Écho de presse

La première abdication de Napoléon et les « adieux de Fontainebleau »

le 23/04/2021 par Pierre Ancery
le 01/04/2021 par Pierre Ancery - modifié le 23/04/2021
Les adieux de Napoléon à la Garde impériale, tableau d'Antoine Alphonse Montfort (1802-1884) - source WikiCommons

Le 6 avril 1814, sa défaite militaire face à la Sixième Coalition oblige Napoléon à abdiquer. Le 20 avril, avant de partir pour l’île d’Elbe, il fait ses adieux à la Garde impériale dans la cour du Cheval-Blanc du château de Fontainebleau.

Le 20 avril 1814 est une date cruciale dans l’histoire du règne napoléonien. Deux semaines plus tôt, le 6 avril, sa défaite militaire après la campagne de France et l’invasion alliée (Royaume-Uni, Prusse, Russie, Autriche) ont contraint l’empereur à abdiquer.

Réfugié au château de Fontainebleau après la prise de Paris le 31 mars, il a cédé au tsar Alexandre Ier qui lui a imposé l’abdication sans condition - Napoléon aurait voulu confier le pouvoir à son fils, le roi de Rome, âgé de trois ans, et faire de Marie-Louise d’Autriche la Régente.

Le Sénat va alors appeler Louis XVIII au pouvoir et prononcer l’exil de l’empereur. Alexandre Ier choisit l’île d’Elbe, dépendance de la Toscane, dont Napoléon reçoit la souveraineté ainsi qu’une rente de 2 millions de francs du gouvernement français. Le 11, le traité « de Fontainebleau » est signé. La presse parisienne publie l’acte l’abdication deux jours après :

« Acte d’abdication de l’empereur Napoléon.

Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce, pour lui et ses héritiers , aux trônes de France et d’Italie, et quil n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, quil ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France.

Fait au palais de Fontainebleau , le 11 avril 1814.

Signé Napoléon. »

Napoléon abdiquant à Fontainebleau, tableau de Paul Delaroche, 1845 - source WikiCommons

Désespéré, Napoléon tente de se suicider avec du poison dans la nuit du 12 au 13 avril. Mais il survit, et le 20 avril, il quitte le château pour l’île d’Elbe. C’est à ce moment qu’a lieu la scène dite des « adieux de Fontainebleau ».

Celle-ci a lieu dans la cour du Cheval-Blanc, nommée ainsi en référence à l’escalier en fer à cheval créé sous Louis XIII. Il est onze heure trente lorsque Napoléon, grave, descend les escaliers, coiffé de son célèbre chapeau. Les représentants des pays de la Coalition sont là. Derrière les grilles, une foule de badauds ont afflué pour assister à l'exil du souverain déchu.

L’empereur s’adresse alors aux membres émus de la Garde impériale, plus précisément le Ier régiment des grenadiers de la garde et une soixantaine d’élèves de l’École polytechnique, alignés du bas des escaliers jusqu’aux voitures.

Que leur dit-il, dans ce discours semble-t-il improvisé, qui marquera les personnes présentes ? La version généralement retenue est celle du baron Fain, secrétaire de l’empereur, qui l’a publiée en 1823 dans le Manuscrit de 1814. Mais d’après plusieurs témoins qui tentèrent de retranscrire le discours immédiatement après, la harangue de Napoléon ressemblerait plutôt à ceci :

« Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l’honneur et de la gloire. Vous vous êtes toujours conduits avec bravoure et fidélité. Encore dans ces derniers temps, vous m’en avez donné des preuves.

Avec vous, notre cause n’était pas perdue. J’aurais pu pendant trois ans livrer la guerre civile ; mais la France n’en eût été que plus malheureuse et sans aucun résultat. Les puissances alliées présentaient toute l’Europe liguée contre nous. Une partie de l’armée m’avait trahi ; des partis se formaient pour un autre gouvernement. J’ai sacrifié tous mes intérêts au bien de la patrie ; je pars. Vous la servirez toujours avec gloire et honneur, vous serez fidèles à votre nouveau souverain.

