14-18 : Les journaux en guerre
« 14-18 Les journaux en guerre »
L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
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En 1932, la France s’interroge sur une idée avant-gardiste prônée outre-Atlantique par l’activiste Margaret Sanger : contrôler les naissances et favoriser la contraception.
« Combien d’entre eux, ne meurent-ils pas dès les premières années, dès les premiers mois, si bien que toute la souffrance de la femme et tous les sacrifices faits par la famille, la commune, les personnes charitables se révèlent inutiles ?
Et s’ils survivent, ils iront grossir le peuple des inaptes et de inadaptables et amèneront ainsi cette sélection à rebours […].
Cela étant, la société n’a-t-elle pas le droit, n’a-t-elle pas le devoir de se défendre contre les périls de dégénérescence et de déchéance qui la menacent en organisant elle-même un birth control prudent et efficace ? »
14-18 : Les journaux en guerre
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L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
Dans les pays anglo-saxons et notamment aux États-Unis, la lutte pour le contrôle des naissances est portée depuis les années 1910 par Margaret Sanger, que l’auteur cite en exemple comme une figure pionnière du mouvement.
« C’est des pays anglo-saxons qu’est parti le mouvement et c’est chez eux que le birth control est entré dans la voie de la réalisation.
Après l’ardente compagne de Margaret Sanger, emprisonnée pour avoir ouvert la première clinique de birth control à New York, il existe aujourd’hui, aux États-Unis, des maternités et des Child Welfare Centres ou des professionnels ne donnant pas seulement des conseils médicaux aux mères et aux enfants, mais des éclaircissements sur les moyens anticonceptionnels. »
Dès 1931, au cœur de la Grande Dépression, Sanger propose en effet de suspendre la natalité pendant deux ans, et déclare qu’« aucun enfant ne devrait être mis au monde, alors que ses parents sont dans la difficulté, pour venir ensuite peser sur les institutions charitables ».
La Petite Gironde rapporte plus précisément les propos de Sanger pour justifier la nécessité de ce « moratoire de deux ans » sur la natalité.
« Une proposition originale pour conjurer la crise économique : un moratoire de deux ans sur les […] Madame Margareth Sanger a notamment déclaré :
“Je suis mère de deux enfants et je me rends bien compte qu’aussi longtemps que la situation économique restera anormale, chaque nouveau-né s’ajoutera non seulement au désastre financier de la famille, mais mettra en péril la santé des autres enfants qui seront forcément mal nourris.” […]
Mrs Margareth Sanger n’a pas dit quels moyens elle préconisait pour assurer un pareil moratoire. En tout cas sa proposition a tout au moins le mérite de l’originalité et de la hardiesse. »
Au début des années 1930, Margaret Sanger est déjà une figure bien connue du mouvement Birth Control et n’en est pas à son premier coup d’éclat.
Sanger, qui a grandi dans une famille irlandaise et catholique, est frappée dès son plus jeune âge par la pauvreté. Sa mère a 11 enfants et fait de nombreuses fausses-couches, mourant prématurément à l’âge de 50 ans. La jeune Margaret comprend alors que les grossesses à répétition de sa mère ont eu raison de sa santé et que l’impossibilité pour une femme de choisir quand et combien d’enfants elle souhaite avoir est contraire aux droits humains fondamentaux.
En 1902 elle épouse l’architecte William Sanger, puis en 1910 le couple s’installe à New York où commence l’histoire de leur activisme politique et social. Aux côtés d’intellectuels et d’activistes comme l’anarchiste russe Emma Goldman, ou encore les écrivains socialistes Upton Sinclair et Max Eastman, les Sanger s’investissent dans la plupart des causes politiques qui agitent l’aile progressiste, comme le droit de vote des femmes et la lutte ouvrière.
Sanger sera influencée par le combat d’Emma Goldman pour la liberté d’expression et son action pionnière en matière de sensibilisation à la contraception. Goldman fut en effet la première à parler publiquement des contraceptifs. Pour elle, l’accès à la contraception et le droit des femmes à disposer de leurs corps faisait partie d’un vaste chantier de réformes sociales censées lutter contre le patriarcat et l’oppression de la classe ouvrière.
Infirmière de profession, Sanger travaille au début de sa carrière dans le quartier délabré du Lower East Side ou elle est témoin des méthodes d’avortement les plus rudimentaires – à l’aide d’une aiguille de couture ou de térébenthine. À cette période, Sanger se heurte à la détresse de femmes qui tentent par tous les moyens de mettre un terme à leur grossesse non désirée.
