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Sous la forme de publireportages mensongers, les miraculeuses Pilules Pink se sont affichées dans les plus grands titres du premier XXe siècle. Capables de soigner « érysipèles chroniques » comme « danses de Saint-Guy », ces cachets roses à tout faire ont rythmé les pages d’annonces de la presse à grand tirage.
En mars 1895, un flot d’articles inonde la presse française sur une kyrielle de guérisons miraculeuses au Canada.
Ainsi, les lecteurs d’un journal averti en matière de miracles, La Croix, découvrent en dernière page la reproduction d’un article paru précédemment au Québec au titre redondant : « Un miracle à Montréal. La femme et la fille d’un banquier miraculeusement guéries ». Car Mme Guimond et sa fille, issues de la meilleure société, souffraient « depuis plusieurs années déjà d’une maladie mal définie, anémie selon les cas, ébranlement du système nerveux selon les autres, mais qui, en somme, ne faisait qu’empirer malgré tous les soins dont elles étaient entourées ; on s’attendait de jour en jour à une issue fatale ».
Or M. Guimond eut l’idée de recourir au Dr Williams qui administra aux deux dames des pastilles de son invention. Le nom de cette panacée tient lieu de programme : les « Pilules Pink pour personnes pâles » ; elles vont inonder le siècle à venir.
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Un lecteur plus attentif s’apercevrait aisément que nombre de ces articles parus en ce printemps 1895 abordaient la plupart du temps ces rémissions inattendues au détour d’un autre sujet. La Dépêche de Toulouse avertissait par exemple ses lecteurs que l’on avait de bonnes nouvelles en provenance du vapeur La Gascogne, « notre beau navire » que l’on croyait perdu au large de Terre-Neuve, avant de faire état des petites pilules canadiennes par une transition des plus subtiles :
« Les Canadiens sont fiers de leur pays et de leurs institutions, et, en Amérique, les Canadiens français surtout se sont fait une réputation d'intelligence et d'amour du progrès.
On y a abandonné la vieille routine et les sentiers battus, toute nouvelle découverte ayant une valeur propre et donnant des résultats effectifs y est spontanément adoptée.
Entre autres, on a vu, dans ces dernières années, la presse canadienne et le public prendre un intérêt tout spécial à la découverte du Dr Williams, l'un des membres les plus influents du corps médical au Canada. »
Ailleurs, les pilules surviennent dans des articles traitant des périls que rencontrent les enfants des grandes villes ou bien sur les catholiques au Canada, les angoisses d’une mère ou le problème du retour d’âge. Mais tous se terminent sur les maux vaincus outre-Atlantique par le remède du Dr Williams :
« [Les pilules] agissent d’une manière remarquable sur toutes les maladies provenant d’un affaiblissement du sang ou d'un ébranlement du système nerveux, telles que rhumatismes, névralgies, paralysie partielle, ataxie locomotrice, danse de Saint-Guy, maux de tête, névroses et leurs effets, suites de la grippe, de l’influenza, etc.
Les pilules Pink sont également infaillibles pour toutes les maladies qui proviennent d’un sang vicié, telles que scrofules, érysipèles chroniques, et pour redonner de belles couleurs aux teints pâles. Elles agissent dans toutes les formes d’affaiblissement chez la femme et produisent chez les hommes une action efficace contre toutes les maladies causées par le surmenage physique et mental, ainsi que par les excès de tout genre.
Nous apprenons avec plaisir que les pilules Pink, qui ont acquis une renommée universelle à l’étranger, vont maintenant être vendues en France. »
Le mois suivant, les révélations de guérisons miraculeuses avaient traversé l’Atlantique. C’était désormais à Lyon comme à Saint-Amand-Montrond, à l’île de Ré et Saint-Mandé que les petites pilules du docteur faisaient merveille.
Et les pilules surviennent toujours au débotté. Dans le Journal du Cher, c’est dans une « Interview avec un banquier » que les berrichons apprennent l’existence des petites panacées roses tandis que L’Écho de Paris, dans « Un cas à sensation » rapporte les confidences d’un imprimeur parisien sur la guérison de son épouse.
Car ces historiettes sont ingénieuses. Ainsi, dans La Petite Gironde et sous le titre « Une découverte. Un prêtre trouve un moyen pour guérir l’ataxie locomotrice », la relation de la guérison commence par un hommage à la science, à la médecine et au « grand savant dont le monde entier déplore aujourd’hui la perte » (il s’agit de Louis Pasteur, décédé le 28 septembre 1895), avant de présenter les fameuses pilules, dont un brave curé de la Sarthe assure qu’elles ont guéri sa sœur.
