1947 : Tende et La Brigue deviennent françaises
Ce sont deux villages de la vallée de la Roya, deux gros bourgs montagnards qui totalisent entre 2 000 et 3 000 habitants, qui vont redessiner les contours de la France en 1947.
Le 10 février de cette année, le traité de Paris fixe les accords entre vainqueurs et vaincus de la Seconde Guerre mondiale. Il stipule que l’Italie doit céder à la France les zones habitées de Tende et La Brigue à 50 km au nord de Menton. Pourquoi ces deux localités précisément ?
Ce sont deux territoires exclus de l’échange qui eut lieu en 1860 entre Napoléon III et Victor-Emmanuel et qui vit la ville de Nizza devenir française sous le nom de Nice. Tenda et Briga restèrent italiennes car Victor-Emmanuel en avait officiellement fait ses terrains de chasses royales et voulait conserver son terrain de jeu. Plus stratégiquement, ces deux villages formaient un obstacle à toute volonté d’envahir Turin en passant par la vallée.
Le 16 septembre 1947, la presse célèbre l’entrée en vigueur du traité de Paris signé quelques mois plus tôt.
« Depuis minuit, les territoires italiens de Tende, de Brigue et de Mollières sont français. Des cérémonies sont prévues dans ces trois villes aujourd’hui. Toutefois des laissez-passer seront encore nécessaires pendant quelques jours pour le franchissement de l’ancienne frontière.
Ce n'est qu’après la consultation populaire qui doit avoir lieu le 15 octobre que ces territoires seront définitivement rattachés à la France.
Mais, d'ores et déjà, l'autorité militaire française a fait installer une liaison télégraphique et téléphonique avec Tende. Les bureaux des P.T.T. italiens ont cessé d’exister et sont, depuis aujourd’hui, remplacés par des bureaux français. »
La consultation populaire en question aura finalement lieu le 12 octobre 1947. Les habitants de Tende et La Brigue sont appelés à se prononcer par référendum sur le rattachement de leur ville à la France.
Quelques semaines avant, une rumeur circule à Paris : les Italiens pratiqueraient la « politique de la terre brûlée » pour faire pression.
« […] les Italiens qui s’apprêtent à nous rétrocéder le canton de Tende en mettraient les forêts au pillage, coupant même les jeunes pousses et allumant ensuite des incendies pour interdire tout contrôle futur, cependant qu’une pression scandaleuse s’exercerait sur les habitants pour que le plébiscite promis par notre ministre des Affaires étrangères tourne en faveur de l’Italie. »
Dans les faits, il n’en est rien. Seuls quelques débats entre membres des partis communistes français et italiens agitent la campagne.
Le 12 octobre, près de 3 000 électeurs se rendent aux urnes dans une ambiance festive :
« Dès huit heures du matin, dimanche, les Tendasques se pressaient vers la mairie du village afin de déposer dans l’urne l’expression de leur choix. À toutes les fenêtres flottait le drapeau français et partout une atmosphère de fête populaire animait la petite ville. »
Et le référendum du 12 octobre tourne au plébiscite, comme l’annonce L’Aube en une :
« Tende et La Brigue ! Deux noms désormais français, et français par la volonté quasi unanime de leurs habitants. Ceux-ci, dans une proportion de 91 p. 100, ont en effet voté pour le rattachement… »
Sur 2 821 suffrages exprimés, 2 603 se sont prononcés en faveur du rattachement à la France. Le scrutin est sans appel. Tendasques et Brigasques recevront bientôt leur carte d’identité française. Et les collectionneurs peuvent se mettre en quête des « oblitérations historiques » datées du 16 septembre 1947 (date de l’entrée en vigueur du traité de Paris).
L’Aube du 22 novembre signale :
« Ces cachets n'ont oblitéré que des timbres français. Les affranchissements mixtes (c’est-à-dire comprenant à la fois des timbres français et italiens) ont été interdits par l’administration postale française. »
Pourquoi choisir la France, finalement ? Cela semble une telle évidence que la presse nationale ne se pose pas de questions (et ne va pas en poser aux populations concernées) : pour en finir avec le fascisme de Mussolini pour certains, et être du côté des vainqueurs pour les autres.
L’autre raison serait plus prosaïque : depuis des décennies, les habitants de la vallée vendent leur bras dans les luxueuses villas de Nice et Menton. Femmes de chambre ou hommes à tout faire, c’est en France que les Italiens de la Roya trouvaient du travail.