1832 : qui a trahi la duchesse de Berry ?
Lorsque la veuve du fils de Charles X revient en France pour prendre le pouvoir à Louis-Philippe, elle est livrée aux autorités par Simon Deutz, juif récemment converti. La presse légitimiste se lance dans une campagne antigouvernementale, parodie de 1793.
Lorsque, début mai 1832, la presse se fait l’écho du débarquement sur les côtes provençales de Caroline de Bourbon, duchesse de Berry, princesse de Naples et veuve du fils de Charles X assassiné, le passé révolutionnaire est immédiatement convoqué par la presse : va-t-on revivre une nouvelle guerre civile, un nouveau « 93 » ?
Pourtant, tant le Midi « blanc » que la Vendée des Chouans restent passifs et le très gouvernemental Constitutionnel ironise sur cette « plus forte dose de confiance qu’ont les émigrés pour un prochain retour dans leur patrie » et sur « la crédulité de la princesse ».
Quant à la presse légitimiste, faute de pouvoir approuver un acte illégal – qui d’autant plus, se solde par un échec cuisant – elle salue, à l’instar d’Alfred Nettement dans La Quotidienne du 9 mai 1832, l’audace, l’intrépidité, la hardiesse de cette femme, car « ce sont des crimes qui trouveront de nombreux complices dans la patrie de l’héroïsme ».
Ce parti-pris d’héroïsation d’une femme réduite à la clandestinité sur le territoire français est renforcé par l’échec de la police à retrouver la duchesse de Berry, qui bénéficie de nombreuses complicités dans l’ouest, en Vendée et en Loire-Inférieure.
Faute de pouvoir réactiver la peur d’une nouvelle guerre civile, la presse orléaniste accuse la duchesse et ses partisans d’être les agents d’une coalition européenne prête, comme pendant la Révolution et sous l’Empire, à envahir la France.
« Ce n’est pas aux fidèles du pays, c’est au généralissime et aux conseillers de la sainte-alliance, c’est aux flottes de l’Angleterre, aux armées russes, prussiennes, autrichiennes, espagnoles, hollandaises et sardes, que la vieille église et la vieille aristocratie de France demandent hautement appui et protections pour le rétablissement d’une affaire ruinée et d’une cause pour la dixième fois perdue. »
La surveillance policière se concentre sur la ville de Nantes, mais sans succès. Périodiquement, durant l’été et l’automne 1832, l’arrestation de la fugitive est annoncée, puis démentie. Entre alors en scène Simon Deutz.
Ce fils du grand rabbin de Paris s’est converti au catholicisme à Rome en 1828. Après quelques pérégrinations, il est entré dans l’entourage de la duchesse de Berry, qui lui a confié une mission en Espagne et au Portugal. Mais, en octobre 1832, il contacte le ministre de l’Intérieur Montalivet, puis son successeur Adolphe Thiers, assurant être en mesure de trouver la cachette de la fugitive.
De fait, grâce à Deutz, la duchesse et trois de ses partisans sont arrêtés à Nantes le 7 novembre au matin.
La dimension théâtrale de l’arrestation de la fugitive, cachée à l’intérieur d’une cheminée et contrainte de sortir pour ne pas mourir brûlée vive ou asphyxiée, donne lieu à de multiples récits. Mais le Journal des Débats, célébrant une victoire pour le régime de Louis-Philippe, en tire des conclusions politiques.
« La duchesse de Berry est arrêtée, les flottes font voile vers les côtes de Hollande, et le Prince royal part pour l'armée du Nord.
Le ministère présentera aux Chambres un projet de loi pour décider du sort de la duchesse de Berry.
C’est une affaire politique qui doit être décidée politiquement, dans les conseils de la nation, entre hommes qui savent ce qu’il faut pour conjurer les dangers attachés à la liberté d’un personnage de cette importance, et ce qu’il faut pour éviter l’effervescence des passions politiques. »
Conduite au château de Nantes, la captive est rapidement transférée dans la citadelle de Blaye, en Gironde.
Quant au traître, bien que converti, il est immédiatement stigmatisé comme « Juif », ce dont témoignent les stéréotypes physiques utilisés pour tracer son portrait :
« Deutz est un homme d’une taille moyenne, d’un teint bazanné [sic] ; il a les cheveux noirs et crépus, ses yeux vifs sont petits et enfoncés, il a la bouche grande et les lèves extrêmement épaisses, son nez est ordinaire, sa main est fort belle, trop peut-être pour un homme, et il la montre avec affectation. […]
Ce n’est donc point un italien qui a livré la duchesse de Berry ; c’est un Allemand, un Juif appelé à la religion catholique. »
Paul Drach, son propre beau-frère, lui aussi converti, décrit dans La Gazette de France du 12 décembre 1832 Deutz comme « un esprit turbulent et inquiet, […] agité par des troubles extrêmes […], une âme devenue le jouet de tempêtes violentes » auquel le judaïsme ne pouvait visiblement apporter d’apaisement. Parallèlement, il s’agit d’affirmer que, si sa conversion était sincère, très vite « la catholicité de Deutz devint plus qu’équivoque à Rome ».
On lui dénie également la qualité de Français, la presse relatant comment, lors d’une représentation d’un vaudeville au théâtre du Palais-Royal, un couplet aurait été spontanément ajouté :
« Pour de l’or qu’on lui donna !
Un traître a dit : Elle est là !
Quel est ce nouveau Judas ?
Est-c’ donc un Français ? Non pas.
Ce n’est rien, (bis)
C’n’est pas un concitoyen ;
Ce n’est rien, (bis)
Notre honneur se porte bien. »
La Tribune des départements, organe républicain, fait quant à elle du traître « un Allemand […], un protégé du clergé romain, un de ces dévots convertis dont les ultras de la Restauration faisaient leurs affidés, un renégat ».
Très vite ce nouveau Judas devient l’instrument d’une attaque en règle contre le nouveau ministre de l’Intérieur Thiers, d’autant qu’on apprend qu’il a trahi pour de l’argent : « Deutz, Thiers, ce double nom en tous lieux est cité, / Ministre, apporte l’or qu’a bien gagné le traître, / Solde-le richement, car tu lui dois peut-être / Ton brevet d’immortalité. »
L’hiver 1832-1833 génère une nouvelle bataille de mots suscitée par l’emprisonnement de la duchesse. Mais la révélation de sa grossesse (alors qu’elle est veuve depuis l’assassinat de feu son mari et officiellement non remariée) change la donne.
Passé la défense de l’honneur de la « captive de Blaye » par ses partisans, entraînant une multiplication des duels, le débat se recentre sur la conduite et les méthodes du gouvernement. La critique fuse de tous bords, en particulier du Charivari :
« Quand la trahison de Deutz et l’or des fonds secrets eurent fait tomber la duchesse Caroline aux mains du pouvoir exécutif, il [le gouvernement] n’eut rien de plus pressé que de divulguer son état, que de le révéler à l’Europe par le Moniteur, et d’en faire part à l’abonné de la France nouvelle, et aux colporteurs chargés de vendre le Nouvelliste. »
Le même Charivari avait auparavant ironisé : « Il n’y a qu’une légitimité paternelle que je conteste ; c’est celle du 9 août, se disant fils de la révolution de juillet. »
La parenthèse ouverte au printemps 1832 se referme au printemps 1833, quarante ans après la révolte vendéenne de 1793. Le spectre de la guerre civile s’éloigne, le légitimisme se replie sur un « exil intérieur » et le républicanisme, après l’échec de l’insurrection de juin 1832, se lance dans une guerre de presse.
Celle-ci tournera progressivement à son désavantage.