Vallès décrit plus loin une autre réalité des mines françaises de l'époque : le travail des enfants.
« Une quinzaine de gamins se relaient sur des échelles et portent jusqu’au bord du trou les sacs remplis par les débris de roc ou de charbon qu’a fait tomber la pioche du mineur solitaire.
Comme l’air est irrespirable ou insuffisant dans ce boyau, on en envoie par des moyens factices : un ventilateur fonctionne continuellement au-dessus de l’abîme. C’est un enfant qui le fait tourner, qu’on remplace souvent et qui ne s’arrête que pendant quinze ou vingt secondes de temps en temps, pour se reposer. »
Plus tard, c'est l'arrivée dans une pièce particulière : la « chambre du feu grisou », en référence aux coups de grisou, ces explosions accidentelles de gaz terriblement redoutées des mineurs.
« Tous les ans, tous les mois, chaque semaine peut-être, il y a dans quelque mine un accident dû au feu grisou. On cite des catastrophes épouvantables. Le 26 mai 1860, vingt hommes furent par une explosion brûlés ! On les retrouva calcinés, méconnaissables.
La mine même où nous marchons a été témoin de malheurs isolés mais terribles. L’un des mineurs qui est là a la figure mâchée et sanguinolente ; il a été flambé par le feu grisou. »
Vallès interroge un enfant qui travaille là :
« L’ingénieur nous expliqua comment et pourquoi on ménageait ces courants d’air. Ces portes servent à empêcher l’air de courir droit à un puits sans passer ailleurs. Un moutard de huit à dix ans était le concierge : sa lampe était éteinte, il me demanda du feu.
– Je lui dis : “Tu t’amuses ?”
– Il me répondit : “Beaucoup.”
Je pensais pourtant que, être seul là, dans cette obscurité, n’était pas trop gai pour un môme, pas même pour un homme, et je me confondais en récriminations sur l’horreur de ce métier.
– Détrompez-vous, dit notre guide : les mineurs aiment leur état ; ils préfèrent au travail en plein air la mine toujours chaude, et la nuit d’en bas leur va mieux que le soleil d’en haut !
– Mais le danger ?
– Le danger, ils n’y songent pas ! Puis ils se reposent sur nous du soin de protéger leur vie, et nous accumulons les précautions. Quand par malheur un accident arrive, vous ne sauriez croire avec quelle ardeur tous se précipitent sur le théâtre du drame. L’autre jour, nous avons passé treize heures sans manger autour d’un éboulement au milieu duquel un homme était debout jusqu’au cou, vivant. Il n’était plus, à minuit, retenu que par son sabot. Nous n’avons pu le ravoir que le matin ! »
Le récit de Vallès s'achève par cette description :
« À chaque pas, c’était la trace d’une précaution, c’est-à-dire la menace d’un malheur. Je voyais des hommes étendus sur le dos, évider à coups de pioche des blocs énormes qui semblaient mal tenir au mur. Les rouleaux de bois portant les voûtes craquaient dans leur longueur, ou bien fléchissaient sur leurs pieds. C’étaient partout des cicatrices et des pansages, partout le danger caché, et la mort tapie au fond des trous.
Une mort affreuse parce que l’agonie est horrible, parce que aussi il est triste, bien triste de rendre là, dans cette nuit, et plus bas que le cimetière, le dernier soupir ! Est-ce orgueil ou faiblesse ? J’aimerais mieux, pour moi, que le dernier coup m’atteignît dans l’air libre et que la faux de la gueuse reluisît au soleil.
Nous nous retrouvâmes enfin au bas d’un puits qui était situé juste à mille cinq cents mètres de celui par où nous étions entrés. Notre voyage avait duré trois heures. Nous avions fait quatre kilomètres dans la mine, et, comme nous nous l’étions promis, nous avions touché la dernière pierre au fond du dernier trou. »
Trois ans plus tard, en 1869 et 1870, des grèves éclateront dans plusieurs mines françaises. « Les fureurs des foules sont crimes d'honnêtes gens », écrira plus tard dans L'Insurgé Jules Vallès, qui s'engagera en 1871 dans la Commune de Paris et fondera le journal d'extrême gauche Le Cri du Peuple.
La mine et les hommes qui travaillent dans ses profondeurs intéresseront par la suite plusieurs écrivains et journalistes. Émile Zola, pour les besoins de son roman Germinal, y descendra à Anzin, dans la banlieue de Valenciennes, en 1884. Tout comme la journaliste Séverine (une amie et admiratrice de Vallès), qui livrera en août 1890 dans Le Gaulois le récit de sa « Descente aux Enfers » dans les mines stéphanoises.
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Pour en savoir plus :
Jules Vallès, Œuvres, 2 tomes, Bibliothèque de la Pléiade
Joël Michel, La Mine dévoreuse d'hommes, Gallimard, Découvertes Histoire, 1993
Pierre Miquel, Mines, les travailleurs de l'ombre, Michel Lafon, 2005