Dans son journal, Sanger raconte qu’elle a été appelée pour assister un médecin au chevet d’une jeune femme s’étant avortée seule. Lorsque Sadie Sachs, une jeune femme de 28 ans d’origine russe, demande au médecin comment faire pour ne plus tomber à nouveau enceinte, celui-ci lui répond : « Demandez à Jake de dormir sur le toit. » Désespérée la jeune femme se tourne vers Sanger, dont elle espère une réponse miraculeuse : « Quel est le secret ? Dites-moi, je ne le répéterai à personne. » La jeune fille mourra trois mois plus tard.
Sanger décrit cette expérience pionnière comme un tournant :
« Ce fut l’aube d’un nouveau jour dans ma vie. […] Je suis allée me coucher pensant que peu importe le prix à payer ç’en était fini des remèdes superficiels et palliatifs ; j’étais déterminée à prendre le mal par la racine, à faire quelque chose pour changer le destin des mères dont le malheur était aussi vaste que le ciel. »
Sanger s’engage alors pour le contrôle des naissances et l’accès à la contraception afin de mettre un terme à la précarité des femmes issues des classes ouvrières.
Au début du XXe siècle une loi archaïque, la loi Comstock de 1873, censée lutter contre l’obscénité, interdit la distribution d’informations en lien avec la contraception et l’avortement. Dès 1910, Sanger commence à promouvoir le Birth Control, un terme qu’elle invente et utilise à travers plusieurs de ses publications. Dans le journal socialiste New York Call, elle tient une colonne intitulée « Ce que toutes les filles devraient savoir » (What Every Girl Should Know) dédiée à l’éducation sexuelle des jeunes filles et des femmes.
En 1914 elle commence à publier La Femme Rebelle (The Woman Rebel) avec pour slogan « Ni dieux, ni maitres », un journal dans lequel elle défend l’accès légal à l’avortement. Elle tombe sous le coup de la loi Comstock et fuit les États-Unis pour l’Angleterre en 1915 sous le pseudonyme de Bertha Watson.
Les charges seront plus tard abandonnées sous la pression populaire, émue par la mort récente de sa petite fille de cinq ans des suites d’une pneumonie.
Le 16 octobre 1916, de retour à New York elle ouvre la première clinique pour le contrôle des naissances, où sont dispensés des conseils liés à la contraception. Une semaine plus tard, elle est arrêtée et passera 30 jours en prison. Son action est toutefois largement médiatisée et de riches donateurs s’empressent de la soutenir. Sanger est une nouvelle fois poursuivie pour obscénité sous le coup de la loi Comstock.
Elle fait toutefois appel et la Cour modifie légèrement la jurisprudence, autorisant les docteurs à prescrire des contraceptifs pour raisons médicales. Sanger s’engouffre dans cette brèche juridique, en 1921 elle crée la « Ligue pour le Contrôle des Naissances » (Birth Control League) qui deviendra en 1942 le Planning Familial (Planned Parenthood) et crée dès 1923 une clinique dotée d’infirmières habilitées et d’assistantes sociales.
À l’époque Sanger doit en outre faire face à l’opposition farouche des conservateurs, qui refusent de légaliser la contraception pour différentes raisons, la plupart étant religieuses. La contraception est selon l’avis de beaucoup, « contre-nature », et les conséquences sanitaires de l’utilisation de préservatifs, diaphragmes, éponges et autres, encore mal évaluées.
D’autre part, la contraception est alors également perçue comme facteur de débauche et de déclin moral de la société américaine. Au milieu des années 1920 toutefois, pendant les « Années folles », la conception de la femme change, et l’émancipation des mœurs entraine une plus grande acceptation des moyens de contraceptions, quoique principalement pour les classes moyennes et aisées.
Le journal Comœdia note d’ailleurs en 1928 que Victor Marguerite pour la France et Margaret Sanger pour les États-Unis ont rejoint la « Ligue mondiale pour la réforme des mœurs basées sur les principes de la science de la vie sexuelle », preuve que les idées de Sanger sont partagées à l’international juste avant la crise économique de 1929.
« Le programme de la nouvelle ligue comprend parmi ses principaux objets : la réforme du mariage ;
la complète égalité de droits pour les deux sexes ;
la réglementation de la responsabilité en matière d’accouchements ;
l’amélioration de la race humaine en se basant sur les principes de l’eugénisme ;
le problème des naissances illégitimes, la lutte contre la prostitution et les maladies vénériennes ; le droit sexuel et l’éducation sexuelle. »
Dans les années 1930, Sanger s’emploie à faire pression sur le Congrès américain pour faire légaliser la contraception, et en 1936 ses efforts sont récompensés : une décision de justice autorise désormais les médecins à prescrire un contraceptif aux femmes qui le désirent.
