1920 : la presse découvre un nouveau mouvement : le « fascisme » italien
Le mouvement fasciste, dirigé par Benito Mussolini, naît en Italie en 1919. La presse française, assistant à sa montée en puissance, insiste – parfois avec bienveillance – sur la dimension violemment anticommuniste de l'organisation.
1919. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Italie se trouve dans une situation politique instable. Les caisses de l'État sont vides. La perte de la côte dalmate, donnée à la Serbie pour former un nouvel État, la Yougoslavie, déçoit l'opinion et nourrit le thème de la « victoire mutilée », qu'accroît un fort ressentiment contre la classe politique traditionnelle. Beaucoup d'Italiens, enfin, craignent une révolution communiste dans le pays.
Une configuration dont Benito Mussolini, directeur du journal Popolo d'Italia, voit rapidement quel profit il pourrait tirer. En mars, il crée à Milan un nouveau mouvement politique : le Faisceau italien de combat, dont l'idéologie exaltée mêle confusément revendications nationalistes et sociales.
L'année suivante, l'organisation est désormais dominée par les représentants de l'ultradroite. Auto-proclamé « parti de l'ordre », le Faisceau abrite en son sein des militants radicaux, les « squadristes » (squadra d'azione), animés par des valeurs guerrières.
Les troubles insurrectionnels ouvriers de l'été 1920 vont être l'occasion d'affrontements violents entre communistes et squadristes – ces derniers étant soutenus par les classes possédantes dès lors qu'ils apparaissent comme susceptibles de contenir l'explosion révolutionnaire.
C'est à ce moment-là que la presse française va s'intéresser de près aux « fascistes » – le terme apparaît de plus en plus dans les journaux. Le 24 novembre 1920, Le Temps relate les « troubles sanglants » qui viennent d'avoir lieu à Bologne :
« De graves incidents ont eu lieu dimanche à Bologne et ont coûté la vie à huit personnes, dont deux conseillers municipaux. Il y a eu, en outre, une soixantaine de blessés.
Les adhérents et partisans du “Faisceau de défense nationale” avaient décidé de s’opposer à ce que le drapeau rouge fût arboré sur l’hôtel de ville, à propos de l’ouverture de la session du conseil municipal socialiste. Environ 1 500 manifestants, encadrés militairement, parcoururent les rues de la ville et se concentrèrent sur la place de l’hôtel de ville [...].
De leur côté les socialistes réagirent et quelques coups de revolver furent échangés [...]. Deux conseillers furent mortellement blessés et moururent peu après. »
À cette époque, les squadre, ou « chemises noires », harcèlent syndicalistes et socialistes. Armés d'un gourdin (le manganello), ils mènent dans les campagnes des « expéditions punitives », forcent leurs adversaires à boire de l'huile de ricin, un puissant purgatif, et commettent des assassinats qui demeurent impunis.
Le 29 décembre, Le Figaro, dressant un bilan de la situation italienne, note l'impuissance étatique et décrit le fonctionnement violent des fascisti.
« La crise réelle du peuple italien est une crise psychologique, une crise de l'énergie. L'action collective n'est plus suffisamment guidée par l’État ; des volontés particulières, éphémères et tôt lassées le remplacent fréquemment. À Bologne, après l'effondrement, dans le sang, de la municipalité socialiste, les rôles brusquement se renversent.
Une sorte de petite révolution locale s'opère ; les fascisti, les anciens combattants, les patriotes l'emportent ; le drapeau rouge est proscrit, ils organisent une police à eux, traquent leurs adversaires tout puissants la veille, imposent leur règle aux socialistes qui, jusque-là, dictaient la leur, avec la même rudesse, avec la même dureté qu'eux, exécutent enfin des raids, des expéditions punitives dans les environs, contre les mécontents qu'ils châtient.
En Toscane, dans le Mugello, les patrouilles automobiles des fascistes parcourent les campagnes pour rétablir l'ordre et entrent en conflit avec les paysans. On se bat, des morts restent sur le terrain ; chez ce peuple pacifique, la guerre a réveillé, dirait-on, dans une minorité combative, l'esprit de parti des siècles passés, le goût de l'aventure hardie, voire de l'incursion à main armée. »
En avril 1921, L'Ouest-Éclair s'intéresse à son tour au « phénomène du fascisme », que le journal rennais décrit avec une certaine bienveillance. En effet en France aussi, depuis la Révolution russe, la crainte d'une « contagion bolchéviste » se fait jour, et de nombreux journaux conservateurs saluent dans le fascisme une force capable de battre en brèche la montée du communisme.
