C’est assez logiquement aussi la version de L’Humanité du 18 août 1935, journal qui était resté totalement silencieux sur le témoignage de Gareth Jones en 1933. Le quotidien communiste reprend largement les propos du dirigeant anglais :
« On saisit mieux les motifs qu'ont les Japonais de dissimuler le plus longtemps possible la mort de M. Jones, quand on se réfère aux déclarations que M. Lloyd George a faites à ce propos :
‘M. Jones était extrêmement habile à découvrir les choses les plus cachées et il avait sans aucun doute en sa possession des notes qui présentaient le plus grand intérêt pour l'une ou l'autre des grandes puissances intéressées en Mongolie.’ (...)
Ce genre d'éloges s'applique assez bien à un agent du Service secret britannique, ‘franc-tireur’ du journalisme, pour que l'on pense que l'histoire classique de ‘bandits’ dissimule un assassinat exécuté par les Japonais.
Au reste, le lieu du meurtre est précisément situé dans les régions que le Japon contrôle. »
L’autre version de l’histoire, tout aussi politique, implique cette fois l’URSS. Le NKVD aurait profité de l’occasion pour se débarrasser « enfin » de lui ! Cette interprétation n’apparaît a priori pas dans la presse française de l’époque. Mais, selon l’un des biographes de Gareth Jones, l’homme qui avait loué une voiture aux deux journalistes, était un agent du NKVD et il n’est pas impossible que le journaliste allemand Müller l’ait aussi été.
Dans son film, Mr Jones (L’Ombre de Staline, en France), la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland penche pour cette dernière explication. Mais il reste encore à trouver des documents russes, chinois ou japonais qui permettraient d’extrapoler à partir de ces indices, pour faire définitivement la lumière sur cette affaire tragique qui a coûté la vie à Gareth Jones, l’un des témoins de l’Holodomor ukrainien.
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Pour en savoir plus :
Irina Dmytrychyn, Le voyage de monsieur Herriot : un épisode de la grande famine en Ukraine, L'Harmattan, 2018.
Andrea Graziosi, « Les famines soviétiques de 1931-1933 et le Holodomor ukrainien. Une nouvelle interprétation est-elle possible et quelles en seraient les conséquences ? », in : Cahiers du monde russe, 2005/3 (Vol 46), p. 453-472
Gareth Jones, Lubomyr Y. Luciuk Éd., Tell them we are starving. The 1933 Russian Diaries of Gareth Jones, Kingston (Canada), Kashtan Press, 2015
L’ensemble des articles de Gareth Jones sur l’URSS (1930-1933) sont disponibles sur ce site : https://www.garethjones.org/soviet_articles/soviet_articles.htm
Rachel Mazuy, « Mr Jones au pays des Soviets. A propos de L’Ombre de Staline réalisé par Agnieszka Holland » (2019), in : Histoire & Politique, 7 septembre 2020
Margaret Sirol Colley, Gareth Jones : a Manchukuo incident, Nottinghamshire, Margaret Siriol Colley, 2001
Moissons sanglantes, documentaire de Guillaume Ribot, 68 mn & 52 mn, Les Films du Poisson, 2022
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Rachel Mazuy est historienne, chargée de conférences à Science Po et chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent. Elle travaille notamment sur l'histoire du mouvement ouvrier et les circulations avec la Russie soviétique et l'engagement artistique au XXe siècle.