En 1947, Sanger va encore plus loin et propose un moratoire de dix ans pour faire face aux difficultés économiques d’après-guerre, sa déclaration est selon elle « comme une bombe atomique lancée sur le vieux monde ». Le 30 juin 1947, à l’aéroport de La Guardia, elle annonce aux journalistes que « les pays affamés ne devraient pas mettre au monde de nouveaux enfants pendant dix ans » jusqu’à ce que la situation économique soit stabilisée.
Cette proposition fait alors les gros titres de la presse américaine et britannique. La presse britannique en particulier s’insurge contre cette proposition « absurde », et les Américains interrogés dans la rue sur la question du moratoire la juge également « stupide ». Mais malgré ses propositions controversées, Sanger reste après-guerre l’une des voix les plus respectées en matière de contrôle des naissances ; en 1948 elle est l’invité d’honneur du Congrès International sur la Population et les Ressources mondiale en lien avec la Famille, qui se tient à Cheltenham en Angleterre.
Toutefois, aux États-Unis Margaret Sanger demeure un personnage très controversé. Son combat pour le contrôle de la natalité l’a par exemple amenée à fréquenter le mouvement eugéniste, en vogue dans les années 1920. De nombreux médecins, scientifiques et une partie de l’opinion publique était alors favorable à l’eugénisme. Sanger défendait notamment la stérilisation des déficients mentaux et des handicapés afin de limiter les naissances de « populations indésirables ».
En octobre 1921 elle écrivait par exemple dans un article intitulé La valeur eugénique de la propagande pour le contrôle de naissances (The Eugenic Value of Birth Control Propaganda) que « le problème le plus urgent est de limiter et de décourager la sur-fertilité des attardés mentaux et des handicapés physiques ».
En revanche Sanger s’est toujours fermement opposée à l’utilisation du contrôle des naissances pour limiter la reproduction d’une race ou d’une classe spécifique. Une controverse qui a toutefois le vent en poupe sème depuis des années le doute sur les intentions de Sanger vis-à-vis de la population noire. En 1939, Sanger écrivait dans une lettre, qu’elle souhaitait s’entretenir avec les pasteurs noirs du Sud pour lever toute suspicion quant à la clinique qu’elle projetait d’ouvrir :
« Nous ne souhaitons pas que le mot se répande que nous voulons exterminer la population noire, et le pasteur est justement celui qui pourra écarter cette idée si elle venait à poindre dans l’esprit des membres les plus rebelles. »
Le Washington Post qualifiera cette tournure de « très malhabile ». Cette formulation ambiguë vaut encore aujourd’hui à Margaret Sanger d’être taxée de racisme. Les Républicains instrumentalisent ainsi régulièrement les propos de Sanger pour porter atteinte au Planning Familial ainsi qu’au droit à l’avortement.
En réalité, les historiens américains ont démontré que les actions et la correspondance de Sanger n’indiquaient aucune intention malveillante envers la communauté noire. Au contraire, Sanger pensait que les femmes noires souffraient d’une discrimination multiple. Étant Noires, femmes et pour la plupart pauvres, Sanger voulait les sensibiliser à la contraception, les considérant comme la population la plus vulnérable aux grossesses non désirées.
À la fin de sa vie, Sanger financera la recherche pour la pilule contraceptive et militera en faveur de sa légalisation sur le marché américain. Un rêve qui deviendra réalité au début de l’année 1960.
En 1966, lorsque Martin Luther King recevra le prix Margaret Sanger du Planning Familial, il fera l’éloge de Sanger pour sa contribution à la communauté noire : « Il existe un lien frappant entre notre mouvement [pour les droits civiques] et les premiers efforts de Margaret Sanger […] Sanger a dû commettre ce qu’on considérait à l’époque comme un crime pour enrichir l’humanité. »
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Anne-Claire Bondon est professeure agrégée d’anglais et doctorante en Histoire à l’université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle travaille notamment sur la contre-culture américaine.
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Pour en savoir plus :
Biography of Margaret Sanger. Planned Parenthood Federation of America.
Baker, Jean H. Margaret Sanger: A Life of Passion, New York, Hill & Wang, 2011
Coates, Patricia Walsh. Margaret Sanger and the Origin of the Birth Control Movement, 1910-1930: The Concept of Women's Sexual Autonomy, Edwin Mellen Press, 2008.
Latson, Jenifer, « What Margaret Sanger Really Said About Eugenics and Race », Time, 16 octobre 2016
National Women’s History Museum, Margaret Sanger.