Écho de presse

L’homme qui voulut tuer Pierre Laval

le 08/11/2021 par Pierre Ancery
le 26/10/2021 par Pierre Ancery - modifié le 08/11/2021

En août 1941, un événement fait la Une de la presse collaborationniste : Paul Collette, un jeune ouvrier royaliste originaire de Caen, a tiré sur Pierre Laval à Versailles. Il sera emprisonné en France, puis déporté à Mauthausen en 1944.

27 août 1941, en pleine Occupation. Pierre Laval, l’une des principales figures de la collaboration (il a été vice-président du Conseil des ministres de juillet à décembre 1940), est à Versailles. Il est venu pour passer en revue le premier contingent de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, qui s’apprête à partir combattre sur le front russe aux côtés des Allemands.

La cérémonie organisée à la caserne Borgnis-Desbordes s’achève, lorsqu’un membre de la Légion ouvre le feu sur Laval, qui marche aux côtés de Marcel Déat, de Jacques Doriot et de Fernand de Brinon. Toute la presse collaborationniste du lendemain raconte l’événement, à l’image de L’Œuvre : 

« Alors que venait de se terminer, hier à Versailles, la cérémonie du drapeau des Volontaires antibolchevistes, des coups de feu sont tirés sur le groupe des officiels. Plusieurs personnes sont touchées, dont Pierre Laval et Marcel Déat.

Hâtons-nous de dire qu'aux dernières nouvelles, l'état des blessés permettait d'espérer une amélioration rapide. Le meurtrier, sans doute, aura manqué son coup. Laissons pour l'instant, faute de renseignements précis, la personnalité de ce meurtrier. Ce qu'il est au juste, d'où il sort, qui a armé son pistolet, l'enquête l'établira.

Ne retenons que sa déclaration première : "J'ai tiré parce que je suis anti-collaborationniste." »

L’auteur des cinq coups de feu est rapidement maîtrisé et arrêté. Hospitalisés, Pierre Laval et Marcel Déat s’en tirent sans dommage, en raison sans doute de la faiblesse du calibre employé, de même que les autres personnes touchées : le colonel Duruy et un légionnaire.

Dans la presse, très vite, l’identité du tireur est révélée : il s’agit d’un certain Paul Collette, un ouvrier de 21 ans originaire de Caen et ancien membre de la Marine, qui a participé aux combats de 1940. Ancien militant de l’organisation de jeunesse des Croix-de-feu, puis de l’Action française, Collette est aussi un royaliste, farouchement opposé à la politique de collaboration active mise en place par le régime de Vichy.

Collette, apprennent les journaux, s’est engagé dans la Légion des volontaires français dans le seul but de commettre l’attentat. Après qu’il a été longuement interrogé par la police, le 29 août, Paris-Soir fait son portrait, le décrivant comme « gaulliste » : 

« Paul Colette [sic] est navigateur à Caen où il habite, quai de Vandeuvre. Il a 21 ans. Il a déclaré qu'il avait décidé d'abattre une personnalité collaborationniste. Dans ce but, il était venu de Caen hier matin. A la première heure, il s'était présenté a la caserne Borgnis-Desbordes pour contracter un engagement.

Accueilli, enrôlé, il espérait pouvoir opérer, a-t-il dit, samedi à Paris au cours d'une cérémonie. Mais, dans l'après-midi, il apprit la venue prochaine de M. Pierre Laval. Sa résolution dès lors fut prise. Dune fenêtre de la caserne il vit effectivement l'ancien président du Conseil arriver. Il se glissa sous le porche, laissa passer M. de Brinon, puis armé d'un 6/35 il ouvrit le feu lorsqu'il vit M. Laval. »

Dans la presse collaborationniste, une question plane : Collette a-t-il agi seul, ou son acte a-t-il été commandité ? C’est l’hypothèse émise par Paris-Soir, qui ajoute :

« Ce qu'il n'a pas dit, mais ce que la justice a le devoir de rechercher, c'est par contre la possibilité, la probabilité qu'il n'a été qu'un agent exécuteur, que d'autres ont armé sa main. Et que l'on peut d'autant plus soupçonner les Anglais et les gaullistes d'avoir inspiré, dicté et payé son geste, qu'une heure à peine après l'attentat et alors qu'il n'était encore connu que de ses témoins, la radio britannique se hâtait de l'annoncer ! »

Fernand de Brinon, de son côté, lancera la rumeur qu’il était communiste.

L’auteur de l’attentat manqué, qui assume pleinement son geste, est condamné à mort le 1er octobre par un tribunal d’exception. Mais sa peine sera commuée en prison à perpétuité, Laval ayant demandé qu’on lui laisse la vie sauve, ce que rapporte le Journal des débats politiques et littéraires le 6 octobre.

