Écho de presse

Fouquier-Tinville, l’accusateur public devenu le symbole de la Terreur

le 05/02/2024 par Pierre Ancery
le 01/02/2024 par Pierre Ancery - modifié le 05/02/2024

L’accusateur public du Tribunal révolutionnaire Antoine Fouquier-Tinville envoya à la guillotine Charlotte Corday, Marie-Antoinette, Danton et des milliers d’autres prévenus. Après sa mort, il devint une figure haïe, symbolisant à lui seul les excès de la Terreur.

De toutes les figures-clé de la Révolution française, Antoine Fouquier de Tinville, dit Fouquier-Tinville (1746-1795), que l’on a parfois surnommé « le Pourvoyeur de la guillotine », est sans doute celle qui a conservé la réputation la plus déplorable.

Au point que son nom sert aujourd’hui encore d’invective pour discréditer un adversaire (il a resurgi par exemple jusque dans les récentes polémiques autour des affaires Depardieu et Sylvain Tesson). Plus de deux siècles après sa mort, « Fouquier-Tinville » est toujours synonyme de juge inquisitorial, tyrannique, sans considération pour les droits de l’accusé.

Une réputation sanglante qu’il doit à son rôle pendant la Terreur. Né à Hérouël dans une famille d’ancienne bourgeoisie, Fouquier-Tinville a gravi les échelons jusqu’à devenir en 1792, avec l’appui de son cousin Camille Desmoulins, directeur d’un des jurys d’accusation du tribunal extraordinaire du 17 août 1792.

Puis en mars 1793, il devient accusateur public du Tribunal révolutionnaire, juridiction criminelle chargé de juger les contre-révolutionnaires. Il rédige les actes d’accusation, supervise les procès, interroge les prévenus, puis prononce les réquisitoires au nom de la Nation.

C’est à ce titre que Fouquier-Tinville, en fonctionnaire zélé, demandera l’exécution de plus de 2 000 prévenus, dont certains célèbres : Charlotte Corday, Marie-Antoinette, Danton, Hébert, Robespierre...

A l’époque, la presse publie au fur et à mesure ses actes d’accusation : celui de Marie-Antoinette paraît par exemple dans le Mercure français du 19 octobre 1793. 

« Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public près le tribunal criminel révolutionnaire [...], expose [...] qu’examen fait de toutes les pièces transmises par l’accusateur public, il en résulte, qu’à l’instar des Messalines, Brunehaut, Frédégonde et Medicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France le fléau et la sangsue des Français [...]. »

Après la chute de Robespierre (guillotiné le 28 juillet 1794), Fouquier-Tinville est à son tour arrêté. Pour ses adversaires, il cristallise alors tous les excès de la Terreur. En août, à la tribune de la Convention, Fréron réclame contre lui un décret d’accusation, dans une prise de parole qui annonce le jugement que l’Histoire portera ensuite sur l’ancien accusateur public :

« Citoyens, dit-il, j’ai frémi d’horreur quand, sur la liste des membres proposés pour composer le nouveau tribunal révolutionnaire, j’ai vu Fouquier-Tinville, accusateur public, cet homme couvert de sang.

Tout le peuple vous demande le supplice de ce scélérat. Vous avez ordonné celui de Dumas et d’autres conspirateurs, et vous avez épargné Fouquier-Tinville [...].

Si les jurés influencés par Robespierre, dictaient l’arrêt de mort que prononçait le président, l'accusateur public influençait aussi directement le jugement. Je demande, au nom du peuple , que Fouquier-Tinville aille expier dans les enfers tout le sang qu'il a fait couler ; je réclame contre lui un décret d’accusation. »

Au cours de son procès, les pièces à charge s’accumulent contre Fouquier-Tinville. « Quelle abominable férocité ! s’exclame le Mercure français le 15 mars 1795, c’était assez d’assassiner avec des formes ; mais dédaigner la plus essentielle de toutes, celle de la condamnation ! Exécuter sans juger ! ». En mai, un employé du tribunal livre un témoignage accablant sur le rôle de l’accusateur public pendant la Terreur :

« Parmi les dépositions nombreuses qui ont été entendues dans cette affaire, on a remarqué celle de Robert Wolff, commis du tribunal depuis son établissement.

"J’ai entendu, a-t-il dit, Fouquier à la buvette, calculer froidement le nombre des victimes jugées dans les décades [= périodes de dix jours] précédentes, celles qui devaient l’être dans la suivante ; il y en avait quatre à cinq cents par décade. Il faut que cela aille, disait-il." »

« Il faut que cela aille » : l’expression collera à la peau de Fouquier-Tinville. Pour se défendre, il tente de renvoyer la faute sur le Comité de salut public et sur Robespierre :

« Ce n'est pas moi qui devrais être traduit ici, mais les chefs dont j'ai exécuté les ordres.

