Juin 1789, tout s'accélère : le Serment du Jeu de Paume dans le Moniteur Universel
Réunis dans la salle du jeu de Paume à Versailles, 576 députés convoqués dans le cadre des états généraux, pour la plupart venus du tiers état, font le serment de ne pas se séparer avant d’avoir établi une première constitution. L’événement, conté le lendemain dans le Mercure universel, aura une onde de choc sans précédent.
Le 20 juin 1789, les députés rassemblés dans la salle du jeu de Paume décident de prêter serment : ils ne se sépareront qu’après avoir « opéré la régénération de l'ordre public » et donné une constitution à la France. L'Ancien régime est en train de prendre fin, moins d'un mois avant le 14 juillet.
La Gazette nationale ou Le Moniteur universel, créée en 1789 pour rendre compte des débats de l'Assemblée constituante, publie le déroulé de la séance – et la réaction du roi Louis XVI.
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ÉTATS-GÉNÉRAUX.
SUITE DE LA SÉANCE SAMEDI 20 JUIN.
Là on dit : eh quoi ! veut-on dissoudre les États ? le gouvernement veut-il plonger la Patrie dans les horreurs de la guerre civile ? Partout règne la disette, partout on éprouve les alarmes de la famine. Depuis deux ans le sang français rougit la terre ; nous allions mettre un terme à ces malheurs, lever le voile épais dont se couvrent les manœuvres des monopoleurs ; justifier le gouvernement même d'avoir affamé le Peuple, prouver que les 200 millions qui sont dans le trésor royal ne proviennent pas de ce crime, et il nous arrête dans notre marche !
Que l'on ouvre nos annales, les Louis XI, les Louis XIII, les Richelieu, les Mazarin, les Brienne, ont attaqué, déchiré, opprimé les corps, les particuliers ; mais croit-on que douze cents députés et la Nation sont soumis aux caprices, à la volonté changeante, momentanée d'un ministère despotique ?
Telles sont les diverses agitations des députés qui, au milieu de ceux qui les environnent, des voyageurs qui s'arrêtent pour contempler ce spectacle, du Peuple qui s'amasse en foule, exprimaient les sentiments de leurs cœurs avec franchise et liberté.
Les uns veulent s'assembler dans la place d'armes ; c’est-là, disait-on, qu'il faut retracer ces beaux jours de notre histoire ; c’est-là que nous tiendrons le champ de mai.
D'autres veulent se réunir dans la galerie, et y donner le spectacle nouveau de parler le langage de la liberté à coté de cette salle sinistre d’où l’on désignait au bourreau, il y a peu de temps, la tête de celui qui avait prononcé ce mot sacré, lorsque l’on annonce aux députés, que M. Baillv vient d’entrer dans la salle avec les deux commissaires et vingt députes, pour y enlever les papiers que l'on y avait laissé la veille ; que M. Bailly s’est ensuite transporté au Jeu de Paume, rue Saint-François, et qu'il y a fixé le lieu des séances.
Séance du Jeu de Paume.
Les pelotons de députés se réunissent pour se rendre au lieu indiqué par M. le président.
M. le président rend compte des faits, et communique deux lettres qu'il a reçues ce matin du marquis de Brezé, grand-maître des cérémonies.
Versailles, ce 20 juin 1789.
« Le roi m'ayant ordonné, Monsieur, de faire publier par des hérauts l'intention dans laquelle sa majesté est de tenir, lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des Assemblées que les préparatifs à faire dans les salles des trois ordres nécessitent, j'ai l'honneur de vous en prévenir.
« Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
le marquis de BREZÉ.
P. S. « Je crois qu'il serait utile, Monsieur, que vous voulussiez bien charger MM. les secrétaires du soin de serrer les papiers dans la crainte qu'il ne s'en égare.
« Voudriez-vous bien aussi, Monsieur, avoir la bonté de me faire donner les noms de MM. les secrétaires, pour que je recommande qu'on les laisse entrer, la nécessité de ne point interrompre le travail pressé des ouvriers, ne permettant pas l’accès des salles à tout le monde. »
M. le président dit qu'il a répondu à cette lettre dans les termes suivants :
« Je n'ai reçu encore aucun ordre du roi, Monsieur, pour la séance royale, ni pour la suspension des Assemblées ; et mon devoir est de me rendre à celle que j'ai indiquée pour ce matin huit heures.
« Je suis, etc. »
En réponse à cette lettre, M. le marquis de Brezé lui a écrit la seconde, dont la teneur suit :
Versailles, ce 20 juin 1789.
« C’est par un ordre positif du roi que j'ai eu l’honneur de vous écrire ce matin, Monsieur, et de vous mander que sa majesté voulant tenir lundi une séance royale qui demande des préparatifs à faire dans les trois salles d'Assemblée des ordres, son intention était qu’on n'y laisse entrer personne, que les séances fussent suspendues jusqu'après celle que tiendra sa majesté.
« Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Le marquis de BREZÉ »
M. Bailly. Je n'ai pas besoin de faire sentir la situation affligeante où se trouve l'Assemblée, je propose de mettre en délibération le parti qu’il faut prendre dans un moment aussi orageux.
