4 août 1789 : abolition des privilèges et droits féodaux
« En une nuit, la face de la France a changé ; l'ancien ordre des choses, que la force a maintenu, malgré l'opposition de cent générations, a été renversé. [...] C'était à qui ferait le plus promptement l'abandon des droits les plus antiques. »
Dans la nuit du 4 août 1789, les députés de l'Assemblée nationale constituante proclament l'abolition des droits féodaux et de nombreux privilèges pour désarmer la province que le journal dépeint à feu et à sang. Quelques jours après la prise de la Bastille, c'est la Grande Peur qui s'est installée : la crainte d'un complot aristocratique suite aux événements parisiens soulève les provinces contre les seigneurs.
« Une foule de prétendus droits seigneuriaux révoltants par leur origine, souvent humilians [sic] par le mode de leur perception, accablans [sic] par leur multiplicité, pesaient depuis des siècles sur sa tête, et dévoraient ce qui avait échappé aux concussions du fisc. Ils furent proscrits ; et le paysan ne sachant pas distinguer ceux qui n'étaient qu'une suite des insolentes vexations de la force, de ceux qui étaient le gage d'une concession, d'un échange ou d'une convention établie pour l'avantage mutuel, se refusa en plusieurs provinces à tous les paiemens [sic]. Il fit plus ; dans la crainte de voir revivre un jour ces droits destructeurs, il anéantit tous les titres qui les constataient. Les chartriers furent livrés aux flammes ; et les seigneurs qui ne rendirent pas leurs terriers [registre de lois et usages qui fixe les droits seigneuriaux, ndlr] furent traités en ennemis. »
La destruction des chartriers et des terriers n'apaise pas toujours l'agitation des paysans : « Dans les premiers transports de l'effervescence, ce fut un crime d'être gentilhomme, et le sexe même ne put se garantir de la vengeance de la multitude ». Fusillés, égorgés, contraints par la hache de faire l'abandon de leurs titres, le journal énumère le sort de quelques seigneurs frappés en retour par l'effet « de huit cent ans de vexations publiques et particulières ».
L'Assemblée nationale n'ignore rien de ces violences :
« L'Assemblée nationale était profondément affligée de tous ces désordres. Mais elle savait que le passage du mal au bien est souvent plus terrible que le mal lui-même ; que ce bouleversement général était la suite nécessaire des secousses d'une grande révolution. »
Aussi, quand elle se réunit dans la nuit du 4 août, c'est précisément « pour lire la déclaration arrêtée la veille, et pour calmer l'agitation et les troubles des provinces ». Force est de constater que la déclaration en question ne suffira pas à apaiser la crainte et la colère du tiers état :
« On n'y fesait [sic] pas mention des sacrifices que la noblesse était dans l'intention de faire, elle ne parlait pas de la réforme que le clergé se proposait de faire, elle n'annonçait enfin rien de ces grands objets qui intéressent et frappent la Nation. L'Assemblée sentait bien tous ces inconvéniens [sic]. Les Peuples, disait-on, souffrent, se plaignent et gémissent. Ils nous ont fait des demandes : nous sommes chargés de les exécuter. »
Deux députés nobles, fervents défenseurs et instigateurs de l'abandon des privilèges, prennent la parole. Le vicomte de Noailles, d'abord :
« [Les campagnes] ont cru devoir s'armer contre la force, et aujourd'hui elles ne connaissent plus de frein : aussi résulte-t-il de cette disposition, que le royaume flotte, dans ce moment, entre l'alternative de la destruction de la société, ou d'un gouvernement qui sera admiré et suivi de toute l'Europe.
Comment établir, ce gouvernement ? Par la tranquillité publique. Comment l'espérer, cette tranquillité ? En calmant le Peuple, en lui montrant qu'on lui réside que dans ce qu'il est intéressant pour lui de conserver ».
Le duc d'Aiguillon parle ensuite pour demander l'établissement « le plus promptement possible [de] cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes ». Les motions qu'il propose sont « accueillies avec un transport de joie inexprimable », selon le journal. La suite de la séance est retranscrite dans le numéro suivant :
« L'enthousiasme saisit toutes les âmes. Des motions sans nombre, plus importantes les unes que les autres, sont successivement proposées.
M. le marquis de Foucault fait une motion vigoureuse contre l'abus des pensions militaires [...].
M. l'évêque de Chartres, représentant le droit exclusif de la chasse comme un fléau pour les campagnes, ruinées depuis plus d'un an par les élémens [sic], demande l'abolition de ce droit, et il en fait l'abandon pour lui. »
Sur sept colonnes, La Gazette ou le Moniteur universel liste les interventions extatiques des députés, qui semblent surenchérir dans l'abandon de leurs privilèges. Les articles arrêtés au terme de la séance sont finalement résumés :
« Abolition de la qualité de serf et de la main-morte, sous quelque domination qu'elle existe.
Faculté de rembourser les droits séigneuriaux.
Abolition des juridictions seigneuriales.
Suppression du droit exclusif de la chasse, des colombiers, des garennes.
Taxe en argent, représentative de la dîme. Rachat possible de toutes les dîmes, de quelque espèce que ce soit.
Abolition de tous privilèges et immunités pécuniaires.
Égalité des impôts, de quelqu'espèce que ce soit. [...]
Admission de tous les citoyens aux emplois civils et militaires.
Déclaration de l'établissement prochain d'une justice gratuite, et de la suppression de la vénalité des offices.
Abandon du privilège particulier des provinces et des villes. Déclaration des députés qui ont des mandats impératifs, qu'ils vont écrire à leurs commetans pour solliciter leur adhésion.
Abandon des privilèges de plusieurs villes [...].
Destruction des pensions obtenues sans titres.
Réformation de Jurandes.
Une médaille frappée pour éterniser la mémoire de ce jour. »
« La séance est suspendue à 2 heures après minuit » sur un dernier hommage rendu à la personne royale :
« Messieurs, au milieu de ces élans, au milieu de ces transports qui confondent tous nos sentimens [sic], tous nos vœux, toutes nos âmes, ne devons-nous pas nous souvenir du roi ; du roi qui nous a convoqués, lorsque les Assemblées nationales étaient interrompues depuis près de deux siècles. [...] Je propose qu'au milieu de cette Assemblée nationale, la plus auguste la plus utile qui fut jamais, Louis XVI soit proclamé le restaurateur de la liberté française. »