Archives de presse
Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
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En 1876, tandis que la Guerre Civile est dans toutes les mémoires, pour la première fois le parti républicain (alors « yankee » et « liberal ») semble sur le point de perdre. L’issue du scrutin aura des conséquences désastreuses pour le futur des États-Unis.
En 1876 se déroule aux États-Unis l’une des élections présidentielles les plus importantes de l’histoire du pays. Les Républicains, au pouvoir depuis la fin de la Guerre Civile, souffrent alors d’impopularité après que divers scandales financiers soient venus éclabousser la présidence du président sortant, Ulysses Grant, ancien général d’Abraham Lincoln et héros de l’armée de l’Union.
Le XIXe Siècle note dans son édition du 7 novembre 1876 que « la popularité dont jouissait le général Grant a sombré dans les nombreux scandales financiers dans lesquels se sont trouvés impliqués les hommes dont ils aimaient à s’entourer ». La victoire du candidat démocrate Samuel J. Tilden parait alors inévitable comme semble le penser la plupart des chroniqueurs français. C’était sans compter la complexité du système électoral américain et les arrangements de dernière minute…
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Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
L’élection de Rutherford Hayes est un évènement majeur de l’histoire américaine parce qu’elle marque la fin de la période dite de « Reconstruction » qui suivit la Guerre de Sécession (1860-1865), laquelle mit fin à la pratique de l’esclavage sur le territoire américain. Après la Guerre de Sécession, les états du Sud anciennement confédérés sont occupés par les troupes de l’Union, qui doivent assurer l’ordre et éviter de nouveaux soulèvements dans les états rebelles. Le Reconstruction Act passé en 1867 avait prévu la division du Sud en cinq districts militaires supervisés par des généraux de l’Union. Pour réintégrer l’Union, tous les états furent contraints, entre autres, de ratifier le 14e amendement conférant des droits civiques aux Noirs nouvellement émancipés.
Si les acteurs majeurs de la rébellion sudiste sont, dans un premier temps, emprisonnés, déchus de leurs biens et de leur droit de vote, Abraham Lincoln avait très tôt souhaité faciliter « le pardon » envers les frondeurs afin d’éviter de nourrir de nouvelles haines. Cette position lui valut les foudres de la frange la plus radicale du Parti républicain, qui l’accusa de laxisme et de largesse envers les traîtres de l’ancienne Confédération.
Rapidement les rebelles d’hier retrouvent les rangs du Parti démocrate avec pour seul objectif de reprendre le contrôle du Sud. Après la mort de Lincoln, le Parti républicain continue de contrôler le Congrès, et les Radicaux entament la reconstruction du Sud, qui est aussi bien matérielle que sociale et économique. Il s’agit de reconstruire en profondeur la société sudiste, en émancipant notamment les Noirs nouvellement libres tout en maîtrisant les vieilles rancœurs sudistes à l’égard des Noirs mais surtout des « Yankees » du Nord. Le très controversé Bureau des hommes libérés – Freedmen’s Bureau – est notamment créé pour venir en aide aux anciens esclaves qu’il faut insérer dans une société profondément discriminante et raciste.
Pendant cette période, et en particulier après le passage du 15e amendement offrant le suffrage universel masculin aux Noirs, la communauté afro-américaine alliée aux Républicains blancs commencent à faire élire ses représentants dans les diverses chambres du pays. Le premier sénateur noir est élu en février 1870. En contrepartie, le Parti républicain domine le Sud grâce au vote des Noirs et le pays traverse alors une période de démocratisation de la vie politique – imposée par les Radicaux républicains aux Blancs du sud. Toutefois, la victoire à l’arraché du Républicain Rutherford Hayes face au Démocrate Samuel Tilden vint mettre fin, de façon assez dramatique, à cette période de relative émancipation.
De novembre 1876 jusqu’en mars 1877, date de fin de cet imbroglio politique, la presse française suit avec intérêt les rebondissements de cette élection contestée.
