Écho de presse

La grève sanglante de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges

le 07/10/2021 par Michèle Pedinielli
le 30/09/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 07/10/2021

En 1908, les ouvriers des carrières de Draveil et Villeneuve Saint-Georges se mettent en grève pour de meilleures conditions de travail. Le 2 juin et le 30 juillet, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les grévistes.

Le 2 mai 1908, les ouvriers des carrières de Draveil, rassemblés au sein du syndicat des carriers-puisatiers-mineurs de Chevreuse, se mettent en grève pour demander la journée de 10 heures, le repos hebdomadaire, une augmentation de salaire et la fin du travail à la tâche.

Face à eux, les compagnies de carrières s’unissent pour refuser toute négociation et faire appel à des briseurs de grève pour que le travail reprenne. Les tensions pendant tous le mois de mai sont grandes entre grévistes, « jaunes » et gendarmes qui les accompagnent.

Le 2 juin 1908, ces derniers sont attaqués par des ouvriers. S’ensuit une course poursuite qui mène les gendarmes devant la permanence syndicale, où se trouve des grévistes désarmés ainsi que des femmes et des enfants. Depuis l’extérieur du bâtiment, les gendarmes tirent, tuant Pierre Le Foll et Émile Giobellina et blessant une dizaine de personnes.

Dans les pages du journal socialiste L’Humanité, l’émotion est palpable.

« Cette fois, vraiment, il n'y a pas à équivoquer. Le meurtre commis par les gendarmes à Draveil sur les ouvriers en grève n'a pas l'ombre d'une excuse.

S'il y a eu hier, parmi les ouvriers qui délibéraient pacifiquement, un mort, un homme blessé mortellement, neuf blessés, la responsabilité tout entière, sans chicane possible, sans atténuation possible, pèse sur la force armée. Il n'y a pas eu provocation, il n'y a pas eu agitation, il n'y a pas eu désordre. Ce n'est pas pour refouler ou même pour prévenir des violences, ce n'est pas pour protéger des “jaunes”, que les gendarmes ont fait feu. […]

C'est l'assassinat le plus stupide et le plus sauvage. Les gendarmes n'étaient pas en état de légitime défense. Ce n'est pas dans le désordre d'un corps à corps qu'ils ont tiré. C'est du dehors, c'est délibérément, c'est sur une foule stupéfaite de la plus lâche, de la plus soudaine, de la plus injustifiable agression. »

Le coupable, selon les médias de gauche, s’appelle Georges Clemenceau, « premier flic de France » d'alors en tant que président du Conseil. Le Parti socialiste doute ouvertement de l’efficacité de l’enquête qui vient d’être diligentée. Marcel Sembat, député socialiste, rédige un édito enflammé et ironique dans L’Humanité.

« Savez-vous ce que Clemenceau va dire demain à la Chambre ?  Oh oui ! Vous le savez parfaitement ! Il va dire qu'à Draveil les vrais coupables sont les victimes.

Arrangez cela comme vous voudrez ! Enveloppez-le d'enquêtes officielles, cuisinez de chicanes, poivrez d'attaques, sucrez d'adoucissements, saucez d'éloquence, je vous défie de nous servir autre chose !

Ce sont les grévistes qui ont commencé, voilà le principe. C'est le point essentiel et réglé d'avance. Parlementairement, cela ne fait pas question. La seule question parlementaire est de trouver la meilleure façon de présenter l’affaire. »

L’enquête montre cependant que d’une part, un officier de la gendarmerie a outrepassé ses droits et, d’autre part que des « éléments extérieurs » sont venus perturber une grève pacifique.

« On savait que le maréchal-des-logis avait, en commandant une troupe pour marcher contre des hommes qui ne violaient pas la loi, outrepassé ses pouvoirs et manqué du plus vulgaire sang-froid. On savait aussi que le dit maréchal-des-logis allait être déféré à un conseil d'enquête, seul juge de ses actes et seul désigné pour imposer, le cas échéant, les sanctions nécessaires […].

Autre constatation. M. Dalimier, qui a mené son enquête avec un louable souci de vérité, l'a faite. Si les grévistes de Draveil étaient restés livrés à eux-mêmes, il n'y eût pas eu de désordres.

