Tesla, l’inventeur génial qui voulait parler aux Martiens
De son vivant, le scientifique serbo-américain Nikola Tesla est vu par la presse française comme un personnage de Jules Verne échappé dans le monde réel – un savant fou.
C’est avec ses travaux sur l’optimisation du courant alternatif par induction électrostatique que le jeune Nikola Tesla se fait remarquer par la presse française. Il est cité dès 1892 en des termes pour le moins élogieux par les journalistes du Siècle, qui voient en lui rien moins que le croisement entre le scientifique Thomas Edison et le magicien Houdini.
« L’Amérique, le pays de toutes les audaces, est décidément la terre classique de l’électricité. Après Edison, M. Nikola Tesla nous montre aujourd’hui des merveilles qui ont plongé les physiciens de Londres et ceux de Paris dans l’admiration. »
Le XIXe siècle ne manque néanmoins pas de relever un certain penchant pour la mise en scène, à l’œuvre en effet dans plusieurs de ses travaux.
« […] sans même l’adjonction d’aucune armature supplémentaire ni d’aucun récepteur ou condensateur, en plaçant simplement aux pôles du générateur deux sphères de laiton, M. Nikola Tesla fait jaillir, à distance, entre ces deux sphères éloignées de 40, 50, 60 centimètres ou davantage, une coulée de lumière dont il peut ad libitum faire varier l’éclat.
Imaginez l’étincelle de la bouteille de Leyde ayant perdu sa brusquerie soudaine pour se transformer en un épanchement homogène et durable ! »
Les premiers signes d’une ironie franche vis-à-vis de l’imagination parfois fantasque de l’inventeur se font jour dans cet article de La Croix, quelques années plus tard, en mention de ses recherches sur la transmission de la lumière.
« Voulez-vous le dernier “tuyau” scientifique ? On se prépare à nous fabriquer de la lumière solaire artificielle.
C’est Nikola Tesla, le rival d’Edison, qui s’est attelé à cette œuvre surhumaine en apparence et qu’il prétend avoir mené à bien. »
Déjà, le journal catholique ne cache pas ses doutes sur les conclusions des travaux du scientifique, quoique le plus farfelu reste encore à venir.
« M. Nikola Tesla croit pouvoir construire un instrument qui transmette un message à la planète Mars. Il y travaille dès à présent, et se dit assuré de réussir.
La grande difficulté, selon lui, sera d’apprendre le code des signaux de Mars, mais, ajoute-t-il, on a déjà fait un pas de ce côté.
M. Edison, invité à dire ce qu’il pensait à ce sujet, aurait, dit-on, répondu : “Je ne suis pas en état de donner une opinion valable sur ce point, car généralement mes idées ne trouvent pas le moyen de s’élever plus haut que les sommets de l’Himalaya.” »
Ce n’est plus de l’ironie, mais du tir à vue – la mention de son meilleur ennemi Edison constituant indéniablement le coup de grâce. Le Siècle se révèle toutefois plus mesuré lorsque ses inventions restent sur la Terre ferme.
Six ans plus tard, lorsque Tesla semble concrétiser son projet de communication martienne, le ton demeure caustique dans les colonnes du Progrès de la Côte-d’Or.
« On sait que l’astronome populaire français Camille Flammarion, convaincu que la planète Mars est habitée par des êtres d’un degré de civilisation bien supérieur à celui des habitants de la Terre, a déjà préconisé l’idée d’entrer en communication avec les Martiens au moyen de figures géométriques monstres formées par des lampes électriques d’une grande puissance.
M. Tesla s’arrange actuellement avec un des coopérateurs des Compagnies pour l’exploitation des chutes du Niagara pour tenter d’envoyer un message en utilisant la force de 800 millions de chevaux mise à sa disposition à travers les 160 millions de kilomètres qui séparent Mars de la Terre.
M. Tesla n’explique, du reste, pas autrement de quelle façon il opèrera, mais avec 800 millions de chevaux, on peut aller loin. »
À la suite de ce douloureux forfait, Nikola Tesla demeure absent des journaux d’actualité français pendant plus de deux décennies. Nulle mention de ses travaux pourtant cruciaux sur les rayons X ni les transmissions sans fil, nulle trace de ses influences prégnantes sur moult champs de recherche dans les années 1920.
Lorsqu’il y revient en 1933, c’est une nouvelle fois présenté avec le ton badin typique des rédacteurs nationaux. Le Matin fait écho de ses recherches sur une « énergie cosmique » qui libérerait l’humanité de l’astreinte de tout combustible.
L’année d’après, Nikola Tesla vire carrément savant fou ; on lui impute une invention grotesque, le « rayon de la mort ». En réalité, Tesla préfigure simplement la bombe atomique, qui sera utilisée quelque dix années plus tard.
« M. Nikola Tesla, le célèbre savant et ingénieur électricien, vient d’annoncer, à l’occasion de son 78e anniversaire, une nouvelle invention : un rayon de la mort qui, dit-il, rendra toute guerre impossible.
Avec une force de 50 millions de volts, le rayon serait capable d’abattre une flotte de 10 000 avions à une distance de plus de 400 kilomètres et d’anéantir instantanément des armées de plusieurs millions d’hommes. »
Le poids des mots, le choc des chiffres. Pour son 80e anniversaire, la prestigieuse Sorbonne célèbre le savant. Dès lors, la presse française semble enfin l’honorer à sa juste valeur. Après Mars, Nikola Tesla peut ajouter Jupiter à son palmarès.
Sa mort quelques années plus tard ne lui vaudra qu’un entrefilet de une dans Le Matin, avec son prénom mal orthographié en première mention.
À défaut d’avoir marqué de son vivant les journaux français, il aura fini par en gagner le respect, un rien tardif.
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Pour en savoir plus :
Consulter l’exposition virtuelle BnF « Sciences pour tous » sur « la nature sous toutes ses formes : dans les étoiles »