Ces histoires de fous deviennent bientôt le principal prétexte aux reportages parmi les placides flamands et leurs excentriques pensionnés. En 1935, la folie s’étant emparée de la course du monde, l’actualité internationale est bien chiche en sujets comiques. Alors, on se précipite vers le dernier refuge de la candeur :
« Où sont-ils ces fous ? J'essaye de discerner sur les passants qui me croisent dans l'ombre les stigmates de la folie. Quel est, parmi eux, l'homme qui a régné sur les îles Galapagos, quel est celui qui a découvert la machine à finir les guerres, qui est le Grand Turc et qui est la Reine de Saba ?
Des rires retentissent derrière moi, des rires de folles. Je me retourne : un groupe de jeunes filles s'esclaffe dans mon dos. Elles rient sans mesure, sans cause. Je les regarde, leur hilarité augmente.
C'est alors que je m'aperçois que, de ma valise, que j'ai ouverte dans le train, passe une jambe de pyjama. Ces filles ne sont pas folles. »
Certes, l’intérêt pour Gheel, « la ville aux fous », flirte parfois avec le voyeurisme. Et le journaliste du Figaro, d’humeur moqueuse, en fit d’ailleurs les frais ; on ne lui permit point de s’inviter :
« J'aurais voulu m'asseoir à une table présidée par un fou.
Mais les gens du pays, de même que les médecins, observent à l'égard de l'étranger une louable discrétion. Ils protègent leurs pensionnaires contre la curiosité des gens normaux, cette curiosité qui les pousse à vouloir connaître ce qui se passe au-delà de leur horizon, dans un monde soumis à une autre raison que la leur, à d'autres mesures.
Il faut se contenter de ce qu'on voit dans la rue et de ce qu'on entend. »
Si le ton de la presse française est volontiers amusé, il est rarement goguenard et jamais méprisant. Jusqu’à la très prolétarienne rédaction de L’Humanité qui s’attendrit, en 1923, de la désarmante gentillesse des Gheelois :
« Un Anglais, qui était tailleur et a, gardé de son métier la manie de prendre les mesures à tout venant, passe sur la place et voici une troupe de gamins qui reviennent de l'école.
Vous croyez qu'ils vont s'arrêter, le saluer de quolibets, ou flatter sa manie en se moquant de lui ?
Vous n'y êtes pas : plusieurs vont au-devant de lui, le saluent comme un camarade, et, écartant les bras, se prêtent patiemment au jeu du grand enfant puis, le mesurage fini, lui font un petit signe amical et s'éloignent sans rire, le plus naturellement du monde. »