Dans les années suivantes, le nom de Paul Collette disparaît des journaux. En novembre 1944, au moment de la Libération, Émile Servan-Schreiber s’interroge dans les colonnes de L’Aube :

« Je pense à Paul Colette. Où est-il ? Est-il libéré ? A-t-il vu la fin de son long martyre ? A-t-il vécu la minute de la résurrection ? Tant d’autres depuis ont suivi sa voie et sont entrés dans la Résistance au péril de leur vie, mais il fut l’un des premiers à risquer son existence de la façon la plus courageuse. »

France-Soir, de son côté, croit savoir que Paul Collette se trouve en Allemagne :

« Nous pensions qu'il était encore en France, dans une prison centrale : malheureusement, après avoir hanté les cellules de Caen, de Fontevrault et de Blois, il est maintenant quelque part... en Allemagne. »

En effet, Collette, après être passé par plusieurs prisons françaises, a été déporté en Allemagne en 1944, au camp de concentration de Mauthausen. Il sera libéré en mai 1945. Le 5 juin, de retour en France, mais affaibli par sa longue captivité, il répond à une interview de France-Soir et raconte ses épreuves.

« Paul Collette, retour d’Allemagne, n’a plus rien à lui, sa maison de Caen a été détruite pendant les combats du débarquement. Mais il garde l’immense orgueil d’avoir voulu détruire l'ennemi n°1 de la France.

Il me fait place à sa table. Sans doute il a terriblement maigri et son visage garde la pâleur que laisse le contact de la chiourme et de la mort. La faiblesse enlève tout éclat à ses candides yeux bleus [...]. Pour moi, Paul brosse le rapide tableau d'une odyssée bien courte mais cependant bien bouleversante [...].

— Je m’étais placé à l'endroit ou Laval devait passer. Il fit un léger crochet, ce qui m’empêcha de l'atteindre à bout portant. Il était encadré par les officiers allemands que je ne voulais ni tuer ni même blesser afin d'éviter des représailles à mes compatriotes. Je lui laissai faire quelques pas puis je tirai, il était environ à 4 mètres 50 de moi [...]. J’avais tiré 6 balles ; 4 atteignirent Pierre Laval, dont une à la base du cœur, et les autres firent ricochet. »

Il raconte que, passé par la prison de Fresnes, puis par la maison centrale de Caen, où il fut bien traité, il a ensuite été emprisonné à Fontevrault en 1942 et Blois en 1944.

« Mais, le 20 février 1944, des soldats allemands vinrent me chercher pour me conduire en Allemagne, via Compiègne. Le supplice commençait.

[...] Il suit, depuis Compiègne, la route des camps de la mort lente : Neubren [Neue Bremm], près de Sarrebruck, dans la Sarre, Mauthausen ; il a vécu près de 35 jours pieds et poings liés. Et brusquement, l’espoir renaît. Mauthausen est un camp où l’on tuait les Juifs. Les exécutions étaient affreuses. Il échappe à la mort. Il poursuit son calvaire par Passau, une ville du Danube, et là entend la meilleure nouvelle de la guerre :

— Un camarade me cria : "Le débarquement a eu lieu cette nuit autour de Caen et Caen est prise."

C’est la fin. Deux escales encore : Charrui, près de Dresde, et Lienlitz [Liegnitz], dans la même région. Et Lienlitz se trouve rapidement dans la zone de conquête russe. Il était temps. Paul Collette, à bout de forces, venait d’être transféré à l’infirmerie de ce dernier camp de l’horreur. On sait ce que cela veut dire. Il est libéré par un officier français qui, rien que pour avoir entendu son nom, le prend dans sa voiture, viole les règlements et le jette dans un train de retour. »

En mai 1946, Paul Collette témoigne au procès des bourreaux de Neue Bremm, qui se tient à Rastatt, déclarant qu’il « ferait justice lui-même » si ces derniers venaient à être acquittés. Le 31 mars 1947, il est décoré de la Rosette de la Résistance. Puis en 1985, il est fait chevalier de la Légion d'honneur. Il mourra le 5 janvier 1995, dans son domicile de Bonsecours, en Normandie, sa région natale.

Pierre Laval, quant à lui, fut condamné pour haute trahison et exécuté le 15 octobre 1945.

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Pour en savoir plus :

Paul Collette, J’ai tiré sur Pierre Laval, Ozanne, 1946 

Renaud Meltz, Pierre Laval, un mystère français, Perrin, 2018

Bernard Gourbin, Les Inconnus célèbres de Normandie, Éditions Cheminements, 2007