Juin 1848 : la révolte du peuple de Paris
À l'Assemblée nationale, la majorité conservatrice fraichement élue s'empresse de faire disparaître les Ateliers nationaux destinés à fournir du travail aux chômeurs parisiens. Symboles de la politique sociale mise en place après la révolution de février 1848, ils sont officiellement dissous le 21 juin.
Du 23 au 26 juin, une foule d'ouvriers s’insurgent. Sur ordre du ministre de la Guerre, le général Cavaignac, bientôt surnommé "prince de sang" ou le "boucher de juin", les émeutes sont durement réprimées.
La presse établie est tout entière rangée derrière le pouvoir, qui s'emploie à faire passer les insurgés pour des anarchistes. Voici le récit de la première journée d'insurrection dressé par Le Constitutionnel :
"Dès le matin, sans cris, sans bruit, des barricades ont été élevées, des maisons voisines des barricades ont été envahies par des insurgés semblant obéir, passivement, à un mot d'ordre, et préparés de longue main à la guerre civile. Partout, le peuple surpris, le peuple de toutes les fortunes, ou plutôt de tous les degrés de misère, réprouvait ces malheureux et maudissait leur délire fratricide [...]
La lutte s'est prolongée toute la journée. [...] Paris tout entier est sous l'empire d'une mortelle angoisse ; les boutiques sont fermées ; la circulation est interrompue ; chacun est soldat. La garde nationale a été admirable de courage, de fermeté, de persévérance. Beaucoup sont tombés pour la défense des lois, ou afin de mieux parler, pour la défense de l'ordre et de la société en péril. C'est donc contre l'anarchie déchaînée que Paris lutte en ce moment avec héroïsme. Les rêves, les extravagances, les ambitions insensées, les criminelles complaisances, les chimères orgueilleuses ont porté leurs fruits. C'est la famille, c'est la propriété, c'est la morale menacées à la fois que défendent, au péril de leur vie, ces gardes nationaux désespérés, ces pères de famille, ces soldats, enfants du peuple, contre une armée d'hommes égarés ou de factieux, que poussent en avant de détestables calculs."
S'ensuit la description heure par heure des combats qui font rage en divers points de la capitale.
À l'Assemblée, les voix dissidentes sont rabrouées, ainsi qu'en témoigne cet échange rapporté dans Le Moniteur :
"Le citoyen Charbonnel a la parole : « Citoyens représentants, la clôture a été prononcée hier, alors que je disais : Voter 3 millions pour le travail des ouvriers de Paris, c’est très bien... » (Voix nombreuses. Vous n'avez pas la parole !)
«... Mais ce n’est pas encore la solution de la question qui nous presse, puisque les départements restent délaissés, sans appui, en proie à la plus grande misère. » (De toutes parts : L’ordre du jour ! l'ordre du jour !)
« Citoyens représentants, quand l’industrie fait défaut à une partie de la classe ouvrière, alors le Gouvernement... (Voix nombreuses. Vous n'avez pas la parole !) Citoyens représentants, quand l’industrie fait défaut à une partie de la classe ouvrière, alors le Gouvernement... » (Voix nombreuses. Vous n'avez pas la parole !)
« À l’aide des travaux publics... (L’ordre du jour ! L’ordre du jour !) et les possesseurs du sol, à l'aide des améliorations possibles, sont responsables et solidaires... (L’ordre du jour ! L’ordre du jour !) du pain quotidien dû à l’homme qui demande à vivre en travaillant. C’est là le premier des droits naturels, universels et chrétiens. » (Réclamation sur tous les bancs. Cris nombreux : Vous n’avez pas la parole ! — L’ordre du jour !)"
Le 26 juin 1848, on peut lire dans Le Moniteur universel (le Journal officiel de l'époque) le compte-rendu des débats à l'Assemblée nationale et la satisfaction des députés conservateurs, qui se félicitent de "l'état matériel et moral" de la capitale et de "l'excellent effet produit" par les mesures de répression en cours.
Au total, du 23 au 26 juin, trois jours de combats feront 4.000 morts parmi les insurgés et 1.600 parmi les forces de l'ordre.