Écho de presse

1904 : l’élection de Theodore Roosevelt, star de la politique avant l’heure

le 05/11/2024 par Pierre Ancery
le 28/10/2024 par Pierre Ancery - modifié le 05/11/2024

Lors de l’élection présidentielle américaine de novembre 1904, deux candidats s’affrontent : le démocrate Alton Parker et le républicain Theodore Roosevelt, dont la vie mouvementée et exubérante est alors connue jusqu’en France, où il est vu comme « l’Américain par excellence ».

En cet automne 1904, les journaux français ont les yeux rivés de l’autre côté de l’Atlantique. L’élection du président des États-Unis doit en effet y avoir lieu le mardi 8 novembre. Pour l’ensemble des observateurs, l’affaire est entendue : le candidat du Parti démocrate, Alton Parker, un quasi-anonyme, n’a pratiquement aucune chance de l’emporter.

Car il a face à lui une « star » de la politique : Theodore Roosevelt (1858-1919), président en charge depuis l’assassinat en 1901 de William McKinley, dont il était le vice-président. Membre du Parti républicain, Roosevelt (à ne pas confondre avec son cousin éloigné, le futur président Franklin Delano Roosevelt) est un véritable phénomène aux États-Unis, et il est déjà bien connu de toute une part du public français en raison de son existence tumultueuse.

Naturaliste, écrivain, historien, cow-boy (dans le Dakota), militaire (lors de la guerre hispano-cubaine de 1898), ancien chef de la police de New York et ex-gouverneur de l’État du même nom, mais aussi orateur brillant, sportif accompli, pourfendeur des trusts au nom de la libre concurrence, pionnier en matière de politique environnementale et défenseur (timide) des Afro-Américains, celui que ses compatriotes surnomment affectueusement « Teddy » a eu un parcours exceptionnel.

Et il n’a pas manqué de le faire savoir : en véritable visionnaire, l’homme a très tôt compris le pouvoir des médias et a su habilement façonner son image auprès du public - il considère ainsi la presse comme un moyen de passer par-dessus les partis et d’entrer en contact directement avec le peuple. Pour Roosevelt, devenu président en 1901 par accident, une victoire à l’élection de 1904 serait l’occasion de prouver qu’il « mérite » cette charge.

Lors de la campagne, les journaux français connaissent parfaitement le personnage et vont lui consacrer de nombreux articles, souvent louangeurs, parfois légèrement critiques, mais presque toujours fascinés.

L’Événement tente en juillet 1904 de donner une idée de la personnalité de Roosevelt en le comparant à de célèbres figures européennes : 

« M. Roosevelt dépasse en effet tous les autres Américains d’aujourd’hui, par la vigueur et l’originalité de son caractère. Journaliste, soldat, gouverneur de l’État de New-York, président, partout où il a parlé, il a fait preuve de rares qualités d’activité, d’audace et même d’honnêteté — dans la mesure permise à un homme politique [...].

Il a fait avec éclat la guerre aux Espagnols, à la corruption politique, à la puissance de l’argent et au préjugé de couleur. Et toutes ces entreprises ont été conduites avec la bonne humeur chevaleresque d’un Henri IV et la spontanéité originale et parfois heureuse d’un Guillaume II. »

Peut-être davantage que sa politique, ce sont souvent les qualités personnelles de Roosevelt qui sont alors vantées par les journaux. Dans Le Petit Marseillais, en octobre, on trouve ainsi un portrait s’ouvrant par une formule qui sera répétée à l’envi par les commentateurs hexagonaux. Roosevelt serait « l’Américain par excellence », personnifiant à lui seul toutes les qualités alors associées, dans l’imaginaire français, aux États-Unis : l’énergie, le culte de l’action, la force, l’optimisme.

« Roosevelt est l’Américain par excellence ; il est même, dans la série des présidents, le premier de pure race yankee. Sa souche familiale est hollandaise. Ses ascendants occupèrent toujours de bons rangs dans les générations antérieures. Lui-même, très instruit, d'une loyauté inflexible, courageux et fort, pratique toutes les vertus de l'homme libre et réfléchi [...].

Ennemi du pouvoir des millions, prônant le droit de l’État dans les affaires où les monopoles peuvent être abusifs, Roosevelt ne verse pas dans le socialisme et non plus il ne croit pas qu'il résulte un grand bien de l’abondance des lois. »

Cette pleine page du magazine sportif La Vie au grand air, parue en octobre 1904, nous dévoile quant à elle Roosevelt en « sportsman » chevronné, aussi énergique à cheval qu'une batte de cricket à la main. L’auteur de l’article n’hésite d’ailleurs pas à comparer ce président adepte de la marche à pied à un « tramp » (un vagabond des routes américaines).

