Horace Wells, pionnier malheureux de l’anesthésie chirurgicale
Wells, dentiste américain, fut le premier a mettre en pratique les effets anesthésiants du protoxyde d’azote pour opérer des patients. Mais humilié et spolié, il se suicide avant de voir l’application de sa découverte.
En décembre 1844, Horace Wells et sa femme se rendent à une démonstration de protoxyde d’azote à Hartford, Connecticut, où ils résident et où Horace exerce en tant qu’éminent dentiste.
Le protoxyde d’azote n’est alors pas un gaz nouveau à proprement parler : ses propriétés euphorisantes ont été mises en lumière par le savant Humphry Davy plusieurs années auparavant. Propriétés qui deviennent par ailleurs une source d’attraction.
« Il est vrai que Davy était sous l'influence du protoxyde d'azote, qui paraît agir un peu comme le haschich des Orientaux. Chaque fois qu'il absorba ce gaz, il ressentit des impressions de plaisir ou se livra à des accès de fou-rire. Il n'en fallait pas davantage pour mettre le protoxyde d'azote à la mode.
Tout le monde voulut répéter les expériences de Davy. On se réunissait dans les salons du temps pour absorber ce gaz, et ce fut pendant plusieurs mois la grande préoccupation publique. »
Lorsque Wells se rend à l’expérience de chimie du docteur Colton, il assiste à une scène qui va changer le cours de sa vie.
« Horace Wells, ainsi que plusieurs autres auditeurs, respirèrent du protoxyde d’azote, gaz dont il avait été question dans cette séance.
L’un des assistants, Cooley, un ami de Wells, fut à ce point surexcité, qu’il se démena comme un possédé sur le plancher et se meurtrit les jambes contre les bancs ; le sang coulait. Revenu à lui, il témoigna pourtant n’avoir aucune conscience de son mal.
Wells entrevit aussitôt que sous l’empire de ce gaz un malade pourrait endurer une opération chirurgicale sans percevoir la douleur. »
C’est une révélation avant de devenir une révolution : on pourrait donc opérer, voire amputer, sans douleur ! Le dentiste va se mettre à étudier les propriétés anesthésiques du protoxyde d’azote qu’il préfère à l’éther.
Il se fait ainsi arracher une dent, puis pratique la même opération sur plusieurs personnes. Avec succès.
« Il parvint même, dans les derniers mois de sa courte existence, à faire adopter l’usage de son gaz favori pour obtenir l’insensibilité dans des opérations de grande chirurgie.
Ainsi le 17 mai 1847, le docteur May, de Westford, opéra une tumeur du testicule tandis que Wells administrait le gaz ; l’opération dura quinze minutes. De même, le 1er janvier 1848, pour une amputation de cuisse, et, quatre jours plus tard, pour l’ablation d’une tumeur pratiquée sur une femme. »
Mais, en 1845, lorsqu’il décide de présenter sa découverte au Massachusetts General Hospital, l’expérience tourne court.
« Mais soit que le gaz fut mal préparé, ou que le malade fût mal endormi, l'opération m se fit pas sans douleur. Le dentiste fut sifflé par les élèves.
Il essaya plus tard de recommencer. Mais, éconduit partout, il partit pour l'Europe. Il n'y réussit pas davantage. »
C’est un gigantesque camouflet pour Horace Wells. Tandis que dans le même temps, l’un de ses élèves s’attribue l’invention du protoxyde d’azote comme anesthésiant.
« Il en fut malheureusement spolié par Jackson et Morton, dont l'un fut parmi ses. élèves, et pendant qu'il se livrait à des expériences publiques sur le continent américain, ceux-ci franchirent l'Atlantique et vinrent en Europe, notamment à Paris, où ils furent reçus et glorifiés jusque dans le sein de l'Académie des Sciences. »
Horace Wells ne se remet pas de la disgrâce de ses pairs et de la spoliation par ses élèves. Le 24 janvier 1848, il se suicide en s’ouvrant l’artère fémorale – tout en respirant de l’éther.
« La blessure, toujours saignante, qu’il avait reçue de son échec public à Boston, l’amertume dont l’abreuvèrent les prétentions de ses anciens amis Morton et Jackson, qui se faisaient proclamer, par brevet, inventeurs de l’anesthésie chirurgicale, la fatigue, le désespoir, la fièvre, la surexcitation d'une existence toute de lutte et du combat pour faire triompher ses idées dans la pratique, enfin les signes d’aliénation mentale qui apparurent vers la fin de sa vie, expliquent assez cette mort étrange qui fut à la fois celle d’un stoïcien de Rome et d’un épicurien du vingtième siècle, car, après de s’être ouvert les veines, Horace Wells respira de l’éther sulfurique jusqu’à perte de connaissance, et peut-être quitta-t-il ce triste monde dans un rêve de gloire et d’immortalité. »
À Paris, quelques années plus tard, c’est un autre chirurgien-dentiste, Appoloni Pierre Préterre, qui reprend les travaux de Wells afin d’opérer ses patients.
« Après Horace Wells, Américain, qui n’éprouva que des déboires en voulant propager les propriétés si utiles du protoxyde d’azote, un praticien très habile exerçant en France, M. Préterre, emploie ce gaz avec beaucoup de succès pour pratiquer certaines opérations de petite chirurgie.
Après une ou deux minutes d’aspiration environ, l'anesthésie est produite. Elle dure en général 30 à 50 secondes, temps suffisant pour pratiquer une petite opération (ablation d’ongle incarné, avulsion des dents, ouverture d’abcès, etc.) »
Les travaux de Wells seront reconnus après sa mort et l’innovation de l’anesthésie lui sera finalement attribuée.
En 1911, à Paris, on inaugurera un monument à sa gloire dans le square des États-Unis – aujourd’hui square Jefferson. Pour rendre hommage à celui « qui, le premier, et à une époque où l'on considérait comme utopique la recherche des moyens de supprimer la douleur dans les opérations chirurgicales, découvrit les propriétés anesthésiques du protoxyde d'azote, et permit ainsi les recherches qui aboutirent à l'emploi de l’éther et du chloroforme. »