Dans l’édition du 5 novembre 1876, Le Journal des Débats Politiques et Littéraires présente au lectorat français les deux opposants de l’élection présidentielle américaine :
« Les candidats en présence sont, du côté des républicains, Rutherford B. Hayes pour la présidence, et William Wheeler pour la vice-présidence ; du côté des démocrates, Samuel J. Tilden pour la présidence et Thomas A. Hendrick pour la vice-présidence.
Cette élection sera l’une des plus disputées qui aient eu lieu aux États-Unis depuis longtemps et le candidat élu ne pourra guère l’emporter qu’à une faible majorité. »
Le Sud à cette époque vote massivement pour les Démocrates, historiquement le parti des esclavagistes et des travailleurs blancs : « Tous les états du Sud, moins peut-être la Caroline, voteront comme un seul homme pour le candidat démocrate ». Le journal qualifie les États indécis d’« États douteux » ! Ces swing states qu’on nomme généralement en français « état pivots », sont cruciaux dans les élections américaines car on ne peut jamais prédire la façon de voter de leurs électeurs – et leur résultat détermine souvent l’issue du scrutin.
Le XIXe siècle, dans son édition du 7 novembre 1876, explique au lecteur français les différences idéologiques majeures qui existent entre les deux partis majoritaires outre-Atlantique :
« Il n’est peut-être pas inutile de définir ce que signifient exactement dans la langue politique des États-Unis ces deux termes, Républicains et Démocrates.
Contrairement à l’acceptation usitée en Europe, les Démocrates constituent le parti conservateur, les Républicains sont les libéraux. Il n’y a pas longtemps encore, les Démocrates défendaient l’esclavage, les Républicains le combattait. »
Le candidat républicain, Rutherford B. Hayes, natif de l’Ohio, obtient un diplôme de droit d’Harvard en 1845. Il est très tôt opposé à l’esclavage, et rejoint les rangs du jeune Parti républicain à la fin des années 1850. Au début de la Guerre Civile, Hayes s’engage dans les troupes de l’Union, il devient major mais sera sérieusement blessé lors de la bataille de South Mountain, dans le Maryland.
À la fin de la Guerre, Hayes fait son entrée au Congrès comme représentant de l’Ohio en 1865, avant de devenir gouverneur de l’Ohio pour deux mandats consécutifs. Il est enfin poussé par le Parti républicain à se présenter à l’élection présidentielle de 1876, alors qu’il songeait à se retirer de la vie politique. Hayes était en effet connu pour son honnêteté et sa grande rigueur morale, ce qui rompait avec l’image de corruption trainée par l’administration Grant. La réputation de l’administration Grant était si détériorée et celle du candidat démocrate en comparaison si immaculée que le chroniqueur E. Barbier pour Le XIXe siècle donnait par avance Tilden vainqueur :
« Nous regrettons quant à nous la défaite des républicains ; nous ne pouvons oublier que ce parti a aboli l’esclavage aux États-Unis.
Cependant, l’arrivée des démocrates aux affaires ne peut avoir aujourd’hui les inconvénients qu’elle aurait eus il y a quelques années. L’élection de M. Tilden, tout au moins, assure une administration honnête et nous pouvons l’approuver de ce point de vue. »
Lors de l’élection de 1877, Hayes doit en effet jouer des coudes avec le très respecté gouverneur démocrate de New York, Samuel J. Tilden. H. Vernoy note dans L’Univers Illustré que « M. Samuel-Jones Tilden, âgé de soixante-deux ans, est un homme de loi très distingué. Il siégea à la chambre des députés de New York, et acquit une grande popularité en attaquant avec énergie les prévaricateurs ».
Cette réputation d’homme du peuple rend Tilden populaire aussi bien auprès des Blancs du Sud que des travailleurs et des classes populaires du Nord qui rejettent massivement la corruption des Républicains. À l’issue du scrutin, Tilden remporte près de 250 000 voix de plus que Hayes au niveau national – c’est-à-dire le vote populaire. Mais le système américain fonctionnant avec un collège électoral composé de grands électeurs dont le nombre par État est proportionnel à leur population, la course est loin d’être gagnée.