Recevez mes remerciements, je ne puis vous embrasser tous, je vais embrasser votre chef, j’embrasserai aussi votre drapeau. Approchez Général, faites avancer le drapeau… »

Puis Napoléon donne l’accolade au général Petit et embrasse le drapeau du Ier régiment de grenadiers. Enfin, il monte dans la dormeuse à six chevaux qui l’attend et quitte le château. L’épisode sera plus tard mythifié par les admirateurs de l’empereur.

L’émotion est nettement moins palpable chez la plupart des contemporains, lassés des incessantes guerres napoléoniennes qui ont englouti la vie de centaines de milliers d’hommes et engendré la misère dans tout le pays. Nobles et notables se sont ralliés à la « solution » royaliste, tandis que le peuple est de plus en plus hostile à l’empereur.

Dans la presse, sévèrement muselée sous l’Empire, beaucoup vont accueillir avec soulagement le départ de « l’Ogre ». Dès le 10 avril, Le Journal des débats politiques et littéraires se félicite par exemple de pouvoir enfin écrire la vérité sur la sanglante campagne d’Espagne, en 1808-1809 :

« Nous avons tout ignoré sous un règne de mensonge et d'oppression ; c'est maintenant qu'il faut que tout soit révélé pour le triomphe de la vérité et de l'humanité [...].

C'est la guerre d'Espagne qui a préparé là chute de cette puissance inouïe et sauvage qui menaçait d'envahir le monde, et de dissoudre toutes les sociétés ; c'est l'héroïsme des Espagnols qui a réveillé dans tous les cœurs européens ces sentiments de liberté, d'indépendance, d'amour de la patrie, qui ont réuni dans une sainte ligue tant de nations divisées d'intérêts et de langage. »

Le Journal de Paris s’autorise quant à lui, le 14 avril, un bilan sans concession de la carrière de « Buonaparte », donnant le coup d’envoi à la légende noire de l’empereur :

« La révolution mémorable qui vient de s’opérer formera une époque importante de l’histoire moderne ; essayons donc de tracer quelques traits de l’homme extraordinaire qui bouleversa l’Europe, et dont le fol orgueil entraîna la France sur le bord de l’abîme où sa fureur l’a précipité lui-même [...].

En lui accordant un coup d’œil rapide, l’audace et l’intrépidité un jour de combat, l'inexorable histoire retracera ses crimes et ses fautes ; elle lui refusera le talent de former des plans sages, ainsi que les hautes connaissances de la stratégie ; elle peindra son insatiable avidité, son orgueil insupportable, son entier oubli des convenances ; elle le représentera injuriant sans cesse des souverains qu’il aurait dû respecter puisqu’il l’était devenu, se repaissant de chimères, ne faisant des traités que pour se préparer à de nouvelles agressions, formant d’injustes envahissements au sein de la paix, sans conduite, sans foi, sans humanité, redoutable aux siens mêmes, en exécration aux français et à tous les peuples. »

La Gazette de France, apprenant que Napoléon est effectivement parti pour l’île d’Elbe deux jours auparavant, commente le 22 avril :

« Bonaparte, qui a si souvent trompé la France, l’avait trompée encore sur l’époque de son départ ; nous sommes assurés enfin qu’il a fait ses adieux à Fontainebleau, et qu’il s’est mis en route pour le lieu de son exil. Le rêve de sa grandeur s’est évanoui ; il va se réveiller à l’île d’Elbe [...].

On a cru pendant quelque temps qu’il pouvait être un héros de tragédie ; il n’est plus maintenant qu’un héros de mélodrame ; il a promis de nous donner la mesure des hommes importants de notre siècle ; il a commencé par nous donner la sienne. »

Signé le 30 mai, le traité de Paris ramena la France à ses frontières de 1792, ne gardant de ses conquêtes révolutionnaires que la Savoie, Avignon et Montbéliard. Napoléon, lui, n’avait pas dit son dernier mot : en 1815, il allait tenter de reprendre le pouvoir en France lors de l’épisode des Cent-Jours.

La défaite de Waterloo allait porter un coup d’arrêt à ses ambitions et provoquer sa seconde abdication (le 22 mai 1815), puis signer son exil définitif à Sainte-Hélène, où il devait mourir le 5 mai 1821.

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Pour en savoir plus :

Charles-Eloi Vial, Napoléon, la certitude et l’ambition, Perrin/BnF, 2020

Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard / Pluriel, 1977 (première édition)