Je n'ai agi qu'en vertu des lois portées par une Convention investie de tous les pouvoirs. Par l'absence de ses membres, je me trouve le chef d'une conspiration que je n'ai jamais connue. Me voilà en butte à la calomnie, à un peuple toujours avide de trouver des coupables. »

Rien n’y fait : il est finalement guillotiné le 7 mai 1795, en place de Grève, sous les huées de la foule.

C’est le début d’une légende noire qui s’étale tout au long du XIXe siècle. La mémoire de l’accusateur public, peu revendiquée à gauche, est régulièrement utilisée par la droite pour attaquer ses opposants, comme si la figure de Fouquier-Tinville résumait à elle seule la violence supposée intrinsèque de tout projet contestataire. 

Exemples parmi de nombreux autres, en 1848, année révolutionnaire, le journal monarchiste L’Hermine rapporte cette anecdote (probablement inventée) sur le « Pourvoyeur de la guillotine » : 

« Un jour, sur le Pont-Neuf, Fouquier-Tinville rencontra un de ses amis qui lui dit :

"A propos, tu m’avais promis de faire guillotiner ma femme ?

— Ah ! parbleu, c’est vrai, répond Fouquier, en se frappant le front, je l’avais absolument oubliée !... Sois tranquille, ce sera pour la semaine prochaine." »

En mai 1871, en pleine Commune de Paris, Fouquier-Tinville réapparaît dans la presse versaillaise comme un fantôme sanglant planant au-dessus des événements de la capitale. L’Aube, journal de Troyes, note ainsi dans son éditorial du 6 mai :

« On est en train de refaire à Paris, sur une moindre échelle, l’histoire complète de 93. Les fédérés parisiens n’avaient eu, jusqu'à présent, que le Comité central et la Commune de Paris. Il leur manquait un Comité de salut public. Ils l’ont à compter d’aujourd’hui même.

Demain ils verront sans doute fonctionner un tribunal révolutionnaire avec le citoyen Raoul Rigault, singeant Fouquier-Tinville. Sur cette pente fatale, il est impossible de s’arrêter, et si l’on ne se hâtait d’y mettre ordre, cette triste parodie de notre première Révolution pourrait bien se continuer jusqu’au bout. »

Pendant l’affaire Dreyfus, l’idéologue antisémite Édouard Drumont se sert encore de la figure haïe de l’accusateur public pour s’en prendre au procureur dreyfusard Octave Bernard. Dans l’éditorial du 9 décembre 1899 de son journal La Libre parole, il lui prédit le même destin :

« La psychologie et l’histoire ont leurs lois comme toutes les sciences ; la roue de la Fortune tournera pour vous comme pour les autres, et je vous vois déjà un pied dans cette charrette où vous voulez faire monter de si nobles et de si généreuses victimes... »

La droite et l’extrême droite cependant n’ont pas le monopole de la détestation de Fouquier-Tinville. Sous la plume de l’écrivain anarchiste Georges Darien, on lit par exemple dans le roman Le Voleur (1897) un portrait particulièrement acide d’un personnage de « transfuge de la bourgeoisie qui pensait trouver la pâtée, comme d’autres, dans l’auge socialiste », que l’auteur décrit comme un « raté fielleux qui laisse apercevoir, entre ses dents jaunes, une âme à la Fouquier-Tinville ».

Lénine, en revanche, admirait particulièrement l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire.

Certains historiens tenteront, dès la fin du XIXe siècle, de faire la part des choses. C’est le cas de G. Lenotre, dont l’ouvrage Paris révolutionnaire (1895), grand succès de librairie, sera maintes fois réédité. La Gazette nationale publie un extrait dans lequel Lenotre tente de nuancer le rôle tenu par Fouquier-Tinville dans les décisions du Tribunal révolutionnaire.

« Mais quoi ? "On l’avait mis là pour cela." Est-il étonnant que cet homme, habitué à requérir la mort, se soit blasé sur son affreux métier ? N’est-ce point là le terrible, l’irrémédiable vice de la justice humaine ?

Fouquier devait prononcer une condamnation capitale avec autant de sang-froid qu'un président de chambre correctionnelle en apporte aujourd’hui à distribuer des mois de prison... au petit bonheur ! Son crime est d’avoir rempli fidèlement son office : car, de l’homme chargé d’une telle besogne, il eut été ridicule d'exiger de l'attendrissement et de la sensiblerie [...].

Le régime de l’échafaud fut un crime odieux. Fouquier-Tinville était son docile instrument, mais rien d’autre qu’un instrument. »

Aujourd’hui, le rôle de Fouquier-Tinville dans la Terreur fait toujours l’objet de débats. Mais les historiens tendent à le considérer davantage comme un rouage du système judiciaire de l’époque que comme le monstre sanguinaire resté dans les mémoires.

Une seule voie porte aujourd'hui son nom en France : l’impasse Fouquier-Tinville, à Assis-sur-Serre, dans l’Aisne.

Pour en savoir plus :

Jean-François Fayard, Fouquier-Tinville, Fayard, 2013

Alphonse Giboulet, L'Accusateur de la République: Antoine Quentin Fouquier De Tinville, Éditions Lacour, 2008