jean Longuet, le chansonnier Vallier, Ernest Judet, Pierre Bonardi, Léon Blum.
Ni M. Léon Daudet, ni le citoyen André Marty n'ont répondu à l'appel de leurs noms. »
Au terme de quatre jours de procès, l’avocat de Germaine Berton, Me Henry Torres, plaide l’acquittement, comme Raoul Villain, assassin de Jaurès.
« Si vous mettez sur son acte l'aube de la misère, comment ne pourriez-vous pas arriver à comprendre cet acte ? […]
Acquittez-la pour tout ce qu'elle représente d'abandon d'elle-même et de misère, acquittez-la comme vous aviez acquitté Villain. Paix pour tous.
Il faut que celle-ci aille rejoindre Villain dans l’oubli et dans l'apaisement. »
Le 24 décembre 1923, Germaine Berton est acquittée. L’Action française voit dans ce « crime du jury », outre une trahison à l’encontre de Marius Plateau, un encouragement au meurtre – et la menace d’une alliance entre la République honnie et le « bolchévisme ».
« Quand, sous le coup d'un gros scandale ou d'un grand événement, le régime chancelle dans l'esprit des honnêtes gens, il va se rafraîchir à sa source : il va se retremper dans la Révolution sa mère.
L'anarchie apporte son concours, qui n'est pas gratuit. Jaurès a été, pendant cinq ou six ans, le véritable chef des groupes républicains, le protecteur constant de tous leurs ministères. Et la France l'a payé par un million et demi de cadavres.
Un protectorat du même ordre va s'ouvrir. Quel qu'en soit le titulaire, il n'est pas difficile de voir ce qu'il comportera de désordres au dedans, d'asservissement au dehors. Le bolchevisme pur et simple. »
Libre, Germaine Berton continue de militer pendant quelque temps. Après une série de conférences jugées scandaleuses, elle est arrêtée au mois de mai 1924. Relâchée à la suite d’une grève de la faim, elle poursuit son activisme jusqu’au 1er novembre 1924, jour où elle tente de mettre fin à ses jours – d’abord avec une arme, puis en s’empoisonnant.
Peu d’explications à son geste si ce n’est une lettre qu’elle aurait envoyée à la grand-mère du jeune anarchiste Philippe Daudet (le fils de Léon), mort dans des circonstances troubles l’année précédente, où elle y aurait reconnu ses sentiments pour le jeune homme. André Colomer, journaliste au Libertaire, affirmera en outre que la jeune femme portait le portrait du jeune Daudet en médaillon autour de son cou.
Suite à cet événement, la jeune femme mettra un terme définitif à son activité politique.
C’est par un entrefilet que l’on apprendra sa mort par suicide pendant l’Occupation, le 4 juillet 1942… Le jour même des obsèques de Léon Daudet.
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Pour en savoir plus :
Raphaëlle Guidée, Penser la violence des femmes, La Découverte, 2012
« Pourquoi Raoul Villain fut acquitté », L’Histoire, 2014