La grève évoluait avec tranquillité, avec ordre on peut dire. Les éléments de désordre, nous empruntons les paroles mêmes du député de Corbeil, ont été amenés de Paris. Ce sont ces “étrangers” qui ont exaspéré la situation. »

La grève va se poursuivre pendant les mois de juin et juillet, même si le préfet de l’Oise a interdit manifestations et rassemblements. Pour durcir le mouvement et obtenir gain de cause, la Fédération du bâtiment décide de lancer un appel à la grève générale de 24 heures et appelle à une manifestation le 30 juillet à Villeneuve-Saint-Georges.

La manifestation, qui a débuté dans le calme, se heurte rapidement aux régiments de dragons à cheval et aux deux cents gendarmes à pied, envoyés sur place. L’affrontement est terrible.

Quatre ouvriers sont tués et plus de 200 sont blessés. On compte 69 blessés du côté des forces de l'ordre. Tous les journaux titrent le lendemain sur « la journée sanglante ».

« La grève générale de vingt-quatre heures, votée par les ouvriers terrassiers, a eu pour triste résultat une journée sanglante.

L'exode des chômeurs vers Draveil-Vigneux a mis en présence les grévistes et la troupe et les exaspérations réciproques qui naissent forcément de ces contacts tumultueux ont abouti à une collision désolante.

Des morts, des blessés, tel est le bilan de cette manifestation. »

Le rédacteur de Gil Blas décrit les manœuvres qui ont abouti à ces violences.

« De là, nous assistâmes à de véritables manœuvres de guerre, qui devaient, fatalement, aboutir à la tuerie de l'après-midi.

Imaginez le quartier-général d'une armée, celle du gouvernement, celle de “la société”, celle de “l’ordre”, établi à Villeneuve-Saint-Georges, point stratégique, où passent la Seine et d'importantes voies ferrées, où convergent les grandes routes. Le thème est de défendre, en quelque sorte, ces citadelles de l'installation patronale, situées dans la vallée, au sud, à Vigneux et à Draveil, contre l'envahissement de forces ennemies qui peuvent venir de Paris, au nord, et se joindre à d'autres forces disséminées dans la région, plus bas, et à droite et à gauche. […]

Ce qui se passa par la suite est logique. Convergeant vers Draveil-Vigneux, et vers Villeneuve-Saint-Georges, les bandes de grévistes, après des échauffourées successives, dont quelques-unes déjà furent sérieuses, comme celle qui se produisit devant le hangar des réunions des sabliers, se massèrent petit à petit dans la direction de Villeneuve. […]

Il y eut des charges, il y eut des barricades, il y eut des assauts.

Les revolvers et les carabines partirent d'eux-mêmes. Et ce fut la fusillade, ce fut la bataille. »

Le lendemain, Clemenceau donne l’ordre d’arrêter trente dirigeants de la CGT, y compris Victor Griffuelhes, son secrétaire général, pour décapiter le syndicat. Le 4 août 1908, les grévistes acceptent les propositions patronales qui incluent la journée de 10 heures et 5 centimes d’augmentation. Le travail reprend le 8 août 1908.

Cependant, le rôle de Georges Clemenceau dans la gestion de cette grève est questionné pendant de longs mois. Notamment sur l’utilisation d’éléments perturbateurs pour faire exploser la violence et discréditer le mouvement syndical.

En octobre 1911, un certain Métivier passe aux aveux.

« “Le 20 juillet 1911.

Je reconnais avoir été en relation avec M. Clemenceau, une seule fois, alors qu’il était président du Conseil.

C'est à la suite de celle-ci que date mon entrée au service des renseignements. À cette date qui eut lieu le 20 mai 1908, il m'a été remis 300 francs.

L. MÉTIVIER.”

Dans, sa défense, M. Almereyda a fait remarquer que c’est précisément quelque temps après l'embauchage de Métivier que se produisirent les tragiques événements de Draveil-Vigneux.

Et l'on se souvient que le rédacteur de la Guerre sociale accusait formellement, au cours de l'audience précédente, M. Métivier d'avoir été l'organisateur de cette sanglante journée. »

Des années plus tard, L’Humanité n'aura rien oublié de cette terrible affaire. Le journal, devenu organe officiel du Parti communiste, en profitera pour affubler Georges Clemenceau d’un nouveau surnom.

« Clemenceau s’intitulait volontiers le “premier flic de France”.

Aujourd'hui, c'est le règne de la bourrique et voici le “premier mouchard de France”. »

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