Écho de presse

Une visite du Jérusalem multiculturel en 1897

le 18/07/2018 par Pierre Ancery
le 07/12/2017 par Pierre Ancery - modifié le 18/07/2018
Jérusalem, le Mur des Lamentations, agence Rol, 1922 - source : Gallica BnF

Dans une série d'articles parus dans le Figaro, un écrivain décrit en 1897 la ville de Jérusalem, où cohabitent, non sans rivalités, les trois religions monothéistes.

Septembre 1897. Gustave Larroumet, historien d'art et écrivain, est en voyage en Méditerranée. De son passage à Jérusalem, il tire une série d'articles que le Figaro va publier en feuilleton entre le 22 novembre et le 7 décembre. Son long récit, qui n'est pas dénué de préjugés (notamment à l'encontre de la population juive), donne néanmoins un aperçu de la façon dont cohabitaient alors les différentes communautés de la ville.

 

À l'époque, la ville sainte du judaïsme, du christianisme et de l'islam est depuis quatre siècles sous contrôle de l'Empire ottoman. Les trois religions sont présentes dans la ville. Entre leurs communautés règne un certain équilibre, comme l'explique Vincent Lemire dans son livre Jérusalem 1900, la ville sainte à l'âge des possibles.

Ce qui n'empêche pas les relations entre croyants d'être marquées par des tensions. Larroumet en est témoin lorsqu'il arrive à l'église du Saint-Sépulcre, qui accueille plusieurs confessions chrétiennes :

 

« Le Saint-Sépulcre est la propriété commune de toutes les confessions chrétiennes. Chacune, en vertu de vieux usages jalousement défendus, a ses droits, ses privilèges, ses prétentions victorieuses ou disputées. Le sanctuaire du Dieu de paix est un temple de discorde.

 

Les religieux des diverses confessions ont l'humeur également mesquine et taquine. Pressés dans un petit espace, ils nourrissent des rivalités de petite ville ; orgueilleux et ignorants, ils attachent à des riens une importance énorme ; enflammés de passions religieuses, ils en cuisent le fiel ; soutenus par leurs gouvernements respectifs, ils sont politiciens. »

 

Larroumet, pétri de culture biblique, visite la vallée de Josaphat, le tombeau de la Vierge ou le mont des Oliviers. Il décrit ensuite les lieux d'islam – cette dernière religion étant alors celle des Ottomans, Arabes et Turcs.

 

« Jérusalem n'est pas seulement chrétienne. Elle est aussi musulmane et juive. Je devrais dire juive et musulmane, pour suivre l'ordre du temps. Mais, outre que les musulmans sont les maîtres de la ville, ils ont mis sur elle une marque profonde, tandis que le passé juif n'existe plus que dans le souvenir. »

 

La visite du Harâm ech Cherif et de la mosquée d'Omar lui inspirent des réflexions sur les rivalités entre religions :

 

« En aucun lieu du monde ne se montre plus nettement le rôle du surnaturel dans toutes les religions, et aussi la négation mutuelle qui engendre l'intolérance. Ici, trois croyances se disputent les mêmes sanctuaires, avec le mépris et la haine des croyances rivales […].

 

Aussi le pèlerinage de Jérusalem commence-t-il par attrister et troubler non seulement les croyants, mais ceux qui, dans la ruine de la foi, ont conservé le sentiment religieux. Il faut la dévotion naïve du pauvre moujik, qui vient du fond de la Russie se prosterner en larmes sur le tombeau du Sauveur, pour ne rien voir de ce qui détonne et choque, autour de cette pierre, comme le contraire des vertus chrétiennes.

 

Tout homme de quelque culture rencontre à chaque pas, avec la bassesse et la méchanceté humaines, les contradictions et les impossibilités. On en vient à se demander si toutes les religions ne sont pas des écoles d'aveuglement et de haine. »

 

Le 6 décembre, Gustave Larroumet évoque la population juive de Jérusalem.

 

« Les émigrants juifs affluent d'Allemagne, de Russie et de Pologne vers Jérusalem. Ce sont les Achkenazim. Ils viennent non pas se joindre, mais se juxtaposer aux Sephardim, depuis longtemps établis dans la ville.

 

Les Achkenazim sont pauvres. En quittant l'Europe, ils n'obéissent pas seulement à l'amour de l'ancienne patrie et au désir de reposer dans la terre ancestrale. Il sont aussi poussés par la misère et l'espoir d'une condition meilleure, grâce aux nombreuses fondations de leurs coreligionnaires riches. La plupart ne trouvent à Jérusalem qu'une existence précaire. »

 

Dans un discours paradoxalement teinté d'antisémitisme, il plaint les conditions de vie de ces Juifs émigrés :

 

« Partout la dérision, agressive chez les musulmans, sans charité chez les chrétiens, les accompagnait. Devant ces scènes d'opprobre, je songeais à l'existence fastueuse que mènent en Europe leurs frères par le sang et la foi, à l'orgueil des équipages, au luxe des réceptions, aux galeries de tableaux, à la colonnade de la Bourse, au préfet Worms-Clavelin d'Anatole France.

 

Les uns jouissent, les autres souffrent ; mais tous, dans l'orgueil et dans l'humiliation, avec leurs rares qualités et leurs défauts antipathiques, proposent au monde le même problème de fatalité historique, le même exemple de foi et de patriotisme, la même preuve de solidarité. »

 

Puis l'écrivain évoque le sionisme, dont il juge très faibles les chances de réussite :

 

« Un rêve confus, sorti des prédictions messianiques, a pris la forme d'un projet à échéance prochaine. Le congrès des Sionistes a fait quelque bruit autour de ce projet [...]. De toutes les chimères que peut nourrir l'esprit de secte, je n'en vois pas de plus vaine que celle-ci.

 

Les juifs sont dispersés dans le monde entier ; ils ont trouvé les moyens d'existence et la richesse “parmi les nations”. S'ils ont conservé, irréductibles, leur foi et leur solidarité de race, en bien des pays ils ont adopté leur séjour comme une nouvelle patrie. »

 

Vingt ans plus tard, en décembre 1917, la ville passait sous la coupe britannique à l'issue de la bataille de Jérusalem. La déclaration Balfour, en novembre 1917, ouvrait quant à elle la voie à la création d'un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine, foyer qui sera à l'origine de l’État d'Israël.  

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