Le placement de produit se fait bientôt plus subtil encore, dans des articles d’apparence anodine, et où les illustrations font leurs apparitions pour attirer l’œil dans la page. À chaque fois, on cite un autre journal, tandis qu’il s’agit de sa propre réclame.
Sous des titres anecdotiques tels que « une fortune retrouvée » dans La Dépêche, « une pêche miraculeuse » dans Le Progrès de la Somme, « un véritable ami » dans Le Petit Journal, « Histoire de chapeaux » dans La Dépêche, « Heureuses conséquences d’un déjeuner à la Tour Eiffel » dans Le Progrès de la Somme.
Le cadre est posé, la forme est acquise, c’est celle du publireportage, le placement de produit dans un article qui n’est qu’un prétexte à la promotion. Bientôt l’illustration s’imposera sur le texte, et les Pilules Pink envahiront la presse française (et mondiale) du XXe siècle, début d’une véritable épopée publicitaire
Les guérisons s’enchaînent à longueur de pages et les journaux croulent sous les vrais-faux témoignages de reconnaissance de personnes pâles pour les pilules Pink :
Sous le nom de Docteur Williams se cache le canadien George T. Fulford qui, dès 1897, dispense ses vraies-fausses interviews de lui-même pour vanter son produit. En 1886, il achète au Dr William Jackson (pour une cinquantaine de dollars, dit la légende) la recette des « Pink Pills » et entame leur commercialisation sous une marque déposée. Les petites pilules tiraient leur couleur de la pâte de sucre rose qui entourait du sulfate ferreux et du sulfate de magnésium, selon un dosage pourtant inférieur à celui administré habituellement par la médecine.
Loin d’être la panacée promise, le succès des Pilules Pink tient tout entier dans les méthodes de réclame de leur propriétaire, qui n’hésite pas à recourir aux bons soins de la justice en ce qui concerne la défense de sa pharmacopée.
Car les pilules roses occupent désormais des pages entières dans la presse d’avant–guerre :
Indiscutablement, le cœur de cible est féminin, de la fillette à la grand-mère ; les femmes constituent ainsi les gros bataillons des vraies-fausses dithyrambes de la presse :
Car les pilules se vantent d’accompagner les « mauvais jours » et de guérir la femme des « troubles propres à son sexe ». D’ailleurs, les messieurs peu inspirés, ont-ils songé que les Pilules Pink sont un cadeau idéal pour madame ?
« En donnant à votre femme quelques boîtes de pilules Pink vous faites un cadeau d’un prix modique et cependant d’une grande valeur.
Vous assurez le bonheur physique et la tranquillité de votre femme, et vous assurez en même temps votre propre tranquillité domestique. »
Mais les « personnes pâles » n’appartiennent pas uniquement au sexe féminin.
Les Pilules Pink sont, d’après leurs promoteurs apocryphes, utiles « aux fonctionnaires » ou « aux domestiques » et aux enfants. Plutôt que « punir les enfants malingres », pourquoi ne pas les nourrir avec des pilules ?
Tout tient sur la crédulité du client, et la propre réclame du produit miracle du Dr Williams ne s’en cache pas, comme on pouvait le lire dans cette publicité parue dans L’Excelsior : « J'ai lu, j'ai cru, je ne souffre plus » :
« Le malade bien avisé ne se contente pas de lire les attestations de guérison dues aux Pilules Pink régulièrement publiées dans les journaux. Il pense aussi : Voici la dixième personne ayant éprouvé les mêmes symptômes et les mêmes malaises qui me font tant souffrir moi-même. La guérison est mentionnée dans le journal.
Alors, à moins que les Pilules Pink aient de l'aversion pour moi, ce qui est inadmissible, je ne vois pas pourquoi elles ne me guériraient pas aussi. Les Pilules Pink montrent qu'elles sont bonnes pour tous en guérissant ceux qui les appellent à leur secours. En voici quelques exemples : […]. »
Après un premier âge d’or durant la Belle Époque, l’entre-deux-guerres est une période faste de la réclame à longueur de colonnes dans la presse. Les pilules Pink jouent désormais davantage sur leur seule réputation plutôt que sur les historiettes.
Le nouveau siècle déprimé qui commence avec les invasives petites pilules roses ne sait pas encore qu’il finira avec la promotion tout aussi indésirable de « petites pilules bleues ». Mais cela est une autre histoire.
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Pour en savoir plus :
Amélie Chabrier, « Fantômas, mais pourquoi est-il si méchant ? Parce qu’il prend les ‘Pilules Pink Pour Personnes Pâles !’ », in : Roy Pinker (dir.), Faits divers & vies déviantes – XIXe-XXIe siècle, CNRS Editions, 2022
