19 octobre 1945 : la mise en place du système de retraite moderne
Système par répartition instaurant une solidarité entre actifs et retraités, assiette calculée sur dix années de carrière, bonifications pour chaque année de travail supplémentaire : l’ordonnance sur l’assurance vieillesse du GPRF met en place ce qui constitue encore aujourd’hui le socle du système de retraite français.
« Jamais le problème des retraites ne s’est posé avant autant d’acuité qu’à présent », constate en août 1945 Pierre Locardel dans Forces nouvelles, journal du Mouvement républicain populaire (MRP), alors que se prépare la réforme de « l’assurance vieillesse ».
« Autrefois, le “vieux” terminait ses jours entre ses enfants. Aujourd’hui, parce que sa famille est dispersée et que l’exiguïté des salaires permet à chacun seulement de s’entretenir, le “vieux” doit compter sur lui et se garantir contre les mauvais jours. Seulement, dans la plupart des cas, il est incapable de réaliser seul les économies nécessaires pour la constitution d’une retraite même modeste. […]
C’est pourquoi l’assurance-vieillesse collective s’est largement développée (surtout depuis 1930) : elle est devenue un problème national. »
La question de la pauvreté des vieux travailleurs a commencé à se poser dès la fin du XIXe siècle. De premières réponses partielles avaient été successivement apportées : retraite des fonctionnaires en 1853, des mineurs en 1894, des cheminots en 1890, loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910. En 1930, la loi sur « les assurances sociales » avait généralisé le système de retraites pour l’ensemble des salariés : elle prévoyait une pension égale à 40 % du salaire moyen sur l’ensemble de la carrière, versée à taux plein à 60 ans, après 30 années de cotisations.
Le système fonctionnait par capitalisation : rien ne protégeait donc les pensions contre la hausse des prix et les retraites avaient, au fil des ans et dans le contexte de forte inflation, largement fondu. « L’intéressé verse des écus pour recevoir des liards dans ses vieux jours », résume Forces nouvelles.
Pour remédier à cette situation, le gouvernement de Vichy avait institué, en complément, en mars 1941, une Allocation pour les vieux travailleurs salariés (AVTS), constituant de fait un minimum vieillesse pour les retraités les plus modestes.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’heure est à la refondation du système. La réforme s’inscrit dans le cadre plus large de la mise en place d’une « sécurité sociale », inscrite dans le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944. La formule elle-même a été utilisée pour la première fois par le général de Gaulle dans une déclaration de juin 1942 :
« Nous voulons que les Français puissent vivre dans la sécurité. […] La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués. »
Une « organisation de la Sécurité sociale » est donc instituée par l’ordonnance du 4 octobre 1945, complétée par celle du 19 octobre 1945 portant sur les « assurances sociales », qui définit les principes d’un régime de solidarité obligatoire :
« Désormais, tous les salariés et assimilés seront soumis obligatoirement aux assurances sociales quel que soit le montant de leur rémunération. […]
Cette innovation marque le premier pas dans la voie d’une extension des assurances sociales à l’ensemble de la population. Elle affirme la solidarité de tous les salariés, quel que soit leur gain, en face des risques sociaux. »
Cet élargissement des bénéficiaires est souligné par la presse : « Tous les salariés seront assujettis », titre La Croix le 5 octobre ; « L’extension à tous des assurances sociales », annonce L’Aube, qui souligne également « Des retraites plus substantielles » car elles sont désormais calculées sur le salaire moyen des 10 dernières années.
Autre changement, le système repose non plus sur la capitalisation, mais sur la répartition. Ce principe n’est en réalité pas entièrement nouveau : l’allocation pour les vieux travailleurs mise en place en 1941 était déjà financée par les cotisations versées par les actifs en vue de leur pension.
Or « le régime de la répartition est plus onéreux que celui de la capitalisation », précise l’ordonnance du 19 octobre. Par conséquent, celle-ci « maintient le principe de l’attribution d’une retraite à l’âge de 60 ans ; mais la retraite à cet âge ne peut être considérée comme la retraite normale. » Pour toucher une retraite à taux plein, il faut désormais atteindre 65 ans.
Ce relèvement est critiqué par les uns, justifié par les autres. La Tribune des fonctionnaires pointe du doigt la baisse de la mémoire et de « l’esprit d’entreprise ou d’adaptation » des « intellectuels » : au-delà de 55 ou 60 ans, « un fonctionnaire ne peut plus rendre les services que l’on attend de lui ».
Pour Pierre Locardel de Forces nouvelles, le recul de l’âge de départ est « provisoirement un remède efficace » pour faire face à la situation démographique, marquée par l’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la natalité :
« La population française est la plus vieille du monde. Pour une population active de 21.500.000 en chiffres ronds, on compte 6 millions de vieillards de plus de 60 ans, soit 27 p. 100. […]
Dès maintenant quatre travailleurs doivent assurer la charge d’un vieillard. Nous avions en 1940, pour 1.000 habitants, 150 sexagénaires (102 en 1850) contre 127 en Allemagne, 135 en Angleterre, 109 aux Etats-Unis, 75 en Russie.
Nous risquons donc de voir arriver le moment où les travailleurs actifs ne pourront nourrir les vieillards. »
Cependant, aux yeux du journaliste, le relèvement de l’âge de la retraite ne constitue en aucun cas une solution de long-terme. Il préconise ainsi « une orientation plus saine et adaptée du travail des vieillards », comme « l’établissement dans une commune rurale par la location d’un bien rural ou d’un atelier artisanal ». Ils vivraient ainsi « tranquillement tout en rendant service et en grevant moins la richesse nationale »…
Le système de retraite par répartition est aujourd’hui encore celui en vigueur en France ; le nombre d’années de cotisation requis pour pouvoir en bénéficier est en revanche régulièrement débattu, comme en ce début d’année 2023 avec la très controversée « réforme des retraites ».