« Le phénomène du fascisme est curieux, et vaut la peine d'être examiné de près. Racontons-en l'histoire.
Les premiers groupements de “fascistes” qui étaient en somme, au début, des militants d'une sorte de socialisme nationaliste, furent organisés en novembre 1919 par Mussolini, directeur du Populo d'Italia. Sans succès, d'ailleurs, leur programme politique étant des moins rassurant.
Mais Mussolini, un Romagnol qui a de sa race les outrances faciles mais aussi la droiture instinctive, semble tout de même avoir évolué rapidement depuis 1919 [...]. Autour des premiers noyaux de fascistes institués par Mussolini, de vrais bataillons de patriotes s'organisèrent. Partout la chasse fut donnée aux meneurs socialistes.
À chaque crime de ceux-ci une expédition punitive répondait, qui mettait le feu aux Chambres du travail. Les paysans, embrigadés par force dans les syndicats bolchevisants, cessèrent de trembler. »
Le Petit Parisien, hostile lui aussi au communisme, se montre néanmoins beaucoup plus inquiet face à la progression des forces mussoliniennes :
« Le “fascisme” est une sorte de réaction bourgeoise qui a ceci de particulier, c'est que les bourgeois n'en sont pas les agents, mais les spectateurs complaisants [...]. La presse enregistre ces tumultes sans blâme et sans protestation, et l'opinion en général ne leur est pas défavorable, elle y voit une réaction salutaire contre certains abus, certaines faiblesses gouvernementales, une sorte de justice populaire spontanée.
C'est, à mon sens, un état d'esprit bien dangereux. À s'habituer à considérer, sinon comme légitime, tout au moins comme excusable, la violence politique, on adhère implicitement à la philosophie communiste et l'on prépare aux bolchévisants des excuses péremptoires. Quand la brutalité remplace la discussion, le terrorisme n'est pas loin.
Quand une minorité se croit autorisée à faire prévaloir par la force sa conception particulière de la justice, la démocratie agonise. »
Le Petit Journal décrit quant à lui la montée en puissance du mouvement au sein de diverses couches de la population :
« Le “Fascisme” italien n'est pas un parti politique. C'est une croisade ardente et confuse des forces de préservation nationale et sociale, contre les éléments de désordre et d'anarchie.
Les “Fascisti” ou membres du “Faisceau National” étaient à l'origine des adversaires du socialisme, mais à présent les “Fasci” ne sont plus, comme au début, de simples groupes de jeunes gens pleins d'idéalisme patriotique : ils accueillent aussi des ex-combattants, des commerçants d'âge mûr, des représentants des professions libérales, des ouvriers de différentes tendances et de différents partis, nationalistes, socialistes, réformistes et radicaux.
Ils étaient, au début, des comités de Salut public. Ils s'organisent maintenant, en marge de la loi, en une sorte de gendarmerie politique. Dans chaque ville, les cent adeptes sont devenus mille, et puis ils sont montés à cinq mille, et puis à dix mille... »
C'est dans ce climat extrêmement tendu qu'ont lieu, au printemps 1921, les élections générales au cours desquelles les fascistes rejoignent la coalition gouvernementale. C'est le « Bloc national » décrit (et dénoncé) en avril par le journal communiste L'Humanité :
« La bourgeoisie entière s'efforce de faire bloc contre socialistes et communistes. Le bloc national devrait comprendre tous les partis, depuis les démocrates libéraux jusqu'aux catholiques [...]. Les “fascistes” sont l'élément essentiel du bloc national qui, sans eux, n'existerait pas.
Mussolini écrit dans le Popolo d'Italia :
“Le fascisme apparaît dans cette période de l'histoire d'Italie, comme le facteur principal et dominant de la situation. Le fascisme dominera les élections. Ici il est nécessaire d'affirmer que le fascisme ne se propose pas le moins du monde de troubler par des actes de violence la bataille électorale.” »
Les fascistes emportent 35 sièges. Mussolini, s'engageant dans la voie parlementaire tout en continuant d'encourager les violences sur le terrain, siège à l'extrême droite. Le 12 novembre 1921, il fonde le Parti national fasciste, qui devient de plus en plus populaire car perçu comme le seul susceptible de ramener « l'ordre » en Italie.
L'année suivante, suite à la « Marche sur Rome », Mussolini devient maître de l'Italie. Instaurant la dictature en 1925, il restera au pouvoir jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
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Pour en savoir plus :
Serge Berstein et Pierre Milza, Le fascisme italien, 1919-1945, Points Histoire, 1980
Renzo de Felice, Brève histoire du fascisme, Points Histoire, 2009
Angelo Tasca, Naissance du fascisme, Gallimard, 2014