Après l’Occupation, le début des « Jours heureux »
En 1944, le Conseil national de la résistance élabore un programme politique de reconstruction de la France. Nationalisation des sources d‘énergie, éducation pour tous, invention de la Sécurité sociale… Il s’agit de rebâtir un pays en assurant l’égalité de tous.
Le 15 mars 1944, le Conseil national de la résistance (CNR) a fini d’élaborer un programme politique pour reconstruire la France après les années noires. Représentant l’autorité la plus haute de la résistance, le CNR est composé de seize membres représentant l'ensemble des mouvements de résistance, des partis et des syndicats.
En août 1944, son président présente le programme à Charles De Gaulle, alors chef du gouvernement provisoire.
« Georges Bidault a remis au général de Gaulle le programme d'action de la Résistance. Le général a pris acte de cette remise et attache à ce texte toute l'importance qu’il mérite.
Le Président du C.N.R. fait remarquer que l'accord unanime qui s'est fait dans la résistance autour de ce programme comporte une promesse d’accord pour l'avenir. Il y voit la preuve que des hommes d’opinions très diverses envisagent cependant sous le même angle la reconstruction du pays. »
Le programme est en deux parties. La première appelle à une action immédiate avec la reconnaissance du général De Gaulle et la création des Comités départementaux de libération (CDL), structures administratives chargées de prendre en charge les actes de résistance et de préparer la libération dans les départements.
Mais il est également question de « veiller au châtiment des traîtres ».
« 2. Veiller au châtiment des traîtres et chasser des administrations ou des organisations professionnelles tous ceux qui se sont associés activement à la politique des gouvernements de collaboration ;
3. Exiger la confiscation des biens des traitres et des trafiquants du marché noir, l’établissement d’impôts sur les bénéfices de guerre et sur les gains réalisés au détriment du peuple et de la nation pendant l’occupation, la confiscation de tous les biens des ennemis y compris les participations acquises depuis l’armistice par les gouvernements ou les ressortissants de l’Axe dans les entreprises françaises de tout ordre. »
Ces points seront notamment mis en œuvre par l’ordonnance nationalisant les usines Renault et confisquant les biens de Louis Renault, qui a activement collaboré avec l’occupant (16 janvier 1945).
L’autre partie du travail du CNR est un vaste programme économique et social afin d’assurer assurer :
« L'établissement de la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel ;
- La pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ;
- La liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ;
- La liberté d’association, de réunion et de manifestation ;
- L’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance ;
- Le respect de la personne humaine ;
- L’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi. »
Ce programme économique se définit tout d’abord par « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des États fascistes ».
De nombreuses entreprises seront nationalisées pour protéger le bien public : celles qui s’occupent des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, du transport, comme les compagnies d’assurance et les grandes banques. Viennent aussi l’intensification de la production nationale, le développement des coopératives et le droit d’accès pour les travailleurs aux fonctions de direction et d’administration de l’entreprise.
Le volet social consacre « le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail » et prévoit une augmentation des salaires. L’une des réformes majeures de ce programme est l’instauration de la Sécurité sociale, « visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence dans les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ; avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État » qui sera mis en œuvre par Ambroise Croizat [lire notre article].
L’autre révolution de ce programme consiste en l’instauration d’un système de retraite « permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». Une mesure dont se félicite L’Humanité, rappelant que le Parti communiste la défend depuis longtemps.
« Dans le programme d'action de la Résistance, la retraite des vieux est également mentionnée et, à ce propos, il nous sera permis de rappeler qu'avant la guerre, quand nous demandions la retraite pour les vieux, on nous accusait de faire de la démagogie.
Certains spécialistes des questions financières disaient que jamais on ne pourrait trouver les quelques milliards nécessaires au paiement de la retraite aux vieux, mais pendant quatre ans, la France a payé un demi-milliard par jour aux Boches et personne n’osera reprendre les prétextes invoqués hier pour refuser aux vieux la retraite à laquelle ils ont droit.
Il faut pour tous les vieux, sans aucune exclusive, une retraite atteignant un taux assez élevé pour leur permettre de vivre. »
Partie prenante du CNR, les communistes comptent d’ailleurs sur la vigilance des citoyens pour faire appliquer le programme. En novembre 1944, il est question de permettre aux habitants de s’emparer du texte.
« Il ne s'agit pas d'envisager les États Généraux locaux sous l'angle d'une réunion publique, qui laisse plus ou moins de traces. Il s'agit de réunir les habitants de chaque quartier pour discuter du programme d'action de la Résistance.
Il s'agit de faire de même pour les ménagères, pour les ouvriers des diverses entreprises de la localité, pour les anciens combattants, les familles de prisonniers de guerre et déportés, les commerçants et artisans et les diverses organisations d'intérêt local. […]
En 1789, dans chaque localité, la population avait établi des cahiers de doléances en vue de la convocation des États Généraux, qui, on le sait, déterminèrent de profonds changements politiques et sociaux dans la vie de la France. »
Avec la création des comités d’entreprise, le rétablissement des syndicats et l’accès de tous les enfants à une éducation, le programme du CNR a été globalement appliqué (sauf en ce qui concerne « l’extension des droits politiques, sociaux économiques des populations indigènes et coloniales »).
En 1944, au sortir d’une guerre qui a mis la France à terre au plan économique, les représentants de la résistance ont imaginé un programme politique, fondateur d’une démocratie où la liberté de la presse, l’éducation et la protection sociale étaient les piliers d’une égalité espérée.
Dans sa première édition, ce programme s’appelait « Les Jours heureux par le CNR ».