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1848 : quand « Liberté, Égalité, Fraternité » devint la devise nationale

le 21/02/2024 par La Gazette nationale ou Le Moniteur universel - modifié le 22/02/2024

La révolution qui fait chuter de son trône le roi Louis-Philippe du 22 au 24 février 1848 aboutit sur un moment clé de l'histoire du XIXe siècle français : la Deuxième République. C'est à ce moment-là que la France adopte comme devise officielle le célèbre « Liberté, Égalité, Fraternité », hérité de 1789.

Née durant la Révolution française – les sans-culottes et autres radicaux consacrent « Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort » –, cette devise est délaissée dès la fin du Directoire, puis disparaît sous l’Empire et la Restauration. La formule est ressuscitée par quelques révolutionnaires de 1830 et insurgés des années suivantes, associant ainsi progressivement la devise au régime républicain. Le socialiste Pierre Leroux écrit ainsi en 1833 : « Nos pères avaient mis sur leur drapeau Liberté, Égalité, Fraternité. Que leur devise soit aussi la nôtre. »  Citons également Louis Blanc, figure majeure de 1848 et membre du gouvernement provisoire, qui parle en 1839 de « l’héroïque devise que nos pères écrivirent, il y a cinquante ans, sur le drapeau de la révolution : Liberté, Égalité, Fraternité ».

Cette dernière s’impose aux premiers jours de la République de 1848 car elle incarne alors les aspirations à une société nouvelle : dès le 25, Le Moniteur universel, journal officiel du gouvernement, proclame : « La liberté, l’égalité et la fraternité pour principes, le peuple pour devise et mot d’ordre, voilà le Gouvernement démocratique que la France se doit à elle-même et que nos efforts sauront lui assurer. » Puis, c’est finalement le 27 février 1848 que l’on trouve dans Le Moniteur universel le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » employé comme devise officielle par la République française pour la première fois.

PARTIE OFFICIELLE.

Paris, le 26 février.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

Proclamation du gouvernement provisoire.

 

Au nom du peuple français !

Citoyens,

La royauté, sous quelque forme que ce soit, est abolie.

Plus de légitimisme, plus de bonapartisme, pas de régence.

Le Gouvernement provisoire a pris toutes les mesures nécessaires pour rendre impossible le retour de l’ancienne dynastie et l’avènement d’une dynastie nouvelle.

La République est proclamée.

Le peuple est uni.

Tous les forts qui environnent la capitale sont à nous.

La brave garnison de Vincennes est une garnison de frères.

Conservons avec respect ce vieux drapeau républicain dont les trois couleurs ont fait avec nos pères le tour du monde.

Montrons que ce symbole d’égalité, de liberté, de fraternité, est en même temps le symbole de l’ordre, et de l’ordre le plus réel, le plus durable, puisque la justice en est la base et le peuple entier l’instrument.

Le peuple a déjà compris que l’approvisionnement de Paris exigeait une plus libre circulation dans les rues de Paris, et les mains qui ont élevé les barricades ont, dans plusieurs endroits, fait dans ces barricades une ouverture assez large pour le libre passage des voitures de transport.

Que cet exemple soit suivi partout ; que Paris reprenne son aspect accoutumé, le commerce, son activité et sa confiance ; que le peuple veille à la fois au maintien de ses droits, et qu’il continue d’assurer, comme il l’a fait jusqu’ici, la tranquillité et la sécurité publiques.

Dupont (de l’Eure),

Lamartine,

Garnier-Pagès,

Arago,

Marie,

Ledru-Rollin,

Crémieux,

Louis Blanc,

Armand Marrast,

Flocon,

Albert (ouvrier).

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

 

Le Gouvernement provisoire décrète l’établissement immédiat d’ateliers nationaux.

Le ministre des travaux publics est chargé de l’exécution du présent décret.

