Écho de presse

« Les abominables révélations de Maria Monk », très scandaleux faux récit anticatholique

le 13/12/2021 par Marina Bellot
le 09/07/2018 par Marina Bellot - modifié le 13/12/2021
Le couvent de l'Hôtel-Dieu de Montréal, prétendu terrain de jeu des infâmes « Sœurs Noires », circa 1865 - source : WikiCommons

En 1836, une jeune religieuse publie un récit racontant les « atroces pratiques » d'un couvent de Montréal. Ce grossier tissu de mensonges – impliquant pratiques dites « licencieuses », viols et meurtres – parvient toutefois à influencer une population en proie à la peur.

En 1836, un récit glaçant paraît aux États-Unis : The Awful Disclosures of Maria Monk, les abominables révélations de Maria Monk.

Dans ce qui est alors vendu comme une authentique autobiographie, une jeune femme raconte avoir vécu des années d'horreur dans le couvent des « Sœurs Noires » de l'Hôtel-Dieu à Montréal, où se pratiqueraient viols, sévices, tortures et infanticides. Des pratiques prétendument encouragées par la hiérarchie catholique de la ville.

La très catholique Gazette de France détaille avec ironie les atrocités décrites dans le récit de Maria Monk :

« Elle a vu, de ses yeux vu, les choses les plus sacrées, profanées, les croyances les plus saintes tournées en dérision ;

elle a vu les religieuses s’adonnant, comme au sabat, aux danses les plus licencieuses, à une sarabande échevelée, vivant jour et nuit dans le libertinage, et mourant d’excès de lubricité, quand elles ne périssaient pas de la main de leurs compagnes, à qui il fallait la distraction du meurtre et du sang ;

n’a-t-elle pas assisté au supplice d’une “blonde” novice – pauvre ange tombé comme elle dans cet enfer – étouffée sous un matelas, sur lequel piétinaient eu riant cinq ou six de ces furies, en présence de l’évêque ;

elle en a vu se délivrant de leur honte par le suicide, et échappant ainsi aux fers rougis, au verre mâché, aux bonnets de force, aux cachots souterrains ;

elle a vu, durant son séjour, 18 ou 20 nouveaux-nés étranglés, pour assurer à ces petits êtres, disaient les sœurs, une éternelle félicité. »

Les États-Unis connaissent alors une arrivée massive d’immigrants irlandais catholiques, et la peur grandit parmi la communauté protestante américaine : l'impie catholicisme serait-il en passe de devenir une religion dominante dans le pays ? En 1854, un parti politique xénophobe est même créé sur les braises chaudes de cette crainte : l'Ordre de la bannière étoilée, dont le principal souci est la défense d'une Amérique protestante.

Dans ce contexte de paranoïa, le livre de Maria Monk connaît, dès sa publication, un succès retentissant : pas moins de 26 000 exemplaires sont écoulés en quelques mois – chiffre colossal, pour l’époque. 

Les journaux protestants puritains font leurs choux gras de ces prétendues révélations, hissant le récit de Maria Monk au rang d'exemple ultime de la « perversion coutumière » de la hiérarchie catholique. 

Indignés et craignant une dégradation des relations œcuméniques, des protestants exigent qu’une enquête soit diligentée dans le couvent, à l’Hôtel-Dieu. Aucun des abominables crimes dénoncés par Maria Monk ne pouvant être prouvé, la vague anticatholique américaine n'est pas endiguée pour autant.

Pire : bien qu'il s'avère vite un tissu d'affabulations, le récit de Maria Monk connaît une exceptionnelle postérité. Réimprimé plusieurs fois, il atteint, sur le long-terme, le demi-million d'exemplaires vendus.

En Angleterre notamment, où l'anticatholicisme est institutionnalisé dans les textes officiels de la monarchie britannique, il continue à faire grand bruit près de 25 ans après sa première publication.

La Gazette de France rapporte ainsi :

« Elle [l'autobiographie de Maria Monk] parut en 1836, mais en 1861, elle n’a rien perdu de sa vogue ni de sa popularité, et comme la scène se passe au-delà de l’Océan, elle emprunte de ces parages lointains un prestige tout particulier, un intérêt plus puissant et une poésie nouvelle. [...]

Et chacun de réciter à son voisin l’histoire de Maria Monk. ​»

La Gazette revient sur cette forme d'anticatholicisme séculaire dans les pays anglo-saxons, sans cesse alimentée par rumeurs et pamphlets :

 « Chaque peuple a malheureusement une page funèbre dans son histoire religieuse ; mais l’Angleterre est le pays privilégié des martyrs catholiques.

Nulle nation, nulle secte, dans les temps modernes et les régions civilisées, n’a poursuivi avec une aussi opiniâtre ténacité et un fanatisme aussi aveugle le système des persécutions. [...]

La terreur du papisme ! L’insulaire verrait avec plus d’épouvante l’invasion du papisme sur son territoire qu'un descente de zouaves sur ses côtes. Le zouave, c’est la conquête, mais le papisme, ce sont les bûchers, les enfants égorgés, les cloîtres mystérieux et impénétrables, etc…

À ce grossier aliment de la populace, ajoutez comme piment les milliers d’opuscules que la partie éclairée et intéressée sèment à profusion. ​»

Il ne fait aujourd'hui aucun doute que Maria Monk fut manipulée par des pasteurs anticatholiques notoires, dans le but d'attiser le ressentiment des Américains vis-à-vis de la population immigrée européenne. Il est également prouvé que Maria Monk n'est jamais entrée dans les ordres, mais qu'elle s'était en revanche échappée d'un asile d'aliénés quelque temps avant la publication du livre. 

Ou comment un grossier tissu de mensonges parvint à influencer une population en proie à la peur de l'étranger.