Les récits de voyages d'Alexandra David-Néel
La célèbre voyageuse a tiré de ses voyages au Tibet et dans toute l'Asie une série d'articles qui ont passionné le public français.
Lorsque Alexandra David-Néel débarque au Havre, le 10 mai 1925, elle est une célébrité en France. Pourtant, elle n'y a pas mis les pieds depuis 1911... Cette journaliste, écrivaine, tibétologue, exploratrice, orientaliste, bouddhiste et ex-chanteuse d'opéra de 56 ans vient en effet de se livrer, pendant quatorze ans, à un long périple qui l'a menée à travers l'Inde, le Japon, la Chine, la Corée, la Mongolie, et enfin le Tibet.
C'est dans ce dernier pays que l'année précédente, elle a accompli une véritable prouesse : devenir la première femme d'origine européenne à séjourner à Lhassa. Déguisée en mendiante et accompagnée du jeune lama Aphur Yongden, elle est parvenue à se fondre dans la foule des pèlerins venus célébrer dans la capitale tibétaine le Mönlam ou « fête de la Grande prière ». Elle y restera deux mois avant d'être démasquée et de se voir contrainte de s'enfuir.
La nouvelle de son exploit gagne bien vite l'Europe et en 1925, Alexandra David-Néel fait la une de tous les journaux. Sous le titre de "Souvenirs d'une Parisienne au Thibet", Le Matin publie à partir du 21 juin, en exclusivité, chaque jour, les premiers extraits du récit de son voyage, accompagnés des nombreuses photos prises par l'exploratrice :
"Oui ! nous avons atteint le point culminant de la route devant nous se dresse le latza, le cairn hérissé de branches mortes où pendent de minuscules drapeaux, érigé en offrande aux dieux sur toutes les cimes thibétaines. Il était temps. La fatigue nous abat, sans forces, sur le sol et nous restons là un long moment à demi inconscients. Je secoue, la première, ma torpeur ; mes mains qui, sans gants, ont agrippé la neige pendant plus d'une heure pour, franchir le mur presque perpendiculaire qui bloquait le passage, sont blanches, privées de sensation. Elles gèlent."
Les descriptions pittoresques y abondent, comme lorsqu'elle décrit, le 17 juillet, sa rencontre avec un lama retiré sur un éperon montagneux :
"La configuration des chaînes de montagnes voisines arrêtait les nuages, les forçant à tournoyer autour de la pointe rocheuse supportant la gompa, formant une mer de brume blanche, dont les vagues impalpables battaient les cellules des religieux, escaladaient les pentes boisées et créaient mille éphémères paysages fantastiques. De terribles orages de grêle se déchaînaient souvent aussi sur le monastère, effet, disaient les campagnards, de la malice des démons, qui s'efforçaient de troubler la quiétude des saints lamas.
Le site se prêtait à merveille aux imaginations concernant un monde occulte et à ces rencontres singulières dont j'ai parlé en commençant. D'après la croyance générale, des dieux et des démons hantaient les forêts voisines et, pour cette raison, des gomptchènes (ascètes adonnés à la méditation) s'isolaient dans leurs profondeurs, poursuivant des buts connus d'eux seuls."
Au fil de ces articles, l'exploratrice raconte aussi les difficultés pour voyager incognito ou les multiples obstacles qui se dressent sur la route du marcheur solitaire, depuis le vent glacial qui règne en altitude jusqu'aux passages périlleux par des ponts suspendus au-dessus du vide... Mêlant étude ethnographique et récit d'aventures, les écrits d'Alexandra David-Néel fascine un public français qui connaît mal ces régions éloignées.
Dans les années suivantes, elle multiplie les conférences sur les croyances et les coutumes des Tibétains, suscitant parfois l'incrédulité de ses auditeurs. Comme lorsque, en 1927, elle évoque leurs pouvoirs « métapsychiques », susceptibles par exemple de leur permettre de réchauffer leur corps par la seule force de l'esprit.
"Toute leur virtuosité psychique s'applique à produire des phénomènes que nous considérons comme miraculeux et qu'ils tiennent pour de simples effets de nos facultés para-normales utilement entraînées."
En 1927, elle tire de son épopée un livre, Voyage d'une Parisienne à Lhassa, qui connaîtra un immense succès et sera suivi d'autres récits. Alexandra David-Néel retournera en Chine et au Tibet entre 1936 et 1947, avant de revenir définitivement en France, à Digne. Elle s'y éteindra en 1969, à l'âge de 100 ans.