Le Temps, dans son édition du 17 janvier 1877 explique plus en détail le fonctionnement complexe et les différents obstacles constitutionnels auxquels les deux candidats doivent faire face.
Les résultats de la Floride, de la Louisiane et de la Caroline du Sud en particulier restent conflictuels, chaque parti déclarant son candidat vainqueur dans ces différents États. Mais finalement, Hayes obtient 185 voix de grands électeurs contre 184 pour Tilden. Hayes est déclaré vainqueur le 2 mars 1877.
L’article de H. Vernoy dans L’Univers Illustré du 10 mars 1877 revient longuement sur la séance finale qui consacre l’élection de Hayes au détriment de Tilden.
« Les élections pour la présidence des États-Unis ont lieu à deux degrés. Le scrutin pour la nomination des électeurs spéciaux a donné des résultats fort incertains. De part et d’autre on s’est accusé avec la dernière véhémence de fraude et de corruption.
Une commission parlementaire a été chargée de procéder à une enquête. La discussion a porté surtout sur la validité des voix de Louisiane, de Floride et de Caroline du Sud et de l’Oregon. La commission ayant porté à l’actif de M. Hayes toutes les voix contestées, le candidat républicain s’est trouvé obtenir la stricte majorité.
Cette décision n’a pas été sans causer une vive surprise aux États-Unis, car la Louisiane et la Floride sont notoirement favorables aux démocrates. »
Le Journal des débats du 7 mars 1877 referme cet épisode électoral sur une note pragmatique en rappelant que le pire semble toutefois avoir été évité…
« Ainsi se termine légalement et pacifiquement une campagne présidentielle qui a commencé dans la première moitié de l’année dernière et qui a failli conduire les partis à des actes de violence dont les suites eussent été à jamais regrettables. »
Le compromis secret qui fut passé entre Démocrates et Républicains eut des conséquences désastreuses, en particulier pour les Noirs, car le retrait des Républicains des affaires du Sud et le départ des troupes unionistes des territoires sudistes signifiaient le retour à la vieille loi des Démocrates.
En l’espace de quelques années, les États du Sud trouvèrent en effet le moyen de détourner les 14e et 15e amendements en privant progressivement les Noirs de leur droit de vote. Des groupes de racistes utilisaient des méthodes d’intimidation violentes pour dissuader les Noirs de s’inscrire sur les listes électorales ; de même, les États passaient des « poll taxes », taxes dont on devait s’acquitter pour pouvoir voter, et que, de fait, les Noirs souvent pauvres ne pouvaient honorer. Une autre méthode très répandue consistait à soumettre les aspirants au vote à des tests de lettrisme qu’un professeur d’université n’aurait pu résoudre.
Officiellement ces mesures ne visaient pas exclusivement les Noirs vertes, mais dans les faits, parce qu’ils étaient davantage touchés par la pauvreté et l’illettrisme, ce sont eux qui furent les véritables victimes de ces lois à visée discriminatoire.
Enfin, le retrait des troupes de l’Union permit aux sudistes d’installer une véritable apartheid donnant naissance à l’ère de la ségrégation, que la Cour Suprême entérina en 1896, dans l’arrêt Plessy v Ferguson (il faudra ensuite attendre 1964 pour que la ségrégation soit officiellement interdite sous l’administration de Lyndon B. Johnson.)
La reconstruction totale du Sud ne fut donc jamais vraiment achevée et l’élection de Hayes eut des conséquences dramatiques pour les décennies à venir – et bien au-delà.
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Anne-Claire Bondon est professeure agrégée d’anglais et américaniste. Elle enseigne à l’Université de Paris-Est Créteil. Elle travaille notamment sur la contre-culture américaine et les mouvements contestataires.