M. Mounier présente une opinion qui est appuyée par MM. Target, Chapelier, Barnave ; il représente combien il est étrange que la salle des États-Généraux soit occupée par des hommes armés ; que l’on n’offre un autre local à l'Assemblée nationale ; que son président ne soit averti que par des lettres du marquis de Brezé, et les représentants nationaux que par des placards ;
qu’enfin ils soient obligés de se réunir au Jeu de Paume, rue du Vieux-Versailles, pour ne pas interrompre leurs travaux ; que blessés dans leurs droits et dans leur dignité, avertis de toute la vivacité de l'intrigue et de l'acharnement avec lequel on cherche à pousser le roi à des mesures désastreuses, les représentants de la Nation doivent se lier au salut public et aux intérêts de la Patrie par un serment solennel.
Cette proposition est approuvée par un applaudissement unanime.
L'Assemblée arrête aussitôt ce qui suit :
L'Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin
partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale ;
Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront, à l'instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondemens solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d'eux en particulier, confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable.
M. Bailly. Je demande pour les secrétaires et pour moi de prêter le serment les premiers ; ce qu’ils font à l'instant dans la formule suivante :
« Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'Assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »
Tous les membres prêtent le même serment entre les mains du président.
Les députés de la colonie de Saint-Domingue se présentent pour demander la permission de s'unir provisoirement à la Nation, en prêtant le même serment.
M. le président, en rendant compte à l'Assemblée que le bureau de vérification a été unanimement d’avis de l'admission provisoire des douze députés de Saint-Domingue, l’Assemblée la leur accorde, et ils font le même serment.
Cette cérémonie est suivie d'applaudissement et de cris réitérés et universels de vive le roi !
Le serment prêté, M. le marquis de Gouy prenant la parole, dit :
La colonie de Saint-Domingue était bien jeune quand elle s’est donnée à Louis XIV ; aujourd’hui plus brillante et plus riche, elle se met sous la protection de l'Assemblée nationale.
L'appel des bailliages, sénéchaussées, provinces et villes, est fait suivant l'ordre alphabétique, et chacun des membres, en répondant, s'approche du bureau et signe.
M. Camus. J'annonce à l'Assemblée que Martin d'Auch, bailliage de Castelnaudary, a signé, opposant.
Un cri général d'indignation se fait entendre.
M. Bailly. Je demande que l’on entende les raisons de l’opposant.
M. Martin. Je déclare que je ne crois pas pouvoir jurer d’exécuter les délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le roi.
M. le président. L' Assemblée a déjà publié les mêmes principes dans ses adresses et dans ses délibérations, et il est dans le cœur et dans l’esprit de tous ses membres, de reconnaître la nécessité de la sanction du roi pour toutes les résolutions prises sur la constitution et la législation.
L'opposant persiste dans son avis, et l'Assemblée arrête qu’on laissera sur le registres sa signature, pour prouver la liberté des opinions.
L'appel des députés et la signature de l'arrêté finissent à quatre heures et demie.
M. le Chapelier prend la parole pour faire sentir qu'il est non seulement nécessaire, mais même essentiel, de faire porter au roi la douleur de l'Assemblée nationale dans la circonstance. Il veut que l'adresse apprenne à sa majesté que les ennemis de la Patrie obsèdent sans cesse le trône, et que leurs conseils tendent à placer le monarque à la tête d’un parti.
Ces expressions paraissent trop fortes à beaucoup de membres.
M. Mounier représente que l'adresse de M. le Chapelier ne remplit pas les vues de l’Assemblée. II dit qu'il convient que les formes ont été blessées, qu’on y a même mis peu de décence ; qu'aucuns motifs, aucuns prétextes ne peuvent enchaîner l'Assemblée nationale ; mais qu’à cet égard, elle s’est bien vengée du manque de procédés dont elle a à se plaindre : que sur le fond, le préopinant va trop loin, en se servant des termes d'ennemis de la Patrie, avant de connaître le résultat de la séance royale ; il pense qu’il convient de ménager ces armes pour en faire usage dans une occasion plus opportune ; il propose une adresse plus modérée, dans laquelle l’Assemblée témoignerait sa surprise et sa sensibilité de s'être vue refuser la porte de la salle destinée à l'Assemblée nationale, au moment où la réunion du clergé allait s'opérer.
MM. Barnave et Gouy-d’Arcy proposent également une autre version. L'Assemblée ne juge pas à propos de prendre une délibération à ce sujet.
Elle arrête que l'arrêté du matin et le procès-verbal, seront imprimés à l'instant.
L’Assemblée s'ajourne à lundi 22, heure ordinaire, et elle arrête en outre que si la séance royale a lieu dans la salle nationale, tous les membres y demeureront après que la séance sera levée, pour continuer les délibérations et les travaux ordinaires.
La séance est levée à six heures.
D’après la proclamation de la prochaine séance royale, l'ordre de la noblesse et celui du clergé ont suspendu leurs séances.
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Ce soir, à six heures, une députation de la noblesse, composée de quarante-trois membres, a été reçue par sa majesté. M. le duc de Luxembourg, président, a porté la parole.
Voici la réponse du roi.
« Le patriotisme et l'amour pour ses rois ont toujours distingué la noblesse française ; je reçois avec sensibilité les nouvelles assurances qu’elle m’en donne ; je reconnais les droits attachés à sa naissance, je saurai toujours les protéger, je saurai également maintenir, pour l'intérêt de mes sujets, l'autorité qui m'est confiée, je ne permettrai jamais qu'on l’altère :
je compte sur votre zèle pour la Patrie, sur votre attachement à ma personne, et j'attends avec confiance de votre fidélité que vous adoptiez les vues de conciliation dont je suis occupé pour le bonheur de mes Peuples :
vous ajouterez ainsi au titre que vous avez déjà à leur attachement et à leur considération. »