« Sans pour cela négliger les affaires de l’État, le Président consacre de longues heures soit à la bicyclette, soit au footing, sport dans lequel il est passé maître. Aller "on shanks pony", "sur les guiboles", à travers le pays, sur les "outskirts" de Washington, tel est le plaisir de Théodore Roosevelt, et il en use comme un "tramp", ce classique vagabond des pays anglo-saxons. »

Résolument moderne (à l’image du candidat Roosevelt), la campagne de 1904 est aussi l’occasion pour les candidats de tester de nouvelles formes de publicité. En septembre, Le Figaro pointe ainsi l’apparition d’un procédé inédit et « pittoresque », le « cinématographe électoral », sans se douter des proportions gigantesques que celui-ci prendra au fil du siècle.

« C'était inévitable... Le cinématographe vient d'être utilisé comme moyen de propagande électorale. Naturellement, c'est aux États-Unis. Dans toutes les localités, on convie en ce  moment les populations à des spectacles cinématographiques en plein vent, remplaçant les réunions publiques politiques, et où l'on voit M. Roosevelt se livrer aux pantomimes les plus bizarres [...].

Ces petits spectacles resteront sans doute sans grande influence sur le corps électoral ; mais c’est toujours plus amusant que des discours de candidats, et nous serions fort heureux que ce pittoresque usage franchît l'Atlantique. »

Dans le concert d’articles admiratifs qui s’écrivent sur Theodore Roosevelt, rares sont les voix discordantes. La Revue politique et littéraire du 15 octobre publie toutefois un article un peu plus caustique que la moyenne. Signé Ernest-Charles, il suggère que Roosevelt, fils d’un riche homme d’affaires, n’est pas tout à fait ce self-made man vanté de toutes parts.

« Avec notre manie du grandiose outrancier, nous voyons en Roosevelt un exemplaire merveilleux d’une humanité supérieure, ce Yankee d’élite est un demi-dieu. Il est le vrai prophète des temps nouveaux. Peuples écoutez sa voix, terre prête l’oreille ! [...]

Tout publiciste qui écrit sur Roosevelt et raisonne sur lui considère comme un devoir de proclamer d’abord : Roosevelt est le type de l’Américain. Acceptons cette affirmation, mais pour lui donner toute valeur [...], n’est-il pas indispensable d'ajouter sans retard : Roosevelt est un Américain qui n’a jamais gagné sa vie par lui-même [...].

Alors que tous les Américains sont appliqués presque exclusivement à faire leur fortune, voilà un Américain typique qui n’a jamais eu à faire sa fortune, ni à se soucier de l’accroître... »

Le Petit Journal, de son côté, s’inquiète de la politique internationale du candidat républicain. Celui-ci est en effet partisan de l’interventionnisme sur le continent américain, l’Amérique latine étant perçue par lui comme « l’arrière-cour » des États-Unis. Une conception qui restera dans l’histoire comme la doctrine du Big Stick, ou « diplomatie au gourdin », d’après une formule célèbre de Roosevelt : « Parlez doucement et portez un gros bâton ! ».

«  Si Roosevelt triomphe, l’impérialisme l'emporte, et sans doute un impérialisme véhément qui présage une foule d'interventions de plus en plus énergiques sur toute l’étendue de la planète [...]. M.Roosevelt a peut-être du génie ; mais on conçoit qu'en débordant sur l'univers il nous inspire de l'inquiétude. »

L’élection a lieu le 8 novembre : Roosevelt est élu avec 56,4 % des voix des Grands électeurs, contre 37,6 % à son adversaire Alton Parker. Un véritable triomphe pour le candidat républicain. Le 10 novembre, dans un article enthousiaste, Gil Blas commentera :

« Les hasards extraordinaires de sa vie décuplent ses qualités [...]. Et puis, il y a sa littérature qui fait nos délices ! Roosevelt écrit, comme marche un tambour-major. Ses livres sont d'un homme avantageux. Effusions abondantes, triomphante candeur, optimiste qui nargue, jactance de gymnase, bluff de Yankee, et de la force, de la rapidité, de la netteté. Non, jamais, je ne me lasserai de lire les ouvrages de cet athlète gaillard !

Élu Président, il va repartir pour la grande gloire. Nous allons admirer, et nous amuser ! Ah ! s'il avait seulement quelques siècles de civilisation de plus ! »

Pendant son mandat, Theodore Roosevelt mènera une politique environnementale vigoureuse, arbitrera avec succès le conflit russo-japonais de 1905 (ce qui lui vaudra d’être Prix Nobel de la Paix en 1906) et renforcera durablement l’armée américaine, permettant aux États-Unis de devenir une puissance diplomatique de premier plan. 

Ayant renoncé à se représenter à l’issue de son mandat, Roosevelt prendra une courte retraite avant de se représenter en 1912 à la présidentielle sous l’étiquette d’un tiers parti, le Parti progressiste - sans succès. Il meurt en 1919, à 60 ans. Figure incontournable de l’histoire américaine, il sera l’un des quatre présidents états-uniens à figurer sur le célèbre mont Rushmore, aux côtés de George Washington, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln.

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Pour en savoir plus :

Yves Mossé, Theodore Roosevelt, la jeune Amérique, Jean Picollec, 2012

Georges Ayache, Les présidents des États-Unis : histoire et portraits, Perrin, 2016

Hélène Harter et André Kaspi, Les présidents américains : De George Washington à Donald Trump, Tallandier, 2019