Les membres du Gouvernement provisoire de la République.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

 

Le Gouvernement provisoire, convaincu que la grandeur d’âme est la suprême politique, et que chaque révolution opérée par le peuple français doit au monde la consécration d’une vérité philosophique de plus ;

Considérant qu’il n’y a pas de plus sublime principe que l’inviolabilité de la vie humaine ;

Considérant que, dans les mémorables journées où nous sommes, le Gouvernement provisoire a constaté avec orgueil que pas un cri de vengeance ou de mort n’est sorti de la bouche du peuple ;

Déclare :

Que dans sa pensée la peine de mort est abolie en matière politique, et qu’il présentera ce vœu à la ratification définitive de l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement provisoire a une si ferme conviction de la vérité qu’il proclame au nom du Peuple français, que si les hommes coupables qui viennent de faire couler le sang de la France, étaient dans les mains du peuple, il y aurait à ses yeux un châtiment plus exemplaire à les dégrader qu’à les frapper.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

 

Le ministre de la justice, membre du Gouvernement provisoire de la République, à M. Faustin Hélie, directeur des affaires criminelles et des grâces.

Paris, le 26 février 1848.

Monsieur le directeur,

Expédiez de suite à MM. les procureurs généraux l’ordre de surseoir à toutes les exécutions capitales, qui devaient avoir lieu, à la suite des arrêts souverains et de l’ordre définitif qui autorisait ces exécutions.

Vous me présenterez les dossiers, vous m’adresserez un nouveau rapport à la suite des rapports faits par votre prédécesseur : si l’examen me permet de commuer la peine, je proposerai la modification au Gouvernement provisoire.

Quant aux condamnés sur le sort desquels aucun changement ne me paraîtra possible, je suspendrai toute décision jusqu’au jour où l’Assemblée nationale aura prononcé sur la question relative à l’abolition de la peine de mort.

Ad. Crémieux.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

 

Le Gouvernement provisoire déclare que le drapeau national est le drapeau tricolore, dont les couleurs seront rétablies dans l’ordre qu’avait adopté la République française ; sur ce drapeau sont écrits ces mots : République française, Liberté, Égalité, Fraternité, trois mots qui expliquent le sens le plus étendu des doctrines démocratiques, dont ce drapeau est le symbole, en même temps que ses couleurs en continuent les traditions.

Comme signe de ralliement et comme souvenir de reconnaissance pour le dernier acte de la révolution populaire, les membres du Gouvernement provisoire et les autres autorités porteront la rosette rouge, laquelle sera placée aussi à la hampe du drapeau.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Liberté, Égalité, Fraternité.

Actes du gouvernement provisoire de la république française.

Décret du Gouvernement provisoire.

 

Attendu que, depuis le 22 février, la circulation des correspondances et effets de commerce dans la ville de Paris se trouve suspendue ;

Attendu que les citoyens occupés à la défense commune ont dû suspendre le cours de leurs affaires et de leurs payements ;

Considérant l’urgence des circonstances, sur la proposition du ministre des finances,

Décrète :

Art. 1er. Les échéances des effets de commerce payables à Paris, depuis le 22 février jusqu’au 15 mars prochain inclusivement, seront prorogées de dix jours, de manière à ce que les effets échus le 22 février ne soient payables que le 3 mars, et ainsi de suite.

Art. 2. Tous protêts, recours en garantie et prescriptions mentionnés en l’art. 1er sont également suspendus et prorogés pendant dix jours.

Art. 3. Le ministre des finances est plus spécialement chargé de l’exécution du présent décret. Fait en l’hôtel de ville, au siège du Gouvernement provisoire de la République, le 26 février 1848.

Dupont (de l’Eure).

F. Arago.

Lamartine.

Crémieux.

Ledru-Rollin.

Garnier-Pagès.

Marrast.

Louis Blanc.

Flocon.

Albert.

Pour en savoir plus :

BORGETTO Michel, La Devise « Liberté, Égalité, Fraternité », Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1997

OZOUF Mona, « La Devise Liberté, Égalité, Fraternité », dans Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, t. III, Les France, Paris, Gallimard, 1993, vol. 3

DELUERMOZ Quentin, Le Crépuscule des révolutions, 1848-1871, Paris, Seuil, « Histoire